Un article du Dossier

Immobilier : c'est toujours le statu quo

Guillaume Boudisseau, consultant immobilier chez Ramco Real Estate Advisers : « Le promoteur doit se battre pour pouvoir vendre »
Le marché devient de plus en plus concurrentiel. Aujourd’hui, il faut se battre pour pouvoir vendre. Avoir recours à un marketing classique, mettre de la publicité dans les médias ou sur les panneaux publicitaires ne suffit plus. Le promoteur vend davantage sur la base de sa réputation, de sa notoriété, de sa base de données, d’un solide réseau de vente. Il faut qu’il propose un produit à une taille adaptée, avec une bonne qualité de construction et situé à un emplacement recherché. Il doit aussi être capable de trouver le bon timing pour proposer des réductions. Dans la même rue, on peut trouver des produits relativement similaires, mais avec des taux de vente très différents. Le client n’est pas dupe, et sait reconnaître les meilleurs produits. Les promoteurs qui acceptent de baisser leurs tarifs peuvent vendre assez rapidement, car les clients sont à l’affût de belles opportunités, mais prennent le temps de comparer les différentes options sur le marché. La plupart des propriétaires n’ont pourtant baissé leurs grilles de prix que de 5 à 10 %, malgré le ralentissement prolongé, signe que le marché tient encore bon. Certains n’ont parfois pas vendu d’unités depuis deux ou trois ans, mais maintiennent toujours officiellement leurs prix.

Mohammad Arayssi, architecte à Batimat : « La promotion immobilière est devenue une vraie discipline »
Le secteur immobilier a commencé à donner des signes de ralentissement dès le début de l’année 2013, et les promoteurs ont moins fait appel à nous pour exécuter des études rapides du potentiel des terrains. Un certain nombre de bureaux d’architectes ont d’ailleurs réduit leurs effectifs, face à la diminution du volume de travail. Certains clients ont même retardé leurs paiements aux promoteurs, invoquant le climat sécuritaire dans le pays, ce qui a ralenti la construction des projets. En 2014, nous avons été très sollicités pour la réalisation d’intérieurs, mais à la fin de l’année et au début de 2015, la promotion immobilière semble de nouveau en passe d’évoluer, et nous venons de signer deux projets importants au centre-ville, l’un de bureaux, l’autre de logements. Avec l’offre abondante sur le marché, les clients sont de plus en plus pointilleux. Ils veillent à ce que l’espace soit optimisé, surtout pour les petites surfaces, et sont attentifs à la part des parties communes dans le calcul du métrage, faisant parfois venir sur place leurs propres architectes d’intérieur. Ils recherchent aussi des espaces flexibles, dont l’utilisation peut être modifiée dans l’avenir. La promotion immobilière est devenue une vraie discipline, un business organisé. Une tendance qui s’est renforcée depuis l’entrée en vigueur récente des décrets d’application de lois sur la sécurité qui imposent la supervision par des bureaux internationaux des plus grands projets. La réglementation s’appliquera bientôt pour la majorité des projets.

Philippe Tabet, directeur général de HAR Properties : « Il faut des indicateurs fiables du marché de l’immobilier »
L’année 2014 était satisfaisante, principalement grâce aux ventes de notre projet Allée des arts lancé en juin 2014 qui propose des surfaces de 76 à 177 m² à Gemmayzé, près du centre-ville. Pour nos autres projets, U Park à Jisr el-Wati et Aya à Mar Mikhaël, les ventes ont été plus lentes. Il faut constamment proposer de nouveaux concepts aux acheteurs : l’originalité d’Allée des arts est d’offrir des espaces pour des galeries ou des boutiques d’art dans l’entrée de l’immeuble. Aujourd’hui, nous avons plusieurs profils de clients, notamment des couples mariés, des jeunes célibataires ou des personnes divorcées. Le nombre d’expatriés ne dépasse pas 10 % contre 40 % encore en 2012. On trouve moins de spéculateurs, qui achètent dans le but de revendre en encaissant des plus-values, mais davantage de clients qui achètent pour se constituer un patrimoine en profitant d’un revenu locatif. Ils ont une vision plus mûre du secteur immobilier. Nous recevons moins d’appels, mais des appels de qualité. Nous n’avons pas baissé nos prix, nous les avons même augmentés sur Allée des arts depuis juin 2014. Les indicateurs qui existent aujourd’hui pour évaluer le marché immobilier ne permettent pas d’en donner une image fiable. Il est indispensable de créer des indices spécifiques au secteur des logements neufs, évaluant le stock d’appartements sur le marché, la date de la mise en vente ou le prix réel des transactions.

