Un article du Dossier

Les voitures neuves remplacent les secondes main au Liban

Le secteur automobile continue de résister tant bien que mal à la crise que traverse le pays. Les ventes de voitures neuves ont encore augmenté en 2014, en dépit de la baisse du pouvoir d’achat des Libanais. Cela se fait aux dépens des voitures usagées. Et les nouvelles immatriculations, prises globalement, sont en baisse. Éclairage.

Le secteur automobile résiste plutôt mieux que d’autres à la mauvaise conjoncture économique libanaise. Quelque 30 539 véhicules neufs ont été vendus sur les neuf premiers mois de l’année, contre 28 316 voitures au cours de la même période de 2013, soit une hausse de 7,9 % sur un an et de 9,7 % et 17,9 % par rapport aux mêmes périodes de 2012 et 2011, selon l’Association des importateurs automobiles (AIA). Il est probable toutefois que la croissance des volumes s’accompagne d’une stagnation, voire d’une baisse du marché en valeur – les chiffres ne sont pas disponibles –, car ces statistiques traduisent surtout la poursuite d’une tendance à l’achat de véhicules neufs d’entrée de gamme, au détriment des voitures de seconde main, en baisse constante. Les principaux bénéficiaires de cette substitution étant les petits gabarits, l’effet sur les marges est globalement négatif pour le secteur.
Au total, les immatriculations de voitures neuves et d’occasion enregistrées durant les neuf premiers mois de 2014 ont stagné par rapport à la même période de 2013, reculant même de 7,4 % par rapport à 2012 et de 12,8 % par rapport à 2011. Tous segments confondus, près de 50 300 voitures ont été vendues au Liban jusqu’à fin septembre 2014, contre près de 50 200 voitures à la même période de l’an dernier et 57 700 sur les neuf premiers mois de 2011, selon l’AIA. Pour la deuxième année consécutive, la part de marché des voitures neuves dépasse ainsi celle des véhicules usagés.

Un produit de première nécessité

La principale explication du maintien de la demande en dépit de la mauvaise conjoncture tient au fait qu’au Liban, la voiture est un produit de première nécessité, en l’absence de transports en commun efficaces, rappellent les principaux concessionnaires du pays. « Les Libanais ne peuvent pas se déplacer d’un point A à un point B sans voiture, surtout s’ils habitent en dehors du Beyrouth intramuros », souligne Anthony Boukather, directeur général de la société A.N. Boukather, concessionnaire exclusif des voitures Mazda. Si les ventes se maintiennent, c’est aussi selon lui « grâce au rôle joué par les banques qui ont développé les crédits aux particuliers ». Une facilité qui « risque cependant d’être affectée par les nouvelles mesures prises par la Banque centrale pour encadrer les prêts à la consommation, surtout pour les petits budgets ». (Voir page 78).
L’ancienneté du parc automobile libanais « qui continue de se renouveler » soutient aussi le marché, estime de son côté Pierre Heneiné, directeur financier de Bassoul & Heneiné.
De même que les campagnes publicitaires, les offres spéciales contribuent à alimenter la demande sur les segments d’entrée et de moyenne gamme, alors que le mode de consommation ostentatoire des Libanais les plus aisés en fait des clients toujours aussi friands de voitures de luxe.

Le haut de gamme a toujours la cote

En effet, malgré la crise, les grands moteurs et les produits de luxe ont toujours la cote, même si en volume, ils ne représentent qu’une toute petite partie des ventes. Selon l’AIA, 90 % des immatriculations de voitures neuves sont des petites voitures à moins de 15 000 dollars, tandis que les voitures de luxe dont le prix est supérieur à 100 000 dollars représentent 3,5 % du total de ces immatriculations.
Les acquéreurs sont souvent des clients nantis, résidents ou expatriés. « Sur le segment premium des voitures Mini et BMW, la hausse des ventes est d’environ 20 % en rythme annuel à fin septembre, tandis que les ventes de Renault et de Dacia ont affiché une croissance de 15 % », témoigne Pierre Heneiné, dont la société représente de manière exclusive les quatre marques. Selon lui, cette croissance est toutefois liée davantage au renouvellement des modèles, qu’il s’agisse des séries X4 et X5 de BMW, ou encore de la toute nouvelle Mini Cooper.
Un constat partagé par Farid Homsi, directeur général d’Impex, concessionnaire de Chevrolet et Cadillac, dont la Cadillac Escalade, vendue à 127 000 dollars. Selon lui, le créneau du luxe, qui représente près de 10 % des ventes du groupe, continue d’attirer des clients.
« Les produits les plus chers attirent toujours. C’est le cas de la Kia Quoris, vendue à 95 000 dollars toutes taxes comprises (TTC), dont les ventes n’ont pas reculé cette année, en dépit de la mauvaise conjoncture », confirme Assaad Dagher Hayeck, PDG de la holding Sofidal, qui détient plusieurs concessions exclusives.
Sur le segment le plus élevé, les performances varient suivant les concessionnaires, souvent tributaires du lancement de nouveaux modèles. Si les ventes de Lamborghini sont stagnantes, celles des voitures Jaguar et Porsche sont en recul de 1,6 % et 8,7 % respectivement, tandis que les voitures Mazerati ont bondi de 182 % jusqu’à fin septembre.

