Un article du Dossier

Immobilier : faut-il craindre un crash ?

Christian Baz, PDG de Baz Real Estate : « La seule demande est locale »
Le marché immobilier a connu depuis sept ans une série de rebondissements, marqués d’abord par une correction technique en 2010 après l’effervescence des années 2008 et 2009, suivi du début du conflit syrien et de l’afflux massif de réfugiés. Ce dernier épisode aurait pu booster le marché, à travers la demande syrienne, comme cela fut le cas en Syrie lors de la guerre d’Irak et l’afflux de réfugiés irakiens vers le pays voisin. Mais les répercussions du conflit syrien sur le Liban ont été tellement lourdes qu’elles ont empêché une telle dynamique. En parallèle, les constructeurs ont poursuivi leur activité, face à une demande en berne, engendrant un important stock d’invendus d’autant plus important qu’il a été gonflé par des placements purement spéculatifs – voire du blanchiment − qui faussent la donne entre l’offre et la demande… Pour 2017, tous les voyants sont pour le moment au vert, en attendant la traduction de ce regain d’optimisme à partir du printemps prochain. Je ne m’attends donc pas à une baisse des prix. La demande locale a intégré la nouvelle échelle de valorisation foncière, mais elle a muté vers de plus petites surfaces, tandis que les promoteurs ont suivi cette évolution quoique avec du retard. Jusque-là ma société a toujours misé sur la demande externe, notamment celle des expatriés, au point de snober même la demande locale. Nous avions mis tous nos œufs dans un seul panier. Désormais, nous nous rendons à l’évidence qu’il s’agit de la seule demande réelle sur le marché !
Ziad Karkaji, directeur du département immobilier à Premium Projects : « L’année 2017 constituera un tournant »
Le marché est toujours au ralenti et a seulement connu jusque-là un bref sursaut durant les quelques jours ayant précédé l’élection présidentielle et les deux semaines qui l’ont suivie. Je suis confiant néanmoins que l’année 2017 constituera un tournant pour le secteur immobilier et verra la demande progresser. Le problème à l’heure actuelle réside dans le fait que les clients sont devenus plus exigeants et sont uniquement à la recherche de bonnes affaires. Mais cette attitude va, sans doute, évoluer dans les mois à venir vers davantage de réalisme, tandis que les promoteurs seront plus flexibles lors des  négociations, car il en va désormais de leur intérêt. En ce qui concerne notre société, nous avons actuellement cinq projets résidentiels déjà livrés sur le marché : One OAK Residences à Solidere, Sursock Yards, LIV et LIV Saifi à Achrafié, et Mille Huit Cent à Faqra Club. Les produits offerts sont des appartements et des lofts haut standing allant de 90 à 540 m2, tandis que les prix varient entre 4 000 et 7 500 dollars/m2. Nous sommes très optimistes et nous travaillons sur un nouveau projet résidentiel dans un quartier privilégié à Beyrouth, offrant des lofts de petites surfaces.
 
Omar Shantouf, PDG de FFA Real Estate : « Le haut de gamme a été affecté par la crise »
L’ élection d’un nouveau chef de l’État et la formation d’un gouvernement ont insufflé de l’optimisme parmi les consommateurs. Les transactions n’ont pas encore augmenté, mais l’intérêt pour l’immobilier est désormais plus élevé, comme en témoigne le nombre d’appels téléphoniques que nous recevons au quotidien depuis les derniers dénouements. Cela prouve qu’il y a toujours eu un intérêt pour le secteur, mais les acquéreurs potentiels attendaient un meilleur timing. Quant aux prix, ils ont baissé entre 10 et 15 % sur le marché, dans le sillage du ralentissement confirmé en 2016. Cette correction a surtout eu lieu dans le haut de gamme, plus affecté que d’autres catégories. Les prix au centre-ville ont, par exemple, diminué ainsi que ceux des grands appartements proposés à plusieurs millions de dollars ailleurs dans la capitale. En ce qui nous concerne, nous n’avons pas revu les prix à la baisse, car nos projets visent une clientèle de niche et ont été lancés avant le fléchissement du marché. Parmi ces derniers, figure “Ahlam” à Kfardebiane, “Amchit Bay”, un projet de 30 villas en bord de mer dont 70 % a déjà été vendu, et “Uptown Badaro”, dont la majorité des unités a été écoulée avant la crise. Nous n’avons cependant lancé aucun nouveau projet au cours des deux dernières années et avons même commencé à partir de 2014 à proposer à nos clients des options d’investissement en Allemagne et au Portugal. Mais nous sommes toujours à la recherche de nouveaux projets au Liban. Le prochain pourrait voir le jour à Bickfaya.
 
