En volume, les exportations de vins libanais à l’étranger ont baissé de 20 % depuis 2009. Les producteurs compensent cependant cette réduction en augmentant leur prix, ce qui leur permet de maintenir une balance excédentaire. Une stratégie commerciale discutable alors qu’a contrario les importations de vins étrangers au Liban se portent à merveille : ventes et volumes sont en hausse, portés par des premiers prix abordables.

Le marché des vins libanais à l’export serait-il en pleine décélération ? Oui, si l’on en croit les statistiques des douanes. Les ventes de vins libanais à l’étranger ont certes progressé en valeur entre 2009 et 2012. Avec 14,3 millions de dollars en 2012 (+26 % par rapport à 2009) générés à l’export, le Liban est même un exportateur net de vin (+2,2 millions de dollars en 2012). Une tendance qui se confirme sur les neuf premiers mois de l’année 2013, pendant laquelle les douanes ont enregistré 11,06 millions de dollars d’exportations de vins. Mais les réjouissances ne vont pas plus loin. Car cette hausse des exportations en valeur dissimule en fait une baisse des volumes vendus avec seulement 1,93 million de bouteilles exportées en 2012 (-20 % par rapport à 2009). Rien qu’en 2012, les ventes à l’étranger ont connu une chute de l’ordre de 6 %, toujours en volume…
Comment expliquer pareil écart ? Il faut sans doute chercher du côté du prix de vente des bouteilles qui a grimpé en flèche. Selon les calculs de la BlomInvest Bank, qui a publié un rapport en juillet 2013 sur ce sujet, la bouteille se vendait 4,74 dollars en 2009 en moyenne sur les marchés étrangers ; en 2012, la même bouteille a atteint 7,4 dollars. Soit tout de même une hausse de 56 % en l’espace de quatre ans !
Pour l’heure, la hausse des prix compense largement la baisse des volumes. Mais jusqu’à quand ? Car a contrario, les importations de vins étrangers au Liban se portent à merveille. Elles progressent encore, malgré les taxes douanières qui pèsent sur elles (35 % pour les vins européens dits de qualité, 56 % pour les autres vins européens, 70 % pour les vins non européens).
Serge Hochar, PDG de Château Musar et nouveau président de l’Institut de la vigne et du vin, un organisme qui a vu le jour à Beyrouth en 2013 pour promouvoir les vins du Liban, confirme la hausse constatée des prix, qu’il explique par l’augmentation des coûts de production répercutés sur les prix de vente : « Tous les postes explosent : le prix des terrains, des produits phytosanitaires ou des raisins… Le Liban n’est pas le seul pays dans ce cas : dans le monde entier, les coûts de production en hausse conduisent à une augmentation des prix de vente au détail », assure-t-il. D’autres l’expliquent par la montée en gamme des vins vendus à l’étranger.
Mais cette explication n’est pas généralisable : Château Ksara, par exemple, qui truste environ 50 % du total des exportations libanaises avec un peu moins d’un million de bouteilles vendues à l’étranger en 2012, selon les chiffres fournis par le vignoble, assure n’avoir pas constaté de changement radical dans les demandes du marché : « Notre entrée de gamme, La Réserve du Couvent, continue de se maintenir en tête de nos exportations. »

Quelle stratégie commerciale ?