Émilio Khoury, directeur général de l’agence immobilière Metre Karre : « C’est le bon moment pour investir »
Le segment des grandes surfaces de 300 à 500 m² est quasiment à l’arrêt. Dans cette catégorie, une partie des immeubles achevés en 2014 offrent encore plus de 50 % d’appartements en vente. Les Arabes du Golfe qui avaient acheté des appartements au centre-ville en 2009-2010 cherchent à revendre leurs unités, à des prix 20 % inférieurs à ceux du marché, mais ne trouvent pas d’acquéreurs. Début 2015, ils se sont cependant montrés plus optimistes et certains sont revenus sur leur décision de vendre. Les clients aisés à la recherche d’une résidence secondaire se tournent plutôt vers les marchés européens que le marché libanais. La chute de l’euro par rapport au dollar a rendu les investissements en Europe beaucoup plus attractifs. À Beyrouth, l’offre n’est pas encore tout à fait adaptée à la demande, avec une majorité de produits entre 250 et 350 m², alors que les acheteurs recherchent des 100 à 220 m² à partir de 600 000 dollars. Il faudra attendre 2016 et 2017 pour voir les plus petites superficies dominer l’offre. On devrait même voir se développer d’ici à trois ans des studios de 60 m² à l’européenne. Le secteur immobilier traverse un cycle de récession depuis 2012, mais les périodes de stagnation durent rarement plus de cinq ans au Liban. C’est donc le bon moment d’investir, pour les acheteurs qui sont fins connaisseurs du marché et croient en l’avenir du pays.

Shérif Aoun, directeur général de Mouin Aoun Consultants : « Nous visons un marché de niche de petites surfaces »
Nous conservons de bons taux de vente, car nous visons un marché de niche de petites surfaces. Dans le projet Santiago que nous venons de lancer, deux tiers de nos produits sont des studios, avec des superficies à partir de 70 m². Nous proposons des produits de crise dans une fourchette de
280 000 à 400 000 dollars, car depuis deux ans, la demande s’oriente vers ce type d’appartements. Notre clientèle est composée de cadres célibataires résidant au Liban ou de Libanais expatriés qui travaillent dans le Golfe et cherchent à réaliser un investissement ou souhaitent investir dans un pied-à-terre à Beyrouth. Les jeunes couples mariés préfèrent toujours des unités avec trois chambres à coucher, plutôt que d’acheter plus petit et de déménager au bout de quelques années. Un certain nombre de nouveaux projets proposent désormais des appartements entre 80 et 120 m². Le coût de construction des petites surfaces est plus élevé, en particulier parce qu’il faut creuser davantage en sous-sol pour bâtir davantage de parkings, mais la demande pour ces produits est aussi nettement plus forte. Nos grandes surfaces se vendent au ralenti, il n’existe pratiquement plus de demande sur ce créneau. Tant que la situation politique et sécuritaire n’aura pas changé dans la région, le marché devrait stagner. Mais il pourra se débloquer très rapidement en cas d’embellie politique.

Hassan Tajideen, PDG de Tajco : « Nous avons dû réduire nos tarifs de 15 à 18 % dans les grandes surfaces »
Depuis deux ans, nous avons à peine vendu quelques appartements sur nos projets de plus de 350 m² à Ramlet el-Baida, Jnah ou Bir Hassan. Ils ne sont occupés en moyenne qu’à 70 %, bien que livrés ou sur le point d’être terminés. Le prix des unités y dépasse généralement 1,5 million de dollars. Nous avons dû faire des réductions de 15 à 18 % pour parvenir à vendre des appartements. Quand nous avons lancé ces projets haut de gamme dès 2010, une partie de la demande était encore orientée vers les grandes surfaces. Nous sommes parvenus à résister à la crise grâce à notre réputation dans le secteur depuis 20 ans, et des investisseurs réguliers, qui achètent sur plan ou au démarrage de nos projets. Nous avons aussi tenu bon, car nous construisons aussi beaucoup d’appartements bon marché, dans la banlieue sud de Beyrouth et dans le sud du Liban. Les budgets de 150 000 à
300 000 dollars hors de Beyrouth sont toujours demandés par des résidents, qui se marient, et ont besoin d’acheter des appartements, quelle que soit la situation dans le pays. Des investisseurs achètent aussi dans cette catégorie, par exemple à Khaldé, où le prix du mètre carré démarre à 1 700 dollars. Ils comptent faire des plus-values quand le marché repartira. Nous souhaitons développer le créneau des petites surfaces de luxe à partir de 90 m², à 500 000 dollars, qui a du potentiel. En 2016, nous prévoyons de lancer un projet de ce type à Clemenceau.

