Un article du Dossier

Immobilier : toujours pas de reprise en vue

L’année 2013 a confirmé le ralentissement du marché immobilier amorcé début 2011, avec la baisse pour la troisième année consécutive des principaux indicateurs du secteur. Cela ne constitue pas vraiment une surprise, vu l’instabilité politique et sécuritaire qui s’est aggravée au Liban et la relative résilience des prix du neuf, même si les rabais consentis sont devenus un secret de Polichinelle. Cette phase d’accalmie pourrait pourtant constituer une bonne nouvelle pour les acheteurs, mieux à même de comparer les produits et de négocier. Quelles sont les perspectives du marché pour 2014 ?

« L’année 2013 a été difficile, les ventes immobilières ont été encore plus lentes qu’en 2012, même pour les plus petites surfaces de moins de 200 m² », constate Makram Zard, directeur général du groupe Zardman, l’un des plus gros promoteurs immobiliers libanais, qui totalise une quinzaine de projets en construction, principalement dans le Metn et la capitale. Il aurait en effet fallu un miracle pour espérer une embellie du marché immobilier, étant donné la dégradation de la situation politique et sécuritaire au Liban depuis plus d’un an. L’enlisement du conflit en Syrie, la vague d’attentats sans précédent dans tout le pays et le vide gouvernemental qui a duré dix mois ont un peu plus fragilisé le moral des acheteurs et des investisseurs. Les appartements invendus se sont multipliés et les principaux indicateurs du marché immobilier ont marqué le pas, confirmant le ralentissement entamé en 2011. Pour la troisième année consécutive, les volumes des ventes immobilières ont diminué – de 7,3 % en 2013 – de même que le nombre de permis de construire attribués par l’administration libanaise, qui a baissé de 10,9 % par rapport à l’année 2012. « Les acheteurs expatriés, qui disposent du plus grand pouvoir d’achat, ont été le plus affectés par le climat politico-sécuritaire. Ils ne constituent plus que 10 à 20 % de la demande contre 40 % lors des années de boom. Ils préfèrent repousser leur retour au Liban, et placer leur argent en attendant d’y voir plus clair sur l’avenir du pays », affirme Joseph el-Chikhani, promoteur et PDG du groupe MCM. « La part des expatriés n’a pas proportionnellement diminué davantage que celle des résidents, estime pour sa part l’agent immobilier Walid Moussa, PDG de PBM. Ils sont toujours intéressés d’acheter des appartements pour investir ou disposer d’un pied-à-terre au Liban, mais il est vrai qu’ils prennent plus de temps pour se décider. » La demande locale, dont le pouvoir d’achat a diminué avec la crise, semble elle davantage freinée par des considérations économiques. Elle s’est placée dans une position d’attente, en espérant que les promoteurs courbent l’échine.

Prix élevés, baisses officialisées

Les prix des appartements neufs restent toujours élevés. Selon une récente étude publiée par l’agence immobilière Ramco Real Estate Advisers, le coût moyen d’un appartement en construction à Beyrouth atteint actuellement
4 331 dollars par mètre carré (sans prendre en compte les marges de négociation en cours). L’étude qui a passé au crible 382 projets de Beyrouth municipe, en prenant comme référence le sixième étage de chaque immeuble, est parvenue à la conclusion que la surface moyenne vendue était de 252 m², pour une valeur moyenne d’un million de dollars. « À Beyrouth, les prix affichés au premier étage d’un immeuble en cours de construction varient entre 1 925 et 7 647 dollars le mètre carré, et il est très difficile de trouver des unités en vente à moins de 2 500 dollars le m² à Achrafié », souligne Guillaume Boudisseau, consultant immobilier chez Ramco. Les prix au mètre carré au Liban sont d’autant plus élevés que la surface nette habitable n’est souvent pas aussi importante que celle vendue, certains promoteurs comptabilisant dans le métrage un maximum d’espaces communs, ou ajoutant de l’épaisseur de murs. « La surface habitable réelle est environ 30 % inférieure à celle qui est vendue, si l’on prend par exemple comme référence la loi française, la loi Carrez. Depuis deux ans, on constate que les acheteurs demandent à connaître dans le détail la surface réelle habitable, c’est un phénomène nouveau », note Georges Khayat, architecte et partenaire du cabinet d’architectes AAA.
Avec la stagnation de la demande depuis près de trois ans, les promoteurs ont cependant consenti à lâcher du lest. « Les réductions des prix étaient officieuses en 2012, elles se sont affichées plus ou moins officiellement en 2013, estime Guillaume Boudisseau. Les tarifs en 2013 ont baissé de 10 % en moyenne, selon l’emplacement et les surfaces des produits, les réductions touchant davantage les produits haut de gamme. Cette correction est tout à fait normale : devant le ralentissement de la demande, certains promoteurs sont obligés de réajuster leurs prix pour espérer vendre. Quand un acheteur potentiel se manifeste, il ne faut pas le lâcher de peur qu’il aille voir ailleurs, et donc ils concèdent des rabais. » Toutefois, les baisses ne se sont pas généralisées à tous les projets, notamment les petites surfaces, et dépendent beaucoup de la solidité financière des promoteurs.
La plupart financent toujours leurs projets au moyen de préventes et grâce à des fonds propres, n’ayant pas forcément recours à des emprunts bancaires avec des remboursements à échéance fixe. « Je préfère ne pas vendre que de voir réduire mes prix, et louer mes unités en attendant que le marché reparte, raconte ainsi le promoteur Joseph el-Chikhani. Mais, comme le font d’autres promoteurs, je suis prêt à me montrer plus flexible dans les modalités de paiement, ou à offrir gratuitement une place de parking en plus que j’aurais autrefois négociée à 20 000 dollars. » Si les promoteurs rechignent à baisser la valeur de leurs unités, c’est qu’ils ne veulent pas rogner leurs marges de profits, ayant souvent investi dans des terrains au prix fort. Ils agissent aussi dans la perspective de l’achat de futures parcelles, pour faire face à la résilience des prix des terrains. « Les prix du neuf à Beyrouth restent encore acceptables pour les Libanais expatriés, mais plus pour la majorité de la demande locale, qui se tourne depuis plusieurs années vers les banlieues de Beyrouth, affirme Makram Zard. Un jeune couple marié avec un budget de 450 000 dollars va préférer acheter un 220 m² dans le Metn plutôt qu’un 110 m² dans la capitale. Les ventes en périphérie de Beyrouth ne sont pas autant affectées que dans la capitale, surtout avec le développement de nouveaux complexes résidentiels très abordables. »