Si aucune explication évidente n’émerge, la corrélation entre la baisse des volumes et la hausse des prix pose tout de même une question cruciale : celle de la stratégie commerciale des principaux acteurs du secteur vinicole libanais à l’étranger. Et ce d’autant que la concurrence est rude sur ce marché, comme en témoigne l’évolution des importations de vins étrangers au Liban. Selon les douanes, la valeur des importations de vins étrangers au Liban a progressé de 14 % depuis 2009 pour atteindre 12,1 millions de dollars en 2012. Sur les neuf premiers mois de 2013, les douanes enregistrent 8,76 millions de dollars de vins étrangers importés. Les volumes ont également progressé : le nombre de bouteilles vendues est en hausse de 10,6 % en 2012 par rapport à 2011 (et de 55 % depuis 2009). Une augmentation qui n’est peut-être pas révélatrice d’une tendance annuelle : « De nouveaux cavistes et supermarchés se sont installés sur la place de Beyrouth, avec de nouveaux stocks, justifiant cette hausse des volumes. Mais je ne pense pas que ces volumes soient d’ores et déjà écoulés », explique Henri Debbané, d’Enoteca. Pour BlomInvest en revanche, l’explication est simple : le prix moyen d’une bouteille de vin étranger a baissé de 8 % entre 2011 et 2012, passant de 12,72 à 11,64 dollars. La raison ? Grégory Sola, du Burgundy, en voit une évidente : « La mise sur le marché de premiers prix et de rapports qualité/prix très attractifs. »


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Les exportations de vins libanais connaissent depuis 2009 une importante baisse des volumes (-20 %), compensée pour l’heure par une hausse en valeur (+26 %). Que vous inspirent ces résultats ?
J’aurais bien sûr préféré que volume et valeur soient tous deux en augmentation ! Pour autant, la situation n’est pas alarmante : la balance de notre industrie reste excédentaire : +6 % si l’on s’en tient aux statistiques des douanes. Un fait positif, et même rare pour un secteur agricole et dont il faut se féliciter.

Comment expliquez-vous la baisse des volumes à l’exportation ?
Les exportateurs de vins libanais restent encore peu nombreux à faire du volume. Du coup, il suffit qu’un événement affecte l’un d’entre eux, pour être répercuté sur les chiffres de l’ensemble de la filière. La guerre en Syrie, par exemple, a été désastreuse pour certains vignobles qui ont perdu entre un quart et la moitié de leur chiffre d’affaires à l’exportation. Pour rappel, la Syrie représentait, en 2009, 5 % du total des exportations. Aujourd’hui, les exportations à destination de Damas sont quasi nulles.

La hausse en valeur est liée à une forte augmentation des prix des bouteilles à l’exportation (+56 % depuis 2009). Quelles en sont d’après vous les raisons ?
J’en vois plusieurs : en premier lieu, des coûts de production qui grimpent et qui sont répercutés dans le prix de vente. Produire du vin au Liban reste onéreux : les matériaux dont nous avons besoin – bouteilles, bouchons… – sont importés d’Europe, une zone caractérisée par un euro fort en 2012, ce qui a joué en notre défaveur. Mais l’on assiste surtout à un ajustement du marché : longtemps, les vins libanais ne s’adressaient qu’aux Libanais de la diaspora. La plupart du temps, il s’agissait d’entrée de gamme. Aujourd’hui, les vins du Liban quittent cette “niche ethnique” et montent en gamme. Pour moi, cette hausse des prix traduit un mouvement positif : elle reflète les premiers pas des vins du Liban hors de la niche de la diaspora et la reconnaissance de leurs qualités par le marché.

Mais sur le marché local les vins libanais font face à la concurrence des vins étrangers, dont les importations progressent (+14 % en valeur depuis 2009). Que faire pour limiter la casse ?
Le marché local est en croissance : les Libanais consomment plus et mieux. Mais ce marché n’est pas encore mature. Pensez-vous qu’il soit normal qu’un restaurant beyrouthin ne propose aucun vin libanais à sa carte ? C’est inimaginable en France, en Italie… Au Liban, c’est pourtant la norme. Pire, on entend encore certains clients refuser de “consommer libanais” au titre d’un snobisme bon teint en vogue dans certains milieux. « Le vin libanais fait mal à la tête », y répète-t-on. Mais ces mêmes personnes n’ont aucun problème à boire des piquettes françaises ou italiennes dont les niveaux de sulfures – l’agent qu’on incrimine dans les migraines – sont trois à quatre fois supérieurs à ceux contenus dans les vins libanais ! Avant toute chose, il faut éduquer les Libanais, leur montrer combien notre production nationale est désormais de qualité.