Aboudi Farkouh, directeur général de CGI SAL : « Certains acheteurs regardent le volume intérieur plutôt que la surface »
Nous avons constaté une baisse notable des ventes depuis 2012, principalement à cause de la hausse des prix de l’immobilier jusqu’en 2010 et de la dégradation de la situation politique au cours des trois dernières années. Les expatriés ne constituent plus que 30% de la demande et les investisseurs moins de 5 %, alors qu’ils représentaient près de 20 % des clients en 2009.
Les superficies de 100 à 150 m² sont les plus demandées, pour des budgets inférieurs à 500 000 dollars.
Dans plusieurs de nos projets, nous avons tenté de diviser par deux nos surfaces supérieures à 600 m² quand cela était possible.
À titre d’exemple, le projet Gemmayzé Village prévoyait à l’origine huit grands duplex que nous avons convertis en 16 simplex de moins de 500 m². Nous avons aussi observé une nouvelle tendance : les acheteurs regardent le volume intérieur et les mètres cubes plutôt que la surface, et sont intéressés par des lofts offrant des hauteurs sous plafond allant jusqu’à six mètres. Avec le ralentissement des ventes, nous avons été plus flexibles dans la négociation et avons proposé des escomptes qui pouvaient atteindre 10 % ces deux dernières années.

Nassib Ghobril, directeur du département de recherche économique à la Byblos Bank : « La classe moyenne peine à acheter des petites surfaces à Beyrouth »
Le ralentissement constaté en 2013 s’est encore accentué en 2014. Certains promoteurs qui ont achevé des projets il y a un an et demi ne parviennent toujours pas à écouler leurs unités. La demande demeure à un niveau très bas depuis 2011. L’indice annuel de la demande immobilière calculé par la Byblos Bank et basé sur une enquête de terrain de 1 200 ménages montre que celle-ci stagne. Les résidents appartenant à la classe moyenne peinent à acheter des petites surfaces à Beyrouth, car les prix sont encore trop élevés. Ils se dirigent vers les banlieues, habitent de plus en plus loin de la capitale. L’activité immobilière ne se concentre plus dans la capitale, mais autour d’agglomérations comme Saïda, Tripoli ou Byblos. Beaucoup de résidents songent à quitter le pays, en raison du manque d’opportunités d’emploi. Les Libanais expatriés préfèrent prolonger leur séjour dans les pays où ils travaillent, sans investir au Liban, en attendant un contexte économique, politique et sécuritaire plus favorable. Certains achètent des pied-à-terre, mais cela ne suffit pas à relancer le marché. Un nouveau segment est porteur, celui des appartements anciens. Beaucoup de grandes surfaces sont disponibles dans des immeubles anciens à des prix très raisonnables. Pour les plus petites tailles, l’offre reste en revanche assez limitée.

Youssef Eid, directeur général adjoint de la BLC Bank : « La plupart de nos clients ont acquis des biens entre 120 000 et 180 000 dollars »
En 2014, la demande de crédits immobiliers a été forte pour les petites et moyennes unités. La plupart de nos clients ont acquis des biens dans une fourchette de 120 000 à 180 000 dollars, pour des superficies variant entre 75 et 125 m². Nos clients ont majoritairement choisi d’acheter en banlieue. En revanche, le secteur a connu un ralentissement pour les appartements entre 150 et 220 m², et les surfaces au-delà de 250 m² ont eu du mal à trouver des acquéreurs. La majorité des transactions dans ces deux gammes de produits a été financée par les prêts subventionnés par la Banque du Liban, qui a une nouvelle fois soutenu la demande en 2014 et 2015, permettant aux familles à revenus modérés d’accéder à la propriété. Très récemment, une circulaire de la BDL a limité l’endettement à 75 % de la valeur du bien et a défini un ratio d’endettement maximum. Mais ces restrictions ne semblent pas avoir eu de répercussions significatives sur le marché dans la mesure où la plupart des banques imposaient déjà des conditions similaires à leurs clients. Avec le ralentissement du marché depuis trois ans, nous prônons une approche plus conservatrice du secteur de la promotion immobilière : nous finançons exclusivement des promoteurs professionnels, exigeant un niveau de préventes de 30 % pour prouver la viabilité du projet, et limitons l’engagement global de la banque sur ce secteur d’activité.
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