Le groupe Noura, qui détient en France les établissements de restauration du même nom mais aussi, depuis deux ans, l’enseigne internationale de restauration rapide Lina’s, poursuit avec assurance son développement. Gérée selon une organisation “traditionnelle” qui intègre toutes les étapes, de l’achat jusqu’à la distribution, la “petite” entreprise de la famille Bou Antoun se lance désormais dans la franchise.

Ziad est le plus jeune des trois frères Bou Antoun qui, avec leur père Jean-Paul, font “tourner” Noura, la holding familiale de restauration libanaise en région parisienne. Préposé à la communication, c’est à lui qu’est revenu, en septembre, la tâche d’annoncer le redéploiement de l’enseigne internationale de restauration rapide haut de gamme, Lina’s, que la famille s’est “offerte” en 2013. À l’origine, Noura envisageait l’acquisition d’un seul magasin de la marque. « Nous avions de bonnes relations avec l’ancien propriétaire et la discussion s’est élargie », raconte simplement Ziad Bou Antoun. Coût de l’opération ? « Nous sommes très discrets. Le montant de cet achat reste secret. » Seuls les chiffres d’affaires des deux enseignes, Noura – 35 millions d’euros – et Lina’s – 20 millions d’euros –, lui échapperont lors de l’entretien.
Les créateurs de ces deux enseignes se connaissaient. Lina Ghosn et Jean-Paul Bou Antoun, tous les deux d’origine libanaise, ont ouvert leur premier restaurant à Paris la même année, en 1989. La première a innové en lançant un concept de restauration rapide haut de gamme tandis que le second a offert aux Parisiens de découvrir la cuisine libanaise sous une forme nouvelle. « Les quelques restaurants libanais présents à l’époque à Paris étaient déjà très réputés, rappelle Ziad Bou Antoun. Mon père a fait la différence en créant l’idée de l’assiette composée plus adaptée aux habitudes de consommation des Européens. Il a été critiqué pour cela. Mais aujourd’hui, tout le monde fait pareil. » Les deux enseignes ont cependant évolué différemment. Noura a misé sur la croissance interne, lentement mais sûrement, alors que le modèle de Lina’s repose depuis 1994 sur la franchise, avec de nombreuses boutiques en France et à l’international. Au moment de son rachat au fonds de placement français Cogexco, le réseau Lina’s comptait 55 établissements, dont deux seulement étaient gérés par le franchiseur lui-même, à Paris. Passé de fonds de pension en fonds d’investissement à partir de la fin des années 1990, la marque semble avoir pâti d’une stratégie davantage financière qu’industrielle. « Le concept souffrait d’un déficit de renouvellement et d’innovation, analyse Ziad Bou Antoun. Beaucoup de boutiques ont fermé entre 2011 et 2013, ce qui a laissé les concurrents s’installer dans le paysage. » Alors qu’elle était négative avant sa reprise par Noura, Lina’s affiche depuis 2014 une rentabilité positive.

Un développement lent, mais solide

Pourtant, se retrouver à la tête d’une franchise n’allait pas de soi pour Noura. La culture entrepreneuriale de la famille n’est pas à la délégation ni à la croissance rapide, deux principes de la franchise. « Nous n’avons jamais eu de plan de développement avec objectifs chiffrés, ni l’ambition d’ouvrir quantité de magasins, insiste Ziad Bou Antoun. Lorsque l’opportunité d’un bon emplacement se présente, nous la saisissons. Et nous attendons d’avoir remboursé un investissement avant d’en lancer un autre. » Cette gestion « en bon père de famille » a porté ses fruits. Vingt-six ans après l’ouverture du premier restaurant avenue Marceau à Paris, la santé financière de Noura est solide. N’ayant connu aucune fermeture, elle fait aujourd’hui travailler environ 480 salariés dans douze établissements – des restaurants gastronomiques, d’autres de type “brasserie”, des boutiques-traiteurs – auxquels s’ajoute un service de livraison-traiteur. Elle tient des stands éphémères sur des sites « à belle image » comme les qualifie Ziad Bou Antoun – grands magasins, salons professionnels et, l’été dernier, le palace Carlton InterContinental de Cannes. Et, fait moins connu, dirige deux restaurants italiens sous la marque Prego, à proximité des restaurants Noura de l’avenue Marceau et de Val-d’Europe (proche d’Euro Disney).
La récente croissance de Noura qui, depuis 2013, a ouvert trois restaurants, tenu deux stands éphémères au Printemps Haussmann et, bien sûr, racheté Lina’s, peut s’appuyer sur ses deux laboratoires de production nommés Naya, installés en banlieue parisienne à partir de 2009. Ceux-ci gèrent 90 % des achats de l’entreprise et produisent toute la nourriture servie chez Noura, à l’exception de ses deux restaurants de type gastronomique, le Pavillon Marceau et le Zyriab de l’Institut du monde arabe. La centralisation de la production permet de garantir, quel que soit l’établissement fréquenté, une prestation de qualité homogène et de faire des économies d’échelle substantielles. C’est là aussi que de nouvelles créations culinaires devraient voir le jour dans les prochains mois. « Pour s’installer et se maintenir au niveau des plus grands traiteurs français, l’innovation est un facteur très important, insiste le porte-parole de Noura. Nous souhaitons créer un univers Noura rythmé par des créations saisonnières. » La bûche de Noël aux saveurs orientales, qui doit être mise en vente à l’occasion des prochaines fêtes de fin d’année, se présente comme le point de départ de ce nouveau positionnement stratégique.