Karl Kenaan, responsable du développement commercial à Sodeco Gestion : « Une correction supplémentaire des prix est inévitable »
Nous assistons depuis six ans à un déséquilibre sur le marché immobilier caractérisé par le cumul d’une offre qui ne répond pas à la demande locale. Les promoteurs ayant acheté leurs terrains durant la frénésie des prix ont subi un ralentissement de la vente de leurs projets, étant donné que la demande locale ou celle des expatriés ne suivait plus. Tout cela a conduit à un stock important d’invendus sur le marché. Ces six dernières années ont été marquées, en parallèle, par une baisse des prix. Lorsque certains parlaient de stagnation à partir de 2011, c’était probablement pour maquiller la réalité du marché. Il ne faut pas avoir peur de parler de baisse des prix. Une correction était inévitable et cela est toujours le cas. Les vendeurs ont néanmoins freiné cette correction, entraînant une diminution du volume des ventes et, par conséquent, une offre encore plus forte par rapport à la demande avec l’arrivée progressive de nouveaux produits sur le marché. L’année 2017 verra certainement une amélioration du volume des ventes. Nous l’avons nous-mêmes constaté durant le mois qui a suivi l’élection d’un nouveau président. Mais cet engouement n’est qu’éphémère, il ne faut pas se voiler la face. Le pouvoir d’achat des ménages n’a pas encore changé. La seule issue possible pour débloquer cette situation réside dans une meilleure gouvernance politique et la mise en œuvre d’un programme économique solide susceptible de doper la croissance de manière durable.
Joe Bitar, directeur général de 4b Architects : « Le marché de l’architecture est également frappé de plein fouet »
Il existe une corrélation entre le marché de l’architecture et celui de l’immobilier. Notre secteur est, par conséquent, également affecté par la tendance baissière. Seuls le segment des universités et des écoles, ainsi que celui de la restauration se maintiennent et concentrent pour l’instant l’essentiel des contrats locaux, mais ces derniers restent très limités. Les architectes libanais travaillent beaucoup, en revanche, à l’international, notamment dans le Golfe et en Afrique. Dans le cas de notre société, 50 % des revenus provenaient de l’étranger jusqu’en 2014. Cela a atténué l’impact de la crise. Mais la configuration a commencé à changer il y a deux ans en raison de la chute du prix du pétrole et l’entrée du Golfe en crise. Beaucoup de bureaux n’étaient plus payés pour des projets déjà exécutés, surtout en Arabie saoudite, tandis qu’il y a eu un coup de frein aux nouvelles commandes. En Afrique, notamment au Nigeria et en Algérie, tous les projets ont été suspendus. La plupart des cabinets libanais ont dû, par conséquent, réduire la taille de leur personnel, tandis que les honoraires sont en baisse en moyenne de 30 %. Certains cabinets de petite taille ont même mis la clé sous la porte. Pour contourner cette double crise, les architectes explorent désormais de nouveaux marchés, comme le Congo, la Côte d’Ivoire, ou le Turkménistan, et réduisent, en parallèle, leurs marges, en les divisant parfois par deux.
 
