L’élection d’un chef d’État et la formation d’un nouveau gouvernement devraient doper la croissance l’an prochain, selon plusieurs économistes. Mais cet impact positif sera moins marqué qu’au lendemain des accords de Doha en 2008, les réformes structurelles, en suspens depuis une décennie, resteront le principal défi du nouveau mandat. 

L’élection le 31 octobre de Michel Aoun à la tête de l’État, au terme de deux ans et demi de vide présidentiel, aura-t-elle un impact positif sur l’activité économique ? Oui, répondent plusieurs économistes selon qui l’ampleur de ces retombées dépendra de plusieurs facteurs exogènes – tels que le prix du pétrole et l’évolution des conflits régionaux – mais aussi de la capacité du prochain gouvernement à se doter d’une feuille de route économique solide et de mettre en œuvre certaines réformes-clés.
« L’élection de Aoun va sans doute relancer la machine et avoir un impact direct sur la confiance des consommateurs et les investisseurs, et doper, par conséquent, la croissance économique », souligne Nassib Ghobril, directeur du département de recherche à la Bybos Bank. Celle-ci avait atteint ces deux dernières années 1 % en termes réels – le taux le plus bas depuis 15 ans – tandis que « l’indice de confiance des consommateurs n’a cessé de reculer au cours des dernières années, accusant une baisse de 66 % au troisième trimestre de 2016 en comparaison avec la même période de 2008 ».
L’éclaircie politique actuelle – dont l’évolution du cours de l’action Solidere est un indicateur récurrent : il a augmenté de 20 % après l’annonce de l’appui de Saad Hariri à Michel Aoun avant de retomber d’environ 10 % durant la première moitié de novembre – pourrait se matérialiser l’an prochain par une hausse du PIB de 3 %, voire de 5 % dans le meilleur des cas, si des réformes accompagnent le simple regain de confiance, selon les diverses estimations. Pour Marwan Barakat, chef du département de recherche à la Bank Audi, « le déblocage politique va augmenter la consommation, notamment celle des expatriés, et relancer les investissements privés menés par des Libanais résidents ou vivant à l’étranger. Beaucoup de projets étaient jusque-là gelés ou reportés ».
Il dit s’attendre à une augmentation des dépôts « de l’ordre de 10 milliards de dollars en 2017, contre une hausse de 7,2 milliards en 2015, et à une progression de 4 milliards des prêts accordés au secteur privé, contre 2,9 milliards l’an dernier ». Cette croissance des dépôts et leur allocation au secteur privé sont l’objet des ingénieries financières réalisées par la Banque centrale, la dernière d’entre elles ayant en particulier eu pour effet de rétablir l’équilibre de la balance des paiements après cinq années de déficit.
La note souveraine du pays pourrait s’améliorer également, comme en témoignent les signes d’optimisme lancés par les agences de notation Fitch et Moody’s : se félicitant de l’élection du nouveau chef d’État, elles ont souligné début novembre un début d’amélioration du profil risque du pays.

Les défis du prochain gouvernement

Toutefois l’objectif d’une croissance à 5 % ne saurait être atteint, si le gouvernement ne soutient pas deux composantes essentielles du PIB, à savoir l’investissement privé et la consommation, tempère Marwan Barakat.
« Le ratio de l’investissement rapporté au PIB a reculé de 31 % en 2010 à 23 % cette année, soit 8 points de pourcentage de moins. Or si le taux de formation de capital ne grimpe pas à 25 % l’an prochain et que la consommation n’augmente pas d’au moins 7 %, les ambitions devront être revues à la baisse. »
Selon lui, une relance de la croissance implique, en parallèle, une hausse de 15 % des exportations en 2017 – après un recul de 30 % entre 2010 et 2016 – ainsi qu’une augmentation de 20 % des transferts de capitaux.
« Le prochain cabinet a ainsi un rôle primordial à jouer en appuyant les programmes de subvention déjà en place ou en créant de nouveaux schémas de soutien », destinés aux exportateurs ainsi qu’aux investisseurs, ajoute l’économiste de la Bank Audi. 
L’État est quant à lui attendu sur le terrain de l’investissement public dans les infrastructures (énergie, télécoms, eau, etc.).
« Désormais, le niveau d’investissement étatique est très bas. À 1,5 % du PIB par an, il équivaut, en termes relatifs, aux taux observés dans les pays pauvres. Or, dans les pays émergents, dont fait partie le Liban, ce taux varie en moyenne entre 5 % et 6 % du PIB », précise Marwan Barakat selon qui le Liban doit au moins revenir à un niveau de 3 % du PIB par an.

