Des investissements bien répartis

Afin de rendre l’écosystème le plus efficace possible, la Banque centrale tente de répartir l’argent disponible entre des fonds d’investissements qui ne visent pas tous les mêmes entreprises.
« Les pièces du puzzle sont en place, l’entrepreneur peut trouver du soutien à toutes les étapes de sa croissance », dit Abdallah Yafi, cofondateur du fonds  BY Ventures, doté de 50 millions de dollars. Des fonds tels BY Ventures ou Phoenicia Funds se concentrent sur les premiers apports, dits “seed” avec un ticket inférieur à un million de dollars tandis que d’autres comme Berytech II vont plutôt vers des séries A et enfin de plus gros fonds comme Leap Ventures, ou Impact de MEVP visent des investissements de série B, soit dans une fourchette d’un à sept millions de dollars. Toutefois, quand une entreprise commence à conquérir des marchés étrangers, certains acteurs de l’écosystème pensent que la provenance des fonds devrait être davantage diversifiée. « Les investissements de série B ne devraient pas venir uniquement du Liban, car à ce stade, l’entreprise est au moins régionale donc ses soutiens financiers devraient refléter cette croissance », explique Walid Hanna, du fonds MEVP doté de 70 millions de dollars.

Les clés du succès : une équipe forte, un produit testé, une ambition régionale

Les investisseurs s’accordent sur le fait que le principal critère qui guide l’allocation des fonds est la qualité de l’équipe d’entrepreneurs et la viabilité du produit.
« Je recherche une start-up qui a déjà testé son produit en bêta et qui est prête à entrer sur le marché. Ce produit doit apporter une solution à un problème qui touche notre région, nous ne sommes pas là pour résoudre les défis du marché américain », affirme Bassel Attieh, partenaire du fonds Cedar Mundi Ventures, qui gère 50 millions de dollars.
Si certains privilégient les innovations inédites, comme Leap Ventures, la plupart s’accordent pour dire que le fait d’adapter un produit déjà couronné de succès en Occident au marché arabe est aussi une logique viable. « Il faut être réaliste, on sait que beaucoup d’entrepreneurs sont inspirés de ce qui se fait ailleurs pour les adapter aux spécificités du marché. La qualité de la connexion Internet, par exemple, fait que sur le marché de la musique en ligne, Anghami est plus populaire au Moyen-Orient que les géants Deezer ou Spotify », explique Walid Hanna. Quoi qu’il en soit, l’ambition doit être au moins régionale. « Il est indispensable que les entrepreneurs libanais se projettent à l’étranger et d’abord dans la région Mena », explique Bassel Attieh, qui facilite à travers Cedars Mundi Ventures la pénétration du marché du Golfe aux entreprises où il investit. « Les entrepreneurs libanais ont la chance d’être obligés à penser global dès le départ. C’est un avantage, car aux États-Unis par exemple on pense américain puis on a du mal à s’adapter à l’international », dit Philipp Stangl, directeur général du fonds d’investissements autrichien Pioneers Ventures.

Les risques du modèle libanais

Avec 600 milliards de dollars de prêts garantis par la Banque centrale, le Liban a le sentiment d’avoir créé un écosystème solide, capable d’accompagner les entrepreneurs à travers les différentes étapes de développement de leurs projets. Les observateurs étrangers toutefois, mettent en garde contre les effets pervers d’un système si sécurisé. «  Quand il y a beaucoup d’argent disponible et que les investissements suivent une logique descendante (top down), cela risque de fragiliser l’esprit d’entrepreunariat », explique Marvin Liao du fonds américain 500 Startups. Le risque est de voir les entrepreneurs se reposer sur la certitude d’être financés, au détriment de la qualité du travail. « Il faut bien comprendre que quelqu’un qui monte sa start-up renonce à sa vie sociale pendant des années, car il travaille en permanence », fait remarquer Ahmad el-Alfi, président du fonds d’investissements égyptien Sawari Ventures. Keith Teare, cofondateur de Techcrunch, un site d’information américain spécialisé dans l’actualité des entreprises, abonde dans le même sens : « Ici, on a le sentiment que les entrepreneurs s’attendent à recevoir de l’argent du système. Aux États-Unis, ce n’est pas le cas, on a une approche beaucoup plus ascendante (bottom-up). On a un emploi à plein-temps et en plus on va travailler des heures et des heures sur un projet qui peut- être un jour deviendra une start-up. Cela fait de nous des combattants », dit-il.

Accepter l’échec

Si on parle beaucoup des succès de l’entrepreunariat libanais, on parle moins de ses échecs, pourtant ils existent bel et bien et font partie du cycle économique. « La perception de l’échec a beaucoup évolué. Il y a quelques années encore c’était très mal vu de ne pas réussir, mais aujourd’hui, on commence à comprendre que c’est une expérience qui peut au contraire être valorisée », explique Henri Asseily, cofondateur de Leap Ventures. Même son de cloche chez Berytech. « Nous sommes prêts à accompagner les échecs jusqu’au bout tant que l’entrepreneur est honnête. »
Le point de vue de Marwan Kheireddine,
président de la Banque al-Mawarid, l’une des seules banques libanaises qui investit directement auprès des entrepreneurs


« Nous recherchons des projets qui sont rentables et à fort potentiel de croissance.
Nous privilégions les innovations dans le domaine de la fintech. Les banquiers ont une vision conservatrice de l’économie. Ne venez pas chez nous avec de bons sentiments en disant que vous avez beaucoup travaillé. Si vous voulez qu’on investisse dans votre affaire, montrez-moi vos chiffres et prouvez-moi que vous allez me faire gagner de l’argent. »