Les stars libanaises d’Instagram aiment la mode, les voyages et les selfies. Mais derrière leurs images glossy se cachent en réalité des stratégies économiques bien léchées. Pour certaines jeunes femmes, Instagram est devenu un métier. Elles sont les nouvelles alliées des agences de publicité.

Rita Dahdah, alias riri_dada, a 94 000 abonnés sur Instagram. Depuis presque trois ans, publier des photos d’elle est devenu son activité principale. Chaque cliché, chaque légende et chaque hashtag est élaboré avec soin. Pour cause : durant la première moitié de 2016, elle a empoché 15 000 dollars. Son secret : se faire payer par des marques pour faire figurer leurs produits dans ses photos.
« Au début les marques m’envoyaient spontanément des produits et je les intégrais aux photos si je les aimais bien, puis j’ai commencé à imposer mes tarifs. » Dans le cas de Rita, c’est 800 dollars pour une photo, sur la base d’un tarif de 10 dollars pour 1 000 “followers”. Mais cette base tarifaire varie suivant le contenu de la photo mise en ligne et la marque. Les contrats nécessitant des séances avec un photographe ou les collaborations à long terme sont tarifés différemment.

De la publicité discrète et ciblée

« La raison qui pousse les annonceurs à travailler avec des personnalités suivies sur les réseaux sociaux est simple : une personne fera toujours davantage confiance à une autre qu’à une marque. Si vous voyez que quelqu’un que vous suivez sur Instagram est allé dîner dans tel restaurant par exemple, vous aurez davantage envie d’y aller que si vous voyez une publicité classique pour le même restaurant », explique Samer Shoueiry, directeur régional de la stratégie et de l’innovation à l’agence de publicité Leo Burnett.
L’intérêt principal pour les marques est de pouvoir faire de la publicité ultraciblée sans en avoir l’air. « Grâce aux réseaux sociaux, les marques internationales savent directement à qui elles s’adressent. Elles peuvent ainsi adapter leur message et leurs stratégies de communication au marché local », explique Serene Abbas, une ancienne de l’agence de publicité JWT et fondatrice de Raghunter, une plate-forme de bons conseils shopping basée à Beyrouth.
Les professionnels de la publicité intègrent désormais les stars des réseaux sociaux, désormais baptisées “influenceurs”, à leurs campagnes au même titre que les médias traditionnels. Pourtant, les budgets alloués n’ont rien à voir. À Leo Burnett, une collaboration avec une personnalité qui comprend plusieurs publications sur Instagram, Facebook ou d’autres plates-formes est payée entre 5 000 et 50 000 dollars, tandis qu’une campagne classique se chiffre en centaines de milliers.
Mais tous les annonceurs n’ont pas encore franchi le pas du paiement de ce type d’outil de promotion. Les grandes enseignes de luxe par exemple prêtent des produits, en donnent parfois, mais n’ont pas de budgets publicitaires dédiés à ces “collaborations”.

Une relation de confiance fragile

Car la clé du succès repose sur le maintien de l’ambiguïté : faire de la publicité sans en avoir l’air. Sur les réseaux sociaux, les marques inscrivent leurs produits dans le récit de la vie quotidienne des jeunes femmes. Un voyage peut être l’occasion de promouvoir un hôtel ou une voiture, une après-midi à la plage aidera à vendre des cosmétiques ou une boisson. Mieux encore, les marques accompagnent leurs nouvelles ambassadrices dans les étapes importantes de leur vie. Un mariage ou la naissance d’un enfant par exemple sont de formidables occasions de faire un coup de marketing. Sur de tels événements, les montants des collaborations peuvent dépasser les 100 000 dollars, selon une jeune femme qui en a fait l’expérience et souhaite rester anonyme. Ces tranches de vie sont aussi l’un des seuls moments où les marques peuvent cibler les hommes, qui jusqu’à présent au Liban ne jouent pas des rôles “d’influenceurs”. Jeune marié ou père comblé, ils s’intègrent au récit virtuel de la vie de leur compagne.
Pour autant, si les marques bénéficient de la relation qui existe entre la propriétaire du compte Instagram et ses abonnés, elles courent aussi le risque de détruire cette confiance. De fait, la majorité des jeunes femmes ne disent pas directement à leurs abonnés qu’elles font de la publicité pour telle ou telle marque. « J’intègre les produits à mon quotidien, c’est plus convaincant. Je ne ferai cependant jamais de la publicité à un produit que je n’aime pas, car mes followers cesseraient de s’identifier à moi », dit Rita Dahdah.
« Il est difficile de savoir à quel point le public est conscient qu’il s’agit de publicité. Mais il est certain qu’il faut rester cohérent. Changer de shampoing préféré tous les deux jours n’est par exemple par crédible », dit Serene Abbas.

Une présence sur plusieurs plates-formes

De belles images ne suffisent pas à construire une personnalité virtuelle durable. En plus d’un compte Instagram, ces jeunes entrepreneuses ont souvent un blog, voir d’autres comptes sur les réseaux sociaux. Lana Sahely, alias larmoiredelana, a l’une des stratégies les plus abouties au Liban en la matière.
« J’ai un blog, mais suis aussi présente sur Twitter, Facebook, Snapchat et récemment YouTube. Quand je m’associe avec une marque, nous négocions des parutions sur toutes ces plates-formes », explique-t-elle. Pour une collaboration annuelle avec une enseigne internationale, Lana Sahely empoche entre 50 000 et 80 000 dollars. De quoi financer le lancement d’une ligne de produits exclusifs pour L’Armoire de Lana et un service de e-commerce.
Sur Instagram aussi, le e-commerce est une source de revenus. Via des plates-formes comme LIKEtoKNOW.it, il suffit de “liker” une photo sur Instagram pour recevoir un e-mail proposant d’acheter les produits contenus dans le cliché. Rita Dahdah utilise ce service. À chaque vente générée par une de ses photos, elle touche 15 %.

Le Liban, en retard par rapport au Golfe

Si les Libanaises prennent une place grandissante sur les réseaux sociaux, ce n’est rien à côté de leurs rivales du Golfe qui comptent leurs abonnés en millions. « C’est une tout autre échelle. Les marques et les agences de publicité sont majoritairement basées dans le Golfe où les “influenceurs” travaillent tout de suite à l’échelle régionale, tandis qu’au Liban le marché est restreint », explique Serene Abbas.
Les pays du Golfe sont globalement plus connectés que le Liban et donc plus mûrs pour s’adapter à ce nouveau phénomène. Selon une étude menée par la société de communication BPG Cohn & Wolfe, 71 % des résidents des Émirats arabes unis âgés de 18 à 40 ans sont influencés par des personnalités des réseaux sociaux lors de leurs achats. Certaines Libanaises ont trouvé la parade et se lancent depuis l’étranger.

3 “it girls” libanaises au Liban
Lana Sahely
@larmoiredelana
167 000 abonnés.
Nadia Mneimne
@nadiamneimne
107 000 abonnés.
Rita Dahdah
@riri_dada
94 000 abonnés.

3 “it girls” libanaises à l’étranger
Jessica Kahawaty
@jessicakahawaty (Australie)
257 000 abonnés.
Karen Wazen Bakhazi
@karenwazenb (Dubaï)
241 000 abonnés.
Samar Seraqui de Buttafoco  @ulap (France)
105 000 abonnés.

3 “it girls” du Golfe
Huda Kattan
@hudabeauty (Dubaï)
16,9 millions d’abonnés.
Ola al-Fares
@olaalfares (Dubaï)
3,1 millions d’abonnés.
Dalal al-Doub
@dalalid (Koweït)
2 millions d’abonnés.