Un article du Dossier

La floriculture en difficulté

C’est davantage par fatalisme que par conviction que Hanna el-Azzi a épousé la carrière de grossiste. Dans les années 1980, celui qui n’est alors que producteur écoule ses fleurs au milieu du chaos de la guerre civile. Le Libanais basé à Alemaan, à quelques kilomètres de Saïda, alimente les fleuristes encore en activité dans le sud du pays. « Au lendemain du conflit, j’ai eu beaucoup de mauvaises expériences, avec beaucoup de retard de paiements et parfois des délais d’un à deux ans », explique-t-il. Pour se prémunir contre ces dérives, le producteur décide de centraliser sa production. Il se lance dans la vente en gros à partir de 1993. L’avantage pour le producteur devenu grossiste est double : toucher une commission de 15 % sur les transactions effectuées sur les productions de ceux qui lui confient leurs fleurs. Et pouvoir écouler plus facilement sa propre marchandise en la mêlant, si besoin, à celle d’autres producteurs. « Afin de répondre à la demande du marché tout au long de l’année, notamment en hiver où les rendements des productions libanaises sont faibles, j’ai très vite été obligé d’importer », se souvient-il. Aujourd’hui, le schéma est resté le même. À la différence que le grossiste, désormais installé dans un entrepôt à Jdeidé, a augmenté son volume de production – il dit avoir coupé en 2016 deux millions de tiges, dont la moitié de roses sur ses quatre hectares répartis entre Zghorta et le Chouf − tout en étoffant sa clientèle (quelque 200 acheteurs) et son réseau de producteurs (une trentaine). La société, désormais baptisée JA Flowers, ferait désormais partie des cinq grossistes les plus importants du pays, sur la petite quinzaine en activité. En 2016, Hanna el-Azzi a écoulé 80 % de fleurs issues de la production locale, le reste étant de la marchandise venue essentiellement des Pays-Bas, mais aussi d’Éthiopie, du Kenya, d’Égypte ou d’Inde. « Une fleur importée nous coûte plus cher à l’achat qu’une locale, car il nous faut payer les taxes fixées à la douane », détaille-t-il, assurant ne pas participer aux fraudes douanières dénoncées par les producteurs locaux. Pour trouver les meilleurs prix à l’étranger, le grossiste travaille, par exemple dans le cas des Pays-Bas, avec une société intermédiaire. Sur place, son rôle − moyennant une commission de 15 % sur la transaction finale − est de sélectionner dans les ventes aux enchères les marchandises susceptibles de combler les carences des productions libanaises. « C’est un travail éreintant, car il faut à la fois contrôler sa production tout en gardant un lien avec une série de fournisseurs à travers le monde. » La plus grande difficulté du métier du grossiste réside aujourd’hui selon lui dans la compétition acharnée que se livrent les différents acteurs du secteur. Depuis plusieurs années, Hanna el-Azzi note une tendance chez un nombre croissant de producteurs à se rendre directement chez le fleuriste, en éclipsant la case grossiste. L’idée serait d’éviter que leur marchandise ne soit déclarée comme perdue par les grossistes, alors que celle-ci, ou du moins une partie aura été vendue. Des méthodes qu’il dit ne pas pratiquer mais dont il ferait directement les frais. « J’aime profondément mon travail, relève Hanna el-Azzi, mais ce n’est pas évident, tout le secteur est en crise depuis la guerre en Syrie en 2011. Il suffit d’une seule explosion pour que tout soit remis en cause. » Le grossiste garde en souvenir le coup dur porté à son activité en 2005 au lendemain de l’attentat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri. À cette époque, Hanna el-Azzi dit s’être retrouvé avec 200 000 roses invendues, soit un manque à gagner de plusieurs dizaines de milliers de dollars.
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