Promenés dans les rues animées de Mar Mikhaël ou exhibés en devanture des restaurants pour appâter le client, les primates ne sont pas rares dans le paysage urbain libanais.
Leur commerce est pourtant illégal et dangereux.

.Les petits yeux noirs et brillants du vervet bleu qu’il a acquis pour quelque 300 dollars surgissent par-dessus l’épaule de Karl et tous ses amis tombent sous le charme. Pourtant, même s’il fait des câlins, ce petit singe mignon n’est pas du tout domestiqué ni prêt pour sa nouvelle vie en appartement beyrouthin. « Lorsqu’il va grandir, il risque de mordre et de griffer. Il est potentiellement dangereux. Les Libanais n’en ont souvent pas conscience, ils ignorent la différence entre animaux sauvages et domestiques », explique Jason Mier, directeur exécutif d'Animaux Liban, une association de lutte contre la maltraitance des animaux.
Spécialiste de la contrebande des primates, Jason Mier est arrivé au Liban en 2007 pour y enquêter sur le commerce illégal des singes, après avoir passé des années à leur contact en Afrique. Comptabilisant plusieurs centaines de clients, le Liban est en effet une “destination géante” de ce marché noir. « La grande majorité des singes provient d'Afrique centrale et de l’Ouest, où est implantée une importante diaspora libanaise. Ils sont importés par un réseau de plusieurs centaines d’animaleries, assure Jason Mier. Certaines espèces sont commandées, d'autres singes importés, en gros ou petit nombre, soit en direct, soit à travers des intermédiaires... Certains primates sont aussi élevés en captivité au Liban-même. » Un élevage qui n'assure pas leur domestication, puisque ce processus exige l'attention de professionnels et se déroule sur plusieurs générations d'animaux.
Ce risque, loin de réfréner les vendeurs de primates, leur permet au contraire de réaliser des bénéfices. « Un jour nous avons rencontré quelqu’un qui avait revendu trois fois le même singe, témoigne le spécialiste américain. Au bout de deux semaines, ses propriétaires étaient venus le restituer en pleurant, car ils avaient été mordus. Le vendeur reprenait alors l’animal et le remettait sur le marché. » Le prix des vervets, chimpanzés, babouins olive, mangabeys et autres patas proposés au Liban est généralement compris entre 300 et 500 dollars, mais ce tarif indicatif varie parfois en fonction de la clientèle. Un marchand situé à Dekouané affiche un prix prétendument “amical” de 1 000 dollars à des clients européens. Dès le lendemain, il le propose pourtant d’emblée à 100 dollars à une jeune Libanaise et descend jusqu’à 40 dollars lorsqu’elle se dit sans ressources.
« Les singes ne coûtent presque rien. Dans certains pays d'Afrique le prix d'un animal peut démarrer à cinq dollars, explique Jason Mier. En général, les animaleries qui importent des singes illégalement procèdent de la même manière pour les autres animaux. Ainsi, au lieu d'importer des races spécifiques de chats, ces vendeurs les achètent à des tarifs très bas, autour de 20 dollars, mais ce sont des animaux en mauvaise santé. Ils les ramassent parfois dans la rue ou les élèvent dans de mauvaises conditions. »
Ce trafic de singes est pourtant illégal, depuis que le Liban a ratifié en 2013 la Convention sur le commerce international des espèces menacées (Cites). « La Cites instaure un système de certification attestant de la légalité des animaux vendus. Les certificats doivent être signés par le pays d'origine du singe et par la direction des ressources animales du ministère de l'Agriculture. » Mais le texte relativement récent n’est pas encore appliqué. « Les personnes en charge des contrôles à l'aéroport continuent de laisser entrer des convois illégaux », affirme Jason Mier, qui table cependant sur une mise en œuvre progressive.
C'est à une ignorance généralisée de la société libanaise que le spécialiste attribue la persistance du trafic des primates. La demande de singes est aussi forte dans les pays du Golfe et du Proche-Orient. Animaux Liban explique avoir reçu en un an une centaine de plaintes dénonçant l’utilisation d’un singe comme argument commercial dans des établissements de loisirs ou des restaurants. « Un singe enchaîné devrait faire fuir les clients, pas constituer une stratégie de vente. Mais les gens trouvent cela amusant, déplore Jason Mier. C’est le monde à l’envers. »
Un trafic international

Le rapport “Singes volés” publié en 2013 par le partenariat pour la survie des singes GRASP, qui regroupe des agences des Nations unies, des chercheurs et des gouvernements, estime à 22 000 le nombre de singes disparus à cause de ce trafic de 2005 à 2011. Interpol, qui reprend ce chiffre, considère que le trafic de singes est un « crime contre l'environnement ».