Trois facteurs principaux ont stimulé la demande et dopé la croissance en 2014 : l’amélioration relative des conditions politico-sécuritaires, la présence des réfugiés syriens et la politique d’assouplissement monétaire menée par la Banque du Liban.

L’économie libanaise a connu un léger rebond en 2014, avec une croissance estimée à 2 %, contre 1,5 % en 2013, selon le Fonds monétaire international (FMI) et 0,9 % selon la Banque mondiale. Pour cette dernière, « l’accélération de la croissance s’explique par un effet de base favorable puisque l’année précédente avait été marquée par une forte perturbation des frontières, des problèmes sécuritaires et l’afflux massif de réfugiés, explique Éric Le Borgne, économiste en chef. On note de plus en 2014 une certaine adaptation des tissus économiques libanais et syriens à la crise ».
Depuis 2011, l’instabilité régionale a mis à rude épreuve le modèle de l’économie libanaise, tributaire des entrées de capitaux pour financer la consommation et soutenir des secteurs-clés comme l’immobilier ou le tourisme. Mais l’afflux de réfugiés semble avoir inversé la dynamique du marché. « Même si le pouvoir d’achat et d’investissement des réfugiés n’égale pas celui des ressortissants du Golfe, la perte a été partiellement compensée », écrit la Banque mondiale dans son dernier rapport sur le Liban.
L’impact et la contribution économique des réfugiés syriens, qui représentent désormais plus du quart de la population, sont difficiles à mesurer étant donné le manque structurel de statistiques au Liban et le fait que la plupart d’entre eux travaillent dans le secteur informel.

La demande des Syriens soutient la croissance

Dans le cadre d’un projet mené avec le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), dont les résultats n’ont pas encore été publiés, l’économiste Kamal Hamdan estime que la demande des réfugiés syriens a généré à elle seule 1,3 % de croissance en 2014.
« Les réfugiés ne dépendent plus uniquement de l’aide humanitaire, souligne Éric Le Borgne. En voyant leur situation se prolonger, ils cherchent de nouvelles sources de revenus ». Les Syriens sont de plus en plus nombreux à travailler, le plus souvent au noir, mais aussi à ouvrir de petits commerces, approvisionnés notamment par la contrebande de Syrie. La Banque mondiale fait état également de flux de capitaux et d’investissements en provenance de Syrie, qui s’ajoutent aux aides humanitaires des organisations internationales, et qui stimulent la demande et donc la croissance.
Quant à la demande des Libanais, elle a été dopée par l’amélioration relative des conditions politiques et sécuritaires après la nomination du gouvernement de Tammam Salam, et elle reste soutenue par les transferts des expatriés qui ont augmenté de plus de 13 % en 2014, à environ 8,9 milliards de dollars. L’indice de confiance des consommateurs élaboré par l’institut de recherche ARA a ainsi augmenté de 21 % en 2014.
Étant donné la faible production locale, la hausse de la consommation a bénéficié essentiellement au secteur commercial et à celui du transport. Les importations du pays ont toutefois reculé en valeur, de
3,4 %, en raison de la baisse des prix du pétrole et de l’appréciation du dollar. En volume, les importations de biens de consommation ont augmenté, tandis que celles des biens intermédiaires, machines et équipements, a baissé de 13,6 %, reflétant la faiblesse des investissements dans les secteurs productifs.
La performance globale des secteurs primaire et tertiaire est difficile à évaluer avant la publication des comptes nationaux. La Banque mondiale fait toutefois état d’une légère amélioration dans le secteur agricole en se basant sur la hausse des crédits Kafalat à ce secteur (+6,7 %). Quant à l’industrie, elle semble avoir bénéficié de la baisse des prix du pétrole. Les exportations de ces deux secteurs se sont toutefois effondrées en raison d’une baisse de la demande de pays en crise comme l’Irak et la Syrie, et des difficultés d’acheminement par voie terrestre.
Le secteur touristique a pour sa part bénéficié de la hausse du nombre de visiteurs de 6,4 % par rapport à 2014. « Cette augmentation est due notamment aux Irakiens. Leur pouvoir d’achat est inférieur à celui des ressortissants du Golfe, mais cela a tout de même permis de relancer l’activité dans le secteur, après trois années difficiles », commente Éric Le Borgne.
Deux autres secteurs moteurs de l’économie libanaise sortent la tête de l’eau : l’immobilier et la construction. « Les statistiques disponibles sur cette activité, qui ne sont pas toujours pertinentes, sont contradictoires, mais on estime globalement que le secteur s’est stabilisé en 2014, après l’ajustement des années précédentes. »

L’immobilier soutenu par la politique monétaire

L’immobilier a été le principal bénéficiaire de la politique monétaire expansionniste menée par la Banque du Liban. Cette dernière a injecté 800 millions de dollars dans l’économie à travers des prêts subventionnés. En alimentant la demande locale, elle a contrebalancé la disparition des investisseurs étrangers.
Cette politique a également permis de soutenir l’activité bancaire, dont la croissance a toutefois ralenti par rapport à 2013. Les crédits au secteur privé ont augmenté de 2,1 % contre 6,4 % en 2013. L’instabilité régionale a contraint les banques libanaises, qui avaient développé ces dernières années leurs réseaux dans les pays voisins, à limiter les crédits aux non-résidents. Ces derniers ont baissé de 9,1 % tandis que les crédits aux résidents ont augmenté de 9,3 %.
La croissance des dépôts a, elle aussi, ralenti à 6,6 % contre 8,5 % en 2013, avec une décélération particulièrement marquée des dépôts des non-résidents (6,4 % contre 18 % en 2013). Le secteur bancaire ayant attiré moins de fonds étrangers en 2014, les entrées totales de capitaux ont baissé de 2,5 % par rapport à 2013. Et ce malgré la hausse des transferts des expatriés et des investissements étrangers qui auraient aussi augmenté, selon la Banque mondiale, même si les chiffres de 2014 n’ont pas encore été publiés. Avec un déficit commercial en hausse et des entrées de capitaux en baisse, le déficit de la balance des paiements s’est donc creusé de 27 % sur un an.