Fadi Jreissati, PDG de Sakr Real Estate : « Les facilités de paiement sont essentielles pour redynamiser le marché »
Le marché immobilier est structurellement relié à la stabilité politico-sécuritaire dans le pays, d’où un certain optimisme parmi les promoteurs pour l’année en cours, après les récents dénouements positifs sur la scène locale. Ces derniers se sont d’ailleurs répercutés sur l’humeur des clients. Quant aux expatriés, qui représentent 50 % de nos ventes, ils ne sont certainement pas insensibles à ces signaux positifs, tandis qu’il est probable que s’infléchisse à nouveau la tendance ces dernières années des propriétaires originaires du Golfe à brader les appartements achetés au Liban qui s’apparentait à du dumping. Mais il ne faut pas s’attendre à une euphorie imminente ni à une réelle relance avant l’été prochain. D’autant que le pouvoir d’achat des résidents reste assez faible, après plusieurs années d’érosion. En attendant, il est essentiel de redynamiser la demande locale à travers des mesures incitatives, comme celle prise par la Banque centrale (avec l’émission de la circulaire n° 427, NDLR) ou encore par la Banque de l’habitat qui a réduit en début d’année ses taux d’intérêt de 5 à 3 % sur les prêts au logement. De notre côté, nous proposons désormais des facilités de paiement directes jusqu’à dix ans et sans intérêt. L’objectif est d’encourager les acheteurs potentiels, sachant que seuls cinq appartements n’ont pas été écoulés sur les 58 unités de notre projet “Batrouna Park”, en cours de livraison, et que 81 % de notre deuxième projet, “Admir”, a déjà été vendu.
Michel Georr, PDG de CGI-Saradar Group : « Nous sommes optimistes pour 2017 »
La situation actuelle du marché immobilier semble stagnante même si les marques d’intérêt ont sensiblement augmenté depuis l’élection présidentielle. Il faudra attendre plusieurs semaines avant que les frémissements actuels se traduisent en une véritable tendance. Un nouveau gouvernement, un retour en grâce du Liban auprès des pays du Golfe et le conflit syrien qui se décante sont autant de facteurs qui nous rendent optimistes pour 2017. En ce qui nous concerne, c’est l’année au cours de laquelle nous rendrons public notre projet des Cèdres. Il s’agit d’un développement résidentiel et touristique d’envergure dans une région inexploitée et prometteuse. Nous avons déjà démarré le chantier d’infrastructures en 2016. En 2017, nous célébrerons aussi l’achèvement de Abdel Wahab 618, l’émergence de Urban Dreams et le dévoilement de Place Pasteur dont on devrait voir les finitions en fin d’année. Quant aux prix, vu que nos projets ont un financement sécurisé et que nos chantiers progressent ou sont terminés, nous arrêtons les offres consenties en 2016 et opérons un resserrement des prix, même si nous maintiendrons, conditions du marché obligent, une certaine flexibilité. Saradar continuera également de proposer des opportunités immobilières à l’étranger. Après Londres, Seattle et Abidjan, nous envisageons plusieurs nouveaux projets pour 2017.
Karim Jabbour, directeur de la société Masharii : « Plus de 10 000 appartements invendus à Beyrouth »
Le clou de la dépression du marché immobilier amorcée en 2013 s’est enfoncé l’an dernier. Désormais, le stock d’invendus à Beyrouth s’élève environ à deux millions de mètres carrés, soit plus de 10 000 appartements. Mais cette morosité ne concernait pas que la capitale et ses environs. À Tyr, où nous disposons de quelques projets, la demande était aussi atone en 2016. En parallèle, une nouvelle tendance est apparue sur le marché au cours des dernières années, marquée par un nombre croissant de projets résidentiels construits au compte de leurs propriétaires. La politique de la Banque centrale, notamment l’émission de la circulaire 427, autorisant la création de fonds immobiliers, devrait permettre de résorber le stock d’unités invendues et de contribuer ainsi à tendre vers un certain équilibre entre l’offre et la demande. Mais l’impact ne sera pas, à mon avis, à la hauteur du nombre d’invendus. Pour 2017, les perspectives sont certes plus optimistes. Nous lançons un nouveau projet, baptisé “Retro 67”, à Gemmayzé, composé de très petits appartements ultramodernes de 67 à 102 m2, valorisés à partir de 3 800 dollars/m2. Cela correspond à notre avis à la demande actuelle des résidents : des produits haut de gamme, de petite taille et abordables. Mais le marché a besoin d’un choc majeur pour redémarrer. Cela pourrait être le développement du secteur gazier au Liban, un accord de paix en Syrie et/ou un rapprochement entre Riyad et Téhéran, qui se répercuteraient positivement, pour ce dernier, sur les investissements immobiliers en provenance de la diaspora libanaise établie dans le Golfe. En attendant, les promoteurs sont de plus en plus nombreux à se tourner vers les marchés extérieurs. Notre société a déjà acquis un terrain à Limassol pour y construire une tour baptisée “Terra Tower”. Elle sera située dans une zone où les propriétaires étrangers sont éligibles à l’obtention du passeport chypriote. 
Georges Nour, PDG de GRIDS : « La charge foncière devrait osciller entre 600 et 1 200 dollars/m2 »
Le secteur immobilier au Liban est dans une phase transitoire, avec des zones émergentes et des projets bâtis sur de nouvelles bases et des règles ou des paramètres en redéfinition. Tout cela tend vers la création d’un potentiel certain d’acheteurs autochtones. Tant que ce socle de clientèle locale n’est pas solide, le marché continuera de souffrir. Certes le Liban jouit désormais d’une certaine stabilité sécuritaire et politique, mais tout est loin d’être joué. Il faut que les prix deviennent plus réalistes et que l’ensemble des agents du secteur réfléchissent en termes de charge foncière, de sorte à aligner cette dernière sur le prix du marché. Pour s’assurer d’une nouvelle reprise, celle-ci devrait osciller entre 600 et 1 200 dollars le mètre carré. À défaut, le secteur ne redécollera pas. Il ne faut pas oublier que l’envolée des prix après les accords de Doha en 2008 était en grande partie due à la spéculation et au pouvoir des fonds d’investissements et des particuliers aisés, notamment celui des investisseurs des pays du Golfe et des expatriés libanais. Je ne m’attends pas, pour autant, à un crash des prix dans les mois à venir, mais plutôt à une adaptation. Le problème réside, en revanche, au niveau du stock de produits dont les terrains ont été acquis durant la période où les prix avaient atteint leur pic.

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