Pendant sept ans, les amoureux du peintre Kees Van Dongen (et de beaucoup d’autres) à Beyrouth se sont cassé le nez devant le lourd portail du Musée Sursock, le seul musée dédié à l’art moderne et contemporain du Liban. « Fermé pour cause de travaux. » Pour ceux qui veulent à nouveau admirer l’œuvre de ce peintre français, grand ami de Derain et Vlaminck, à qui Nicolas Sursock commanda son portrait, l’attente se termine enfin : les 700 œuvres de la collection permanente, parmi lesquelles des pièces d’artistes libanais comme Ethel Adnan, Assadour, Jean Khalifé, Hussein Madi, ou Omar Ounsi, sont à nouveau exposées dans un musée entièrement rénové et considérablement agrandi.
Coût de l’opération ? Quelque 14 millions de dollars. Un investissement important qui permet à ce qui n’était auparavant qu’un “petit musée provincial” de quintupler son espace d’exposition, passant de 1 500 m2 à quelque 8 500 m2. « Sursock se veut un musée à la hauteur des ambitions artistiques de Beyrouth », affirme Zeina Arida, ancienne responsable de la Fondation arabe pour l’image et nouvelle directrice du musée, nommée il y a un peu plus d’un an. « L’art de la région est en pleine effervescence, ses artistes reconnus désormais au-delà de nos frontières. Il est normal d’avoir un musée à la hauteur de cette nouvelle donne. »
Cette rénovation-extension a été entièrement financée grâce aux fonds que le musée a thésaurisés sur les subsides que lui verse la municipalité chaque année. La ville de Beyrouth prélève en effet depuis 1967 une surtaxe de 5 % sur les permis de construire qu’elle octroie en vue de les reverser ensuite au musée. Payée de manière erratique jusqu’aux années 2000, cette subvention est depuis une petite dizaine d’années versée plus régulièrement. Surtout, la flambée des prix de l’immobilier à Beyrouth, au milieu des années 2000, a permis au musée d’accumuler un petit “trésor de guerre”, qu’il a finalement employé pour cette rénovation d’envergure.
Comme toujours, lorsqu’il s’agit d’argent public, aucune information précise n’est fournie concernant le montant global de ce “bas de laine”. De source municipale, on estime que les recettes annuelles de cette surtaxe fluctuent entre 1 et 1,5 million de dollars. Le musée bénéficie en outre de dons privés et devrait se financer­­ grâce à la vente de catalogues ou d’objets dérivés. « Nous travaillons encore sur le budget opérationnel du musée et sur son estimation, ainsi que sur les coûts d’acquisition de nouvelles pièces d’art et de nouvelles sources de financements », explique-t-on au musée.

Un musée ambitieux

Désormais, sous l’esplanade de l’ancienne villa de Nicolas Ibrahim Sursock, qui conserve son esthétique d’origine, se cache quatre étages souterrains imaginés par le cabinet d’architecte français Wilmotte (qui a participé à l’aménagement du Louvres à Paris), en partenariat avec le Libanais Jacques Abou Khaled (responsable du design du Musée de la soie de Bsous). Les nouvelles salles plongent 20 mètres en dessous des fondations de l’ancienne bâtisse. « C’était un immense défi technique », souligne Zeina Arida.
Ces méandres “troglodytes” accueillent un amphithéâtre (166 sièges), qui doit servir de salle de conférences, une médiathèque, un centre de recherche dédié à l’art du Liban ainsi que plusieurs salles modulables afin d’accueillir les expositions temporaires. La première, “Regards sur Beyrouth : 160 ans d’images”, présentera quelque 200 tableaux, gravures et autres photographies “orientalistes”, prêtés par des collectionneurs privés. On y retrouvera notamment des œuvres de l’Anglais David Hockney ainsi que des Libanais Hussein Madi, Saadi Sinévi ou encore Khalil Zghaib.
Zeina Arida se veut ambitieuse : pour cette exposition, qui dure trois mois, comme pour les trois autres prévues en même temps, la responsable vise 10 à 15 000 visiteurs en tout ; alors que des événements similaires fédèrent d’ordinaire 4 000 à 5 000 personnes. Pour la directrice, ce succès serait un joli coup : avant sa fermeture pour travaux, la fréquentation du musée avait périclité à une cinquantaine de visiteurs par mois. « Je veux croire que la réouverture du Musée Sursock donnera envie aux Libanais de venir le redécouvrir. Ce musée semi-public appartient à leur patrimoine. » Elle met en parallèle au point les derniers détails d’un programme d’activités annexes (cinéma, ateliers, conférences, visites guidées…), destinées à tous les publics pour “démocratiser” l’accès au musée qui est en tout cas gratuit.

Un wakf culturel
Le musée se niche dans un hôtel particulier, édifié en 1912, propriété du rentier Nicolas Ibrahim Sursock. À son décès en 1952, il en transfère la propriété à la ville de Beyrouth sous la forme d’un wakf, c’est-à-dire une “donation” faite à perpétuité pour une œuvre d’utilité publique. Le testament du défunt en précise les modalités : gratuit, le futur musée doit se consacrer « aux arts anciens et modernes, provenant du territoire de la République libanaise, des autres pays arabes ou d’ailleurs ». Le testament désigne le président de la municipalité de Beyrouth comme son mutawali, son autorité de tutelle. Ni la famille Sursock ni Beyrouth ne sont propriétaires de la bâtisse, qui reste inaliénable. Un comité général, présidé aujourd’hui par Tarek Mitri (qui succède à Ghassan Tuéni, à l’origine de la rénovation actuelle), détermine les grandes orientations du musée. Ouvert en 1961, avec un premier Salon d’automne, Sursock va offrir au cours des années un large panorama de la création libanaise. Avec la guerre toutefois, la situation devient difficile : les fonds censés provenir de la municipalité ne rentrent que de manière aléatoire et le musée ouvre en fonction des périodes d’accalmie. Aujourd’hui, la nouvelle équipe (environ 20 salariés) ambitionne de « préserver et protéger » l’art libanais en lui offrant l’espace muséal qui lui manquait. Elle entend toutefois porter aussi les pratiques culturelles plus modernes : la première conférence que le musée organise se penche sur le rôle et les fonctions d’un musée aujourd’hui.