Une phase d’accalmie prolongée en cas de statu quo régional

Afin de soutenir une demande fragile, la Banque centrale a lancé une nouvelle série de mesures, début 2013, en injectant 1,47 milliard de dollars dans l’économie libanaise, en prêtant des fonds aux banques commerciales à un taux d’intérêt de 1 %. Environ 50 % de ces fonds ont été affectés aux crédits immobiliers, offrant aux acheteurs des taux d’intérêt intéressants. Ces prêts bonifiés ne peuvent pas dépasser le plafond de 530 700 dollars pour acquérir un appartement, mais couvrent une partie importante de la demande. « Les prêts subventionnés ont poussé un certain nombre d’acheteurs à finaliser des contrats. Près de la moitié de nos clients ont recours à ces nouveaux prêts, aussi bien pour nos grandes que pour nos plus petites superficies », explique Jemmy Saab, associée et responsable des ventes au sein de la société de promotion immobilière Jamil Saab & Co. En 2013, les crédits au logement ont de nouveau connu une augmentation, mais de 17 %, soit un peu moins qu’en 2011 et 2012, où la croissance annuelle était en moyenne de 27 %. « Les mesures antérieures de la Banque centrale visaient aussi les appartements de plus grandes superficies, ce qui n’a plus été le cas depuis 2013. Cela peut expliquer la différence », note Élias Aractingi, directeur général de la banque de détail de la Blom Blank.
Le plan de la Banque centrale a été étendu à l’année 2014, même s’il sera moins ambitieux : la BDL injectera 800 millions de dollars, destinés aux banques commerciales, afin de soutenir les secteurs immobiliers et technologiques. Près de 600 millions de dollars pourraient venir soutenir les prêts au logement. « Il n’y a pas de raison de s’affoler, le marché n’est pas à l’arrêt, il existe toujours des transactions, en particulier sur les petites superficies, et la phase d’accalmie devrait simplement continuer à se prolonger », affirme le consultant immobilier Guillaume Boudisseau. « Nous constatons moins de demandes en 2013-2014, mais la demande présente est beaucoup plus sérieuse. Elle connaît souvent déjà le produit et vient directement négocier le prix. Et les ventes sur les grandes surfaces continuent, même à un rythme plus lent », assure Jemmy Saab. « C’est le bon moment pour acheter, car il y a beaucoup de produits disponibles. Les appartements actuellement en vente ne seront pas à vendre à des tarifs aussi bon marché le jour où la situation du pays s’améliorera », estime l’agent immobilier Walid Moussa.
La grande inconnue pour 2014 reste bien sûr l’évolution de la situation politique locale et régionale. La formation du gouvernement a donné un premier signal positif, mais d’autres échéances importantes restent à venir : l’élection présidentielle au printemps et les élections législatives, programmées à la fin de l’automne, mais dont la tenue reste encore incertaine. « À moins d’un changement brutal de la situation politique et sécuritaire, le ralentissement de 2013 se prolongera en 2014, avec de moins en moins de nouveaux projets lancés », conclut Maroun Hélou, PDG du groupe de construction Abniah.


Redal, une nouvelle association de promoteurs immobiliers

Redal est une nouvelle association de promoteurs immobiliers lancée en décembre 2013. Elle regroupe 23 membres et certains des plus grands promoteurs du pays, comme Majid al-Futtaim Properties, Trillium Holding, Estates, HAR Properties ou FFA Real Estate. « Nous souhaiterions rassembler 40 à 50 promoteurs d’ici à la fin de l’année 2014 », explique Namir Cortas, président de Redal. L’objectif de l’association est d’exercer un lobbying auprès du gouvernement libanais, afin d’apporter des changements structurels au secteur immobilier. « Nous souhaitons la simplification des procédures administratives. Obtenir un permis de construire est par exemple une procédure très longue, et pas toujours logique, qui oblige de traiter avec quantité d’acteurs, affirme Namir Cortas. Nous plaidons également pour des réductions de taxes. » L’association entend également mettre à la disposition des différents acteurs du marché de véritables statistiques (prix moyen des unités, stock d’appartements en vente…), mais aussi créer des partenariats avec des associations de promoteurs à l’étranger, et améliorer les relations entre promoteurs immobiliers et acheteurs. « Les promoteurs sont des concurrents, mais doivent aussi s’unir pour améliorer la gestion du secteur. Nous nous inspirons du modèle de l’Association des banques libanaises », soutient Namir Cortas.

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