De nouvelles restrictions imposées par la Banque du Liban, couplées à de récents scandales qui ont éclaboussé la réputation déjà sulfureuse des “comptoirs” financiers, mettent en lumière les pratiques douteuses de ce secteur.

LLe 29 décembre dernier, deux usuriers – Bayt el-Mal et MFD – ont été mis sous scellés et leur propriétaire arrêté par les autorités libanaises pour escroquerie. Mourshed Daher octroyait des prêts en échange de contrats de vente de biens immobiliers appartenant à ses clients, signés devant notaire. Selon des informations rapportées par plusieurs quotidiens, il inscrivait les biens en son nom au registre foncier, avant même l’échéance de remboursement et faisait ensuite chanter ses débiteurs, à qui il extorquait de l’argent pour leur restituer leur bien. Une cinquantaine de plaintes ont été déposées contre celui qui aurait détourné ainsi quelque 25 millions de dollars. La Société libano-arabe de crédit est sommée début janvier de cesser la diffusion des spots publicitaires promettant l’approbation d’un prêt en cinq minutes. La société appartenant à Fadi Jairo a été mise sous surveillance judiciaire.

Taux usuriers

Ces affaires qui ont été médiatisées ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Des sources bancaires contactées par Le Commerce du Levant estiment qu’il existe entre 500 et 1 000 comptoirs de crédit plus ou moins honnêtes qui pratiquent tous des taux usuriers pouvant dépasser 20 % par mois pour des prêts de 2 500 à 5 000 dollars en moyenne. Leur clientèle ? Généralement des particuliers surendettés auprès des banques qui obtiennent du cash contre la garantie d’un bien, saisi en cas de défaut de paiement.
Les tentatives de réglementation de cette activité sont relativement récentes. Jusqu’à l’année dernière, les comptoirs étaient uniquement soumis aux articles 183 et 184 du code de la monnaie et du crédit de 1963 qui leur permettaient d’octroyer des crédits à la consommation en l’absence de toute supervision de la BDL, à la seule condition de ne pas accepter de dépôts. Jusqu’au début des années 1990, ces comptoirs ont longtemps représenté l’unique moyen pour les moins aisés d’accéder à des services financiers, surtout dans des régions où les banques étaient peu présentes. Depuis, le maillage du territoire par les banques traditionnelles s’est nettement densifié et les organismes de microfinance ont en partie répondu à la demande spécifique des plus démunis. Cela n’a pas empêché le développement d’une demande parallèle pour cette offre de crédits émanant de comptoirs qui adossent leurs crédits à des garanties, contrairement aux entreprises de microcrédit. Elle aurait augmenté ces dernières années, même si aucune statistique ne permet de la mesurer. Une tendance liée à l’évolution globale de la demande de crédit et au resserrement des conditions d’attribution dans le secteur bancaire traditionnel : en 2015, l’enveloppe des prêts à la consommation est de 4,6 milliards de dollars, soit 27 % du montant total des prêts personnels, en hausse annuelle de 3,62 %, selon les chiffres de Joseph Torbey, président de l’Association des banques au Liban (ABL).
En 2000, la BDL a créé une Centrale des risques pour pouvoir recenser l’ensemble des prêts contractés par chaque client et mesurer leur taux d’endettement. En 2014, elle instaure une nouvelle règle aux banques : l’interdiction d’accorder un prêt dont le remboursement mensuel dépasse 35 % des revenus du ménage. Cette limitation pousse alors un nombre croissant de Libanais à recourir à des crédits en dehors du circuit bancaire classique. Les comptoirs fleurissent d’autant plus que la crise économique affecte les revenus des ménages.
Le 2 février 2015, la BDL publie deux circulaires pour tenter de mettre de l’ordre. La première (11947) appelle les banques ainsi que les institutions financières réglementées à davantage de transparence dans les conditions de prêt. Chaque client se doit de recevoir des informations claires et précises sur les avantages et les risques encourus, ainsi que la méthode de calcul du coût réel de chaque produit ou service. La deuxième (11948), adoptée le même jour, impose à chaque comptoir de crédit de notifier son existence à la BDL. Seuls une quarantaine d’entre eux s’y sont soumis depuis cette date, dit-on à la Banque centrale.
C’est trop peu. Le 21 janvier de cette année, la BDL décide de resserrer encore la vis et impose désormais aux comptoirs de se soumettre à la circulaire 11947 précitée encadrant les conditions d’octroi de crédit et de constituer un capital de deux milliards de livres libanaises minimum par agence. Autre restriction, l’interdiction d’accorder des prêts d’une valeur inférieure à 60 % du montant de la garantie fournie par le client, pour éviter que le créancier soit tenté de vendre l’actif apporté en garantie avant même que le client ne fasse défaut, comme dans le cas de l’escroquerie de Mourshed Daher. Tandis que les facilités de crédit accordées ne doivent pas dépasser 5 % du capital du prêteur et sont par ailleurs plafonnées à 150 millions de livres libanaises. De plus, ces comptoirs ont l’interdiction de se financer auprès des banques et des institutions financières, directement ou indirectement, afin d’éviter des schémas de type Ponzi basés sur des prêts en cascade. Ils devront enfin communiquer à la Centrale des risques de la BDL tous les crédits octroyés. Les établissements ont un délai d’un an pour se conformer à ces nouvelles règles, sous peine d’interdiction d’activité bancaire pendant un an.