Une marge de manœuvre réduite ?

La marge de manœuvre du prochain cabinet sera limitée, quelle que soit sa composition, estime, en revanche, l’économiste Jad Chaaban. « À moins de mesures radicales, tout nouveau gouvernement au Liban a d’ores et déjà les mains liées avant même d’agir en raison de la structure des dépenses publiques, dont 35 % sont allouées au service de la dette, environ 30 % aux salaires des fonctionnaires et entre 10 et 15 % au secteur de l’énergie. C’est une contrainte majeure », souligne-t-il.  
À ceci s’ajoute une dette très élevée, supérieure à 140 % du PIB. Or, « toute mesure impliquant des dépenses supplémentaires creuserait le déficit, tandis que l’introduction de nouveaux impôts n'est pas envisageable dans le contexte socio-économique actuel », estime Jad Chaaban. 
L’État pourrait augmenter ses recettes sans pour autant introduire de nouvelles taxes, estime, pour sa part, Marwan Barakat. « Il suffit d’améliorer le taux de recouvrement, en luttant contre l’évasion fiscale, dont le manque à gagner est estimé à 3,5 milliards de dollars par an. Si seulement 1,5 milliard sont récupérés, cela permettrait de doubler les dépenses d’investissement ou de réduire le déficit de plus du tiers, sachant que celui-ci s’élève en moyenne à 4 milliards par an. » Une option d’autant plus pertinente que le « contexte de détente politique actuel s’y prête et que le nouveau chef d’État a fait de la lutte contre la corruption l’un de ses principaux slogans », depuis au moins un quart de siècle, ajoute-t-il. 
Le gouvernement pourrait également trouver des marges de manœuvres financières à travers des mesures “à portée de main” comme la substitution du gaz au fioul lourd pour l’alimentation des centrales électriques, qui permettrait de « réduire de moitié les subventions à Électricité du Liban ». Mais aussi de puiser dans la facilité de financement (Concessional Financing Facility) créée par la Banque mondiale en avril dernier pour venir en aide aux principaux pays d’accueil de réfugiés syriens, à travers une enveloppe financière de plus d’un milliard de dollars.
Mais ces mesures de « replâtrage » ne permettront pas de résoudre, pour autant, les problèmes de fond, estime l’économiste. Un avis partagé par Nassib Ghobril. « Qu’il s’agisse d’infrastructures physiques, de bureaucratie et de corruption ou de déficits chroniques, le seul moyen d’en venir à bout est de lancer un vaste chantier de réformes structurelles permettant de créer un environnement propice à l’innovation, l’investissement et la production (…) Le Liban arrive aujourd’hui au 101e rang parmi 138 pays en termes de compétitivité », déplore-t-il.

Pas de retour à l’euphorie de 2008

À défaut de chantier structurel, le pays ne pourra pas renouer avec les taux de croissance d’avant le conflit syrien, d’autant que le contexte régional et international n’est plus le même. « L’euphorie ne sera pas aussi importante qu’en 2008 », lorsque le taux de croissance avait frôlé 10 % durant les trois années suivant les accords de Doha, assure le chef du département de recherche à la Byblos Bank.
Le Liban avait à l’époque davantage profité d’un afflux de capitaux en provenance des pays secoués par la crise internationale et de cours du brut record que de l’embellie politique locale. Désormais, ces deux éléments ne sont plus réunis.
« De plus, la capacité d’attirer des capitaux en provenance du Golfe n’est plus limitée à des facteurs financiers, mais elle est aussi tributaire de la conjoncture politique et géopolitique », soutient Marwan Barakat. 
L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, longtemps pourvoyeurs importants de flux de capitaux du pays du Cèdre, se sont en effet distanciés du Liban depuis le début du conflit en Syrie et l’implication du Hezbollah dans la guerre voisine. À eux seuls, les investissements directs étrangers (IDE, dont la composante immobilière est majoritaire) qui s’élevaient à cinq milliards de dollars en 2010 ont reculé à 3 milliards cette année, soit 25 % des investissements globaux, contre 42 % il y a six ans.