Un article du Dossier

La difficile survie des hôtels libanais

Durant les années 1950-1970, le Liban était à la pointe du tourisme régional et de l’hôtellerie haut de gamme. Les hôtels Summerland, Saint-Georges ou encore le Hilton faisaient rêver les élites du monde entier. Avec la guerre civile, le secteur s’est effondré et malgré le retour de la paix dans les années 1990, l’hôtellerie libanaise n’a jamais retrouvé son vernis d’antan. Si le réseau de formation aux métiers de l’hôtellerie est très développé, la qualité du service dans les établissements n’est pas au rendez-vous. Parmi les professionnels du secteur, c’est un secret de polichinelle : recruter une bonne équipe est un véritable casse-tête.
La situation économique est l’un des premiers facteurs explicatifs. Selon Karim Asmar, coordinateur de l’option management hôtelier à l’Institut de gestion des entreprises de l’Université Saint-Joseph, devenu membre de l’Institut Paul Bocuse Worldwide Alliance, « la morosité ambiante n’encourage pas les candidatures en formation hôtelière, malgré la baisse d’activité, le nombre de diplômés reste insuffisant ». Ajoutez à cela le fait que les métiers de l’hôtellerie exigent du temps pour gravir les échelons : « Les Libanais veulent tous être directeurs ! Certes nous formons des dirigeants, mais ils doivent savoir comment faire un lit ou préparer une crème pâtissière avant d’occuper des postes de direction », constate Tanios Kassis, directeur de la formation hôtelière à l’Université La Sagesse de Beyrouth. Dans cette formation post-bac de trois ans en partenariat avec l’École hôtelière de Lausanne en Suisse, un tiers des élèves abandonnent avant d’obtenir leurs diplômes. « Ils nous quittent, car la formation est trop exigeante, continue le directeur. De moins en moins de Libanais acceptent de travailler jeunes dans un métier qui présente de lourdes contraintes, notamment de longs horaires, pour un salaire relativement bas. » Difficile donc de concilier les aspirations des candidats avec la réalité du marché, d’autant que les futurs étudiants manquent d’informations. En effet, au moment de l’orientation professionnelle dans les collèges ou les lycées, peu d’élèves savent vraiment en quoi consistent les métiers de l’hôtellerie.

Manque de pratique

Le manque de formation pratique pendant les études est une autre raison de la baisse du niveau général de la main-d’œuvre dans le pays. Parmi plusieurs dizaines d’écoles techniques, une poignée seulement propose aux élèves de se mettre en situation. La Sagesse est la seule université au Liban à disposer d’un hôtel d’application, c’est-à-dire d’un hôtel au sein de l’école où les étudiants servent de vrais clients.
La majorité des établissements préfère, par manque de moyens, se cantonner à une formation théorique sous forme de cours en classe. Cela veut dire qu’une fois le diplôme en poche, beaucoup d’étudiants n’ont jamais vu un vrai client. Pour Nohad Dammous, cofondateur de Hospitality Services et doyen de l’Institut d’études hôtelières de Dekouané jusqu’en 1995, l’explication tient à des problèmes d’infrastructures. « Les salles de classes et les livres peuvent vous apprendre une partie du métier, mais ce n’est pas tout. Il est nécessaire que les établissements de formation investissent dans de nouvelles infrastructures afin de permettre aux étudiants de se mettre en conditions. »

La tentation de l’émigration

Métier contraignant, méconnu, manque de pratique… ceux qui passent entre les mailles du filet ont encore un obstacle à relever : la tentation de l’émigration. Car les Libanais fraîchement diplômés d’une école d’hôtellerie doivent encore trouver leur place au Liban dans un secteur aujourd’hui en crise. « La crise pousse les établissements hôteliers à réduire leurs coûts. Par conséquent, les rémunérations et les gratifications des employés sont en baisse et leur motivation en pâtit d’autant qu’il faut considérer le phénomène migratoire accentué de la main-d’œuvre », dit Karim Asmar. Avec la baisse du nombre de touristes, la chute des prix des chambres et les restrictions budgétaires imposées par les établissements hôteliers, beaucoup de jeunes voient leurs ambitions freinées. En revanche, à l’étranger, particulièrement dans le Golfe ou les autres pays de la région, leurs compétences sont plus que bienvenues, elles sont recherchées et les opérateurs sont prêts à y mettre le prix. Ce n’est pas un mystère, le niveau de qualifications techniques et le fait d’être trilingue – arabe, français, anglais – désignent les Libanais comme de parfaits candidats aux postes-clés d’un hôtel. Résultat : ils sont de plus en plus nombreux à s’expatrier. « De mon côté, je les encourage à partir, pourquoi s’acharner ici ? » dit Tanios Kassis.

Main-d’œuvre étrangère

Pour compenser les départs, les professionnels de la restauration et du tourisme se tournent vers une main-d’œuvre étrangère et souvent temporaire pour faire tourner leurs établissements au Liban. Moins coûteux, ces travailleurs syriens, irakiens, ou originaires du sous-continent indien sont souvent moins bien formés. Même s’ils n’occupent la plupart du temps que des postes techniques comme femme de chambre, cuisinier ou serveur, cela fait baisser la qualité globale du service et a un effet direct sur la perception du client qui est en contact immédiat avec ces employés. L’augmentation du nombre d’employés syriens va grandissante depuis 2011 avec l’arrivée au Liban de plus d’un million de réfugiés.
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