Impact positif de l’euro et du pétrole

Ce solde devrait cependant s’améliorer en 2015 grâce à la baisse des prix du pétrole et à l’appréciation du dollar. « Malgré la perte de compétitivité des exportations libanaises, la facture des importations devrait largement baisser et l’effet net sera positif pour le Liban », affirme Éric Le Borgne. D’autant que les transferts des expatriés ne devraient pas, selon lui, être impactés par la baisse des cours. « La diaspora libanaise est très diversifiée, que ce soit au niveau géographique ou en termes de compétences. Même l’emploi dans le Golfe ne devrait pas être affecté, car les pays hôtes ont des réserves confortables qui leur permettent de mener des politiques contracycliques. »
Au niveau local, la baisse du brut et la dépréciation de l’euro vont augmenter le revenu disponible des ménages et doper la consommation. La Banque mondiale et le FMI prévoient tous deux une croissance de 2,5 % en 2015.
Mais la compétitivité de l’économie devrait continuer à souffrir du manque d’investissements publics, notamment dans les transports, l’eau et l’énergie. « L’augmentation de la population accélère la dépréciation du capital physique de l’État et la détérioration des services. L’absence de réformes a un coût pour l’économie beaucoup plus important qu’avant », souligne Éric Le Borgne.

« Le Liban recule »

Avec une croissance démographique importante, une croissance économique atone, une dette publique imposante, de faibles créations d’emploi et une corruption généralisée, « l’inaction politique ne retarde pas seulement le développement du Liban, elle le fait reculer », ajoute la Banque mondiale dans son rapport.
D’autant que la BDL ne pourra pas toujours jouer aux pompiers, en remplaçant le gouvernement aux manettes des politiques contracycliques. Sa marge de manœuvre risque d’être réduite par le resserrement monétaire attendu fin 2015 ou début 2016 sur les marchés internationaux, la hausse des taux directeurs américains entraînant une hausse des taux au Liban. Après plusieurs années de crédit facile, il faudra également surveiller l’effet de levier de l’endettement des ménages et leur capacité à rembourser leurs prêts, prévient la Banque mondiale.

De la désinflation à la déflation ?

L’Administration centrale de la statistique (ACS) a publié cette année, pour la première fois, un taux d’inflation annuel pour 2013 et 2014, alors qu’elle se contentait jusque-là de calculer l’évolution des prix mois par mois. Le taux d’inflation officiel s’est donc établi à 1,9 % en 2014 contre 4,8 % l’année précédente.
Ce chiffre diffère des estimations faites par d’autres organismes comme le Consultation and Research Institut (CRI), le Fonds monétaire internationale (FMI), la Banque mondiale (BM), ou l’Institut de la finance internationale (IFI), qui varient entre 1 % et 2,6 %, mais la tendance désinflationniste fait l’unanimité. Les prix se sont tassés en 2014.
Une tendance qui s’explique en partie par la faiblesse de la demande interne, malgré la pression exercée par l’afflux de réfugiés syriens sur les prix de certains postes, comme les loyers.
Mais le phénomène est surtout lié au contexte international. Le Liban étant une économie fortement importatrice, le niveau de ses prix suit celui de ses principaux partenaires commerciaux. Selon l’économiste Kamal Hamdan, l’inflation au Liban évolue en général dans le même sens que celle des pays de l’Organisation de développement et de coopération économiques (OCDE). Or cette dernière a ralenti en 2014.
Les consommateurs libanais ont également bénéficié de l’appréciation du dollar – et donc de la livre libanaise – notamment vis-à-vis de l’euro, devise dans laquelle sont libellées plus de 40 % des importations du pays.
À cela s’ajoute évidemment le recul des cours du pétrole, qui représente quant à lui près du tiers des importations du Liban.
Les baisses internationales n’ont pas été entièrement répercutées sur le marché local, en raison de sa structure oligopolistique, mais la tendance devrait s’accentuer en 2015.
Le FMI table sur une inflation de
1,1 % l’année prochaine et la Banque mondiale sur 2,6 %. En revanche, l’IFI prévoit une baisse des prix de 0,6 %. « Ce scénario me paraît plausible, commente le directeur du département de recherche de la Byblos Bank, Nassib Ghobril. L’indice des prix sur les deux premiers mois de l’année est déjà en recul par rapport à l’année dernière. Au-delà de l’euro et du pétrole, l’impact de la stagnation de la demande et la réduction des tarifs des télécommunications de 30 % en juillet dernier seront visibles comparés à 2014. Mais ce recul ne signifie par pour autant que le Liban va entrer dans une spirale déflationniste. »
La déflation correspond stricto sensu à une baisse générale des prix, mais pour les économistes le mouvement doit être durable et susceptible de se renforcer par un mécanisme autoentretenu.
« Une baisse des prix, même sur plusieurs mois, n’est pas inquiétante, souligne Éric Le Borgne, chef économiste de la Banque mondiale. Nous parlons de déflation lorsque les consommateurs et les investisseurs commencent à reporter leurs actes d’achat et d’investissements, car ils anticipent de nouvelles baisses des prix. Pour le moment, nous ne voyons pas cela arriver au Liban. »
D’autant qu’une éventuelle adoption de la grille des salaires devrait au contraire avoir un effet inflationniste.