Un article du Dossier

La floriculture en difficulté

L’exploitation de la famille Matar n’a pas toujours abrité ces longues rangées de fleurs multicolores. Dans les années 1970, les terrains situés sur les hauteurs de Eddé, à quelques kilomètres de Jbeil, donnaient essentiellement des légumes. Mais en 1981, les difficultés du secteur incitent Jean-Pierre Matar à reconvertir l’exploitation. « Tout l’écosystème de la fleur se structurait, il y avait des grossistes, mais on manquait de producteurs », se souvient-il. D’abord spécialisé dans la rose, le floriculteur se penche dès les années 1990 sur le chrysanthème devenu depuis sa spécialité. « L’avantage, c’est que je suis à la tête d’une culture dirigée, explique-t-il. Quand je vais planter une serre, je décide cent à cent cinquante jours à l’avance en fonction de la saison de la date de floraison. » Le producteur peut ainsi concentrer l’essentiel de ses récoltes sur la saison des mariages et pendant l’hiver, tout en évitant le mois de mai marqué par l’abondance de roses et d’autres fleurs sur le marché. En 2016, Jean-Pierre Matar assure avoir produit − en plus de ses 25 000 bottes de muflier − quelque 80 000 bottes (de cinq tiges chacune) de celle que l’on appelle aussi “la fleur d’or”. « Le coût de production d’une botte, entre l’enracinement et l’entretien, me revient en moyenne à 2 000 livres libanaises, explique-t-il. Mais je dois la vendre aux grossistes à 3 500 livres pour faire un minimum de marge et amortir les coûts de la culture : le désherbage, les pesticides, l’éclairage électrique en hiver, l’obscurcissement en été, l’arrosage, la fertilisation, la coupe… » Pour écouler ses chrysanthèmes, le producteur part chaque jour placer sa marchandise chez ses sept grossistes. « Je suis très flexible sur ce point, j’évalue leurs besoins en amont, ce qui me permet de limiter mes pertes à 15 % de ma production, là où certains de mes concurrents peuvent parfois afficher le double. » Aujourd’hui Jean-Pierre Matar peut espérer dans le meilleur des cas vendre sa botte de chrysanthème aux grossistes à quelque 4 000 livres libanaises. Elle finira sur l’étal des fleuristes à un peu plus du double. « Cela ne veut pas dire qu’ils font des gains fous, précise-t-il, car les fleuristes aussi ont des dépenses très importantes, des loyers exorbitants et ils doivent remplir leur magasin chaque jour avec le risque de perdre de la marchandise si elle n’est pas écoulée. » Dans ce contexte économique difficile – « la guerre en Syrie a tout impacté, mais surtout les secteurs que j’appelle “non essentiels” comme le nôtre », relève-t-il. Jean-Pierre Matar s’estime chanceux de posséder ses propres terrains, car les parcelles cultivables se font de plus en plus rares et coûtent cher. « La racine du problème au Liban c’est que nous n’avons aucune organisation capable de nous unifier pour agir en collectif et tenter de résoudre nos problèmes, insiste l’horticulteur. Le producteur peut par exemple planter en même temps qu’un autre exploitant un chrysanthème de couleur verte sans la moindre concertation. Au final, la fleur sera pour un temps en surproduction sur le marché, puis viendra à manquer par la suite, poussant les grossistes à importer au détriment de la production locale. « Cette compétition est grotesque, car partout dans le monde la vente de fleurs se fait dans des coopératives. La création d’une telle structure au Liban, c’est la clé. »
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