Lutte contre le blanchiment

Les motivations de la Banque centrale sont en partie liées aux efforts entrepris pour mettre le système financier libanais en conformité avec les règles internationales de lutte contre le blanchiment. Le nouvel encadrement oblige notamment les comptoirs à déclarer leurs encours et les bénéficiaires de leurs prêts, contraignant beaucoup d’emprunteurs à sortir de l’ombre. Or un nombre important d’entre eux ont justement recours aux services de ces comptoirs parce qu’ils sont interdits bancaires ou surendettés. L’anonymat garanti par ces structures facilite aussi les transferts d’argent illicites, étant donné l’absence de contrôle. Il est difficile en l’absence de chiffres d’évaluer l’impact de ces nouvelles restrictions, mais il est probable qu’elles s’exerceront surtout sur les établissements qui n’hésitaient pas à avoir pignon sur rue tandis qu’un certain nombre d’usuriers continueront d’exercer dans l’illégalité. Paradoxalement, la réglementation sert la communication de nouveaux entrants qui se prévalent de leur légalité pour attirer des clients à grand renfort de publicité. C’est le cas de la société Money, une filiale du groupe UFA Assurances. Ce comptoir régulé par la Banque centrale propose « des crédits à la consommation de 1 000 à 6 000 dollars sans collatéral à un taux annuel de 17 % à quiconque peut justifier d’un emploi et d’un revenu stable », comme l’affirme à L’Orient-Le Jour Élias Samia, PDG de cette compagnie établie en 2012. « Ces crédits sont accordés via une carte bancaire fournie par la Bank of Beirut. Nous ne prêtons que de petits montants, donc pas de prêts logement ni de prêts automobile », ajoute-t-il.
Si elle vise à mettre de l’ordre sur ce segment d’activité, la nouvelle réglementation ne va pas jusqu’à protéger complètement le consommateur, comme c’est le cas dans les pays où les taux pratiqués sont également encadrés.
En France, par exemple, le législateur a déterminé le taux maximal effectif s’appliquant aux opérations de prêt. Il est fixé à 133 % du taux effectif moyen pratiqué au cours du trimestre précédent par les établissements de crédit pour des opérations de même nature comportant des risques analogues.
Publié trimestriellement par la Banque de France, il comprend plus d’une dizaine de catégories d’opérations et concerne la plupart des prêts aux entreprises, ainsi que quasiment tous les prêts aux particuliers : prêts immobiliers, découverts en compte, prêts à la consommation, etc. Il n’existe pour l’heure aucune grille officielle de ce type aussi transparente au Liban.

Le microcrédit, une alternative sérieuse aux comptoirs traditionnels

Début 2015, la première association baptisée Lebanon Investment in Microfinance Program regroupant huit institutions de microcrédit a vu le jour au Liban avec le soutien de la Banque du Liban. Ces organismes fournissent des microcrédits aux entrepreneurs et sont considérés comme des instruments de soutien au développement durable, leur modèle étant fondé sur du prêt non adossé à des garanties. D’après le site Mix Market qui répertorie les institutions de microcrédit dans le monde, al-Majmoua, qui fait partie de cette association, a des encours de 50,5 millions de dollars auprès de 55 000 emprunteurs à la fin 2015. Les autres n’ont pas publié de chiffres pour l’année dernière.