Reprise en main du réseau Lina’s

Après ces trois années d’une dense activité, à laquelle s’est ajoutée la gestion du contentieux avec l’Institut du monde arabe, Noura se concentre désormais sur la rénovation d’une partie de ses restaurants et la reprise en main de Lina’s. Tous les franchisés de cette dernière ont été passés en revue. Les services administratifs des deux entités ont fusionné. La logistique de Lina’s France, ses achats et sa production ont été regroupés dans les laboratoires Naya. Les gammes de produits ont été revisitées et l’offre élargie. « Nous souhaitions harmoniser la fourniture des matières premières du réseau Lina’s en France et fabriquer des produits signés Lina’s, afin d’améliorer le rapport qualité/prix de son offre », explique Ziad Bou Antoun. Enfin, le concept visuel de la marque en France a été profondément transformé, pour proposer des lieux “cosy”, sur le modèle de l’appartement parisien typique, avec parquets et moulures. « Au Liban où notre franchisé dirige quatorze établissements, les clients peuvent passer l’après-midi chez Lina’s, constate Ziad Bou Antoun. On s’est un peu inspiré de cette pratique pour élargir l’offre et modifier les usages dans nos autres magasins. »
Grâce à une structuration plus solide, une nouvelle phase de développement peut commencer pour le réseau Lina’s. Le franchiseur a inauguré deux nouveaux magasins en propre en septembre et octobre, rue de la Boétie et au Printemps Haussmann à Paris. Ils viennent s’ajouter aux quatre magasins déjà détenus par le franchiseur en France et seront rejoints par deux nouvelles boutiques parisiennes. La première doit ouvrir en janvier place du Maréchal Juin et la seconde d’ici à fin mars avenue Pierre 1er de Serbie. Quant aux franchisés, présents principalement à l’international – trois boutiques seulement à Paris – et organisés en master franchises, ils poursuivent aussi leur croissance. Au Liban, deux nouveaux magasins ont ouvert, en juillet et en novembre. À Séoul, un nouveau magasin a ouvert à l’aéroport tandis que le Qatar a inauguré un second établissement en novembre. Des discussions sont en cours pour implanter la marque à Londres et dans des villes françaises. « Désormais, en tant que franchiseurs, nous accompagnons et suivons de près les franchisés qui se développent », insiste Ziad Bou Antoun.
Après avoir infusé sa méthode à Lina’s, Noura envisage à son tour de s’inspirer de son modèle et réfléchit sérieusement à la création de son propre réseau de franchisés, afin d’élargir sa présence aux grandes villes de province françaises et aux capitales étrangères. « Il n’y a rien d’officiel encore », insiste Ziad Bou Antoun. Mais, quoi qu’il en soit, assure le porte-parole de Noura, « les franchisés seront sélectionnés de manière drastique et suivis de près ». Pas question d’abandonner la philosophie qui fait le succès de la famille : une gestion intégrée et une offre maîtrisée.

Difficile mariage avec l’Institut du monde arabe

Les déboires de Noura avec l’Institut du monde arabe ont débuté tout juste après avoir emporté, à l’automne 2007, le contrat d’exploitation de 10 ans du restaurant le Zyriab installé au dernier étage de l’Institut du monde arabe à Paris. La famille Bou Antoun les attribue à la mauvaise volonté administrative de son prédécesseur déchu au jeu de l’appel d’offres et explique avoir mis plusieurs mois à résoudre un conflit social lié à la reprise des salariés. Six ans plus tard, l’arrivée de l’ancien ministre Jack Lang à la tête de l’Ima est à nouveau source d’ennuis. « Dès le début, il nous a fait savoir qu’il n’aimait pas la cuisine libanaise ni Noura, se rappelle Ziad Bou Antoun. L’Ima a commencé à nous reprocher un tas de choses non vérifiées, de l’hygiène aux normes de sécurité en passant par la qualité de la nourriture. » L’objectif était avec un tel dossier de résilier le contrat avant terme. Le contentieux a été porté devant le tribunal de commerce de Paris qui, en mai dernier, a débouté l’Ima et annulé la résiliation. L’Ima a fait appel. L’audience a eu lieu en novembre. La date du délibéré était encore inconnue à la mi-décembre.
Entre-temps, un autre litige a opposé les deux parties, autour de factures impayées. « Jack Lang consommait tous les jours et laissait des notes importantes. On pouvait attendre jusqu’à neuf mois leur paiement, quand elles étaient réglées... » Lorsque le crédit accumulé a atteint quelque 40 000 euros, l’affaire a filtré dans les médias, poussant finalement les intéressés à régler l’ardoise.