Pression sur les marges

La bonne santé relative du haut de gamme, ponctuée par quelques baisses cette année, ne suffit pas en tout cas à préserver les concessionnaires d’une forte pression sur leurs marges due à la domination des segments A et B, qui correspondent dans le jargon automobile aux voitures dont le moteur varie entre 1 et 1,6 litre, et le prix oscille entre 8 500 et 17 000 dollars. « Entre 85 et 90 % de nos ventes correspondent aux segments A et B », précise Farid Homsi. Preuve d’une demande accrue pour les moteurs moins chers, « les ventes de Chevrolet Spark, proposée à 9 500 dollars (hors taxes), ont été meilleures qu’en 2013 », ajoute-t-il. Chez Bassoul & Heneiné, la Renault Duster représente, à elle seule, un tiers des ventes du segment “généraliste” (hors voitures de luxe) et 25 % du chiffre d’affaires global.
Même son de cloche du côté de la holding Sofidal, qui représente, entre autres, la marque chinoise BYD, « vendue à 6 900 dollars (hors TVA), dont les ventes ont bondi de 94 % jusqu’à fin septembre », selon le PDG du groupe, Assaad Dagher Hayeck. « De manière générale, 60 % de nos ventes concernent les voitures de moins de 15 000 dollars », précise-t-il.
L’évolution radicale de la segmentation du marché se fait surtout au détriment du moyen de gamme, à l’image de l’évolution des revenus de la société libanaise. « Les voitures à moins de 20 000 dollars représentent 75 % de nos ventes, contre 20 % pour les véhicules à plus de 50 000 dollars, tandis que seulement 5 % de notre chiffre d’affaires provient des produits dont le prix varie entre ces deux bornes », précise Pierre Heneiné. La société qu’il cogère propose une fourchette de prix allant de 12 000 dollars (pour la Dacia Logan ou la Renault Sandero) jusqu’à un demi-million de dollars (pour la Rolls Royce).
Certaines marques persévèrent malgré tout sur ce créneau intermédiaire. À l’instar de Mazda, dont les prix varient entre 19 100 dollars pour la série 2 et 62 900 dollars pour la CX9 (TTC). « Il n’y a pas de changement particulier dans le comportement de notre clientèle », assure Anthony Boukather, dont la société a affiché une progression de 20 % des ventes jusqu’à fin août.

Un seul mot d’ordre : réduction !

Si quelques concessionnaires s’emploient encore à introduire de nouveaux modèles, à innover ou à investir, dans une démarche contra-cyclique, la plupart ont décidé de s’adapter à la conjoncture.
« Tous nos budgets ont été revus à la baisse, en moyenne de 20 à 25 %. Quant aux dépenses publicitaires, elles ont diminué de 50 % cette année. Nous avons également réduit nos marges et nous déstockons, en attendant des jours meilleurs », souligne Assaad Dagher Hayeck, leader du marché en volume.
Son groupe a arrêté d’investir et gelé les embauches. « Nous ne payons plus d’heures supplémentaires, et si quelqu’un part à la retraite, il n’est pas remplacé », ajoute-t-il. La société pourrait déstocker davantage l’an prochain, sauf les marques japonaises devenues moins chères depuis le recul du yen (lire p. 70). « Nos concessionnaires du Nord et de la Békaa sont déjà mal en point », précise le PDG de Sofidal.
« Si la situation politico-sécuritaire actuelle perdure en 2015, le marché automobile sera sérieusement affecté, avec moins de ventes, moins de commandes et par conséquent plus de licenciements », met en garde Antoine Boukather, président de l’AIA.
Le maintien des volumes, garant d’activité future dans le segment des pièces détachées, coûte cher aux concessionnaires que ce soit pour les opérations de promotion ou en termes de réduction de marges. « Les concessionnaires lancent des campagnes tactiques (intérêt à 0 %, subvention de la TVA, etc.) depuis le début de l’année, alors qu’elles ont généralement lieu vers l’automne ou la période de Noël », souligne Marwan Naffi, directeur général des Établissements Gabriel Abou Adal, importateur exclusif de Volvo. Les compagnies veulent éviter que les stocks s’accumulent, ce qui les mettrait en porte-à-faux par rapport à leurs fournisseurs et impliquerait aussi une perte systématique de 25 % des prix des ventes l’année suivante.
Ce contexte global de prudence n’empêche pas des investissements ciblés. Kettaneh, importateur Audi, Volkswagen et Skoda, a ouvert un nouveau showroom Volkswagen à Verdun en début d’année et l’inauguration d’un nouveau centre de services Audi à Dbayé est prévue d'ici à la mi-2015, selon son directeur général Nabil Kettaneh.
Rymco a également l’intention d’ouvrir une nouvelle succursale à Dbayé. « Notre stratégie est de desservir toutes les régions du pays », souligne le directeur général de la compagnie, Fayez Rasamny.

Concentration chez les concessionnaires

Les acteurs du secteur parviennent globalement à gérer les difficultés et aucun changement structurel n’est à noter ces derniers mois sur le marché. Certains concessionnaires poursuivent cependant leur politique d’expansion, comme la holding Sofidal qui était entrée en 2008 au capital de Sigma (concessionnaire des marques espagnole SEAT, et chinoise Hawtai, lancée en septembre) et a ajouté en juillet dernier à son portefeuille une participation dans Suzuki, représentée auparavant par la société G.A. Bazergi & Sons. En parallèle, Rymco cogère les ventes de la chinoise Chery, qui reste toutefois représentée par Lebanese Auto Agency. Rymco avait déjà conclu en mars 2012 un partenariat avec la compagnie Zardman pour la commercialisation des voitures Lotus.
En revanche, l’un des rares nouveaux entrants ne cache pas sa déception.
« Nous avons injecté plusieurs millions de dollars dans les Établissements Gabriel Abou Adal il y a deux ans, lorsque la compagnie familiale, fondée il y a 53 ans, a ouvert son capital à de nouveaux investisseurs, dont moi-même et Fadi Daouk », explique Marwan Naffi, devenu directeur général de la société, importatrice des voitures Volvo.
L’investissement, dont le montant global n’a pas été dévoilé, a servi à l’inauguration en septembre d’une nouvelle salle d’exposition, la première VRE showroom (Volvo Retail Experience) au Moyen-Orient, ainsi qu’au développement du service après-vente, de la communication et au marketing. Les ventes ont presque doublé, passant de 62 unités en 2012 à 114 ventes l’an dernier, mais c’est en dessous de l’objectif fixé de 300 à 500 véhicules par an, soit 10 à 15 % du créneau des voitures de luxe.
« En 2013, nous avons lancé une opération séduction d’un million de dollars, alors que le budget publicitaire annuel moyen tournait autour de 100 000 dollars par an jusque-là. Cette campagne agressive n’a toutefois pas eu l’effet multiplicateur que nous escomptions », regrette Marwan Naffi, selon lequel « un investissement pareil dans un contexte différent aurait sans doute eu un plus grand impact ». 

Les japonaises profitent de la chute du yen

Les coréennes continuent de caracoler en tête des ventes de voitures neuves au Liban, avec 12 355 modèles écoulés sur les neuf premiers mois de l’année, soit 40,5 % du total. Les japonaises viennent en deuxième position (10 489 ventes, 34,3 %), suivies des européennes (5 759, 18,9 %), des américaines (1 355, 4,4 %) et des chinoises (580, 1,9 %).
Ce sont toutefois les nippones qui raflent la première place en termes de croissance : la hausse est de 30,3 % sur un an, contrastant avec une légère hausse des ventes de véhicules européens (+1,3 %) et un recul des coréennes (-0,7 %), des américaines (-8,7 %) et des chinoises (-11,5 %). Une progression qui s’explique essentiellement par la dépréciation du yen qui a perdu plus de 10 % de sa valeur en un an, passant d’un plus haut à 97 yens pour un dollar à un plus bas à 110 yens entre octobre 2013 et octobre 2014.
Par rapport à 2010, les ventes de voitures japonaises restent toutefois en baisse de plus de 7 %.

La bataille de la fidélisation

La fidélisation de la clientèle est l’une des clés de la rentabilité pour les importateurs de véhicules neufs.
Promotions, lancement d’applications mobiles, service à domicile, ils font feu de tout bois pour bichonner les véhicules et leurs propriétaires. « Nous avons lancé l’application ANB, du nom de la société, il y a un an, qui permet, entre autres, aux clients de prendre rendez-vous en ligne pour une révision automobile. Nous avons également amélioré certaines prestations de l’atelier de carrosserie (Body Shop Service) », souligne Anthony Boukather, directeur général de A.N. Boukather.
Du côté de Bassoul & Heneiné, les clients des nouvelles BMW peuvent désormais bénéficier d’une maintenance gratuite pendant cinq ans ou jusqu’à 60 000 km de route parcourus. Quant aux clients de Renault, ils seront bientôt accueillis dans un nouveau showroom à Sed el-Bauchrié, baptisé “Renault Store”, un espace de vente où le client peut déguster un espresso en configurant sa voiture sur iPad.
De son côté, la société Impex offre désormais un service après-vente à domicile.


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