Difficile d’évoquer une mesure impopulaire à quelques semaines des élections législatives. La hausse des prix de l’électricité est néanmoins incontournable.

«Selon le plan adopté en 2010, toute augmentation de la production doit être accompagnée d’une hausse des tarifs », affirme le ministre de l’Énergie César Abi Khalil. Pragmatique, l’auteur de ce plan, son prédécesseur Gebran Bassil, savait en effet qu’il serait impossible de réviser les prix de l’électricité sans une amélioration concomitante du service fourni par Électricité du Liban (EDL). La hausse de l’approvisionnement, rendue possible par la mise en service prochaine de nouvelles unités de production à Zouk et Jiyé, est donc l’occasion rêvée d’amorcer un processus nécessaire pour contenir l’hémorragie au sein de la compagnie publique. La proposition sera soumise en Conseil des ministres, assure César Abi Khalil. Il refuse toutefois d’en détailler les contours avant que le sujet ne soit tranché par le gouvernement, le Courant patriotique libre − le parti dont il est issu − ne voulant sans doute pas endosser seul la responsabilité d’une mesure aussi impopulaire. Pourtant « la facture globale des usagers baissera puisqu’ils réduiront d’autant la consommation de leur abonnement aux générateurs de quartier, dont les prix sont beaucoup plus élevés que ceux de la compagnie publique », précise le ministre. Les tarifs d’EDL sont subventionnés, puisqu’ils ont été fixés en 1994  sur la base d’un baril de pétrole à 23 dollars. Alors que le brut se négocie actuellement autour de 55 dollars, le prix moyen facturé par EDL est toujours d’environ 9 cents par  kilowattheure. L’équipe du ministère n’a pas été en mesure de nous communiquer ne serait-ce qu’une estimation du coût de production moyen de la compagnie publique. Il n’est donc pas possible de connaitre le montant des pertes subies par EDL pour chaque kilowattheure produit, mais il est certain qu’une hausse des prix du pétrole, ou de la production, se traduit mécaniquement par une hausse du déficit de l’entreprise.  Selon le projet de budget 2017, ce déficit devrait atteindre 1,4 milliard  de dollars cette année.

Les pertes techniques et non techniques

Ce montant couvre aussi les pertes techniques et “non techniques”, un terme qui désigne, dans le jargon, le vol de courant et les erreurs de relevé des compteurs. En 2010, Gebran Bassil avait estimé  que 40% de la production ne générait aucun revenu pour la compagnie. Ce chiffre comprenait 10 % de pertes techniques, 15 % de pertes non techniques et 5 % de factures impayées. Là encore, le ministère n’a pas été capable    de nous fournir des données actualisées. En termes financiers, dans un entretien à L’Orient-Le Jour paru en août 2015, le directeur de BUS, un des prestataires de services d’EDL, avait évalué le coût annuel des seules pertes non techniques à environ 300 millions de dollars. Mais pour retrouver l’équilibre, EDL ne peut pas se contenter d’augmenter ses tarifs. 
Le plan adopté par le gouvernement en 2010 prévoyait des investissements importants, notamment au niveau du réseau de transports, pour réduire les pertes techniques. La plupart des projets ont été exécutés et devraient s’achever dans les six mois à venir, selon le ministère. Une réduction non négligeable des pertes techniques, de l’ordre de 1 %, bute toutefois sur l’achèvement du réseau de transport au niveau de Mansourié. Les habitants de cette région s’opposent depuis des années à l’installation de lignes haute tension, déployées partout ailleurs dans le pays. Au-delà des pertes subies, ce tronçon manquant, d’une longueur de 1,9 kilomètre, réduit la stabilité des autres 1 247 kilomètres et limite la capacité du réseau à supporter une production additionnelle. Mais aucun gouvernement n’a eu à ce jour le courage d’imposer une décision.
Le manque de volonté politique explique également les progrès limités au niveau de la réduction des pertes non techniques. Pour lutter contre la fraude, le ministre de l’Énergie mise sur le renouvellement du partenariat conclu avec des prestataires privés chargés de gérer le réseau de distribution.

La fin des concessions

Dans certaines villes ou régions, la distribution reste gérée par des concessions, survivance de l’organisation mandataire. En 2010, ces entreprises privées comptaient 82 000 abonnés, dont 56 % à Zahlé, 28 % à Jbeil, 12 % à Aley et 4 % à Bhamdoun. En raison d’accords anciens jamais remis en question, elles achètent l’électricité à EDL à un prix variant de 59 à 75 livres libanaises le kWh et le revendent à un prix moyen de 127 livres, les marges confortables réalisées par les entreprises sont censées couvrir l’entretien du réseau moyenne et basse tension, et les frais de commercialisation. Dans son plan, Gebran Bassil chiffrait les coûts de ce modèle pour EDL à plus de 23 millions de dollars par an. Le contrat de concession de Aley est arrivé à échéance en 2013 et le ministère ne l’a pas reconduit. Électricité de Zahlé (EDZ), dont la concession prend fin en 2018, est la prochaine sur la liste, suivie de Jbeil en 2020. César Abi Khalil affiche son intention de se passer d’EDZ, qui bénéficie du tarif le plus avantageux parmi tous les concessionnaires (59 cents). En prévision de ce bras de fer, l’opérateur privé multiplie les compagnies de communication et cherche à se rendre indispensable. L’année dernière, EDZ s’est lancée dans la production, en installant des générateurs d’une capacité totale d’environ 50 MW pour couvrir les besoins de ses abonnés 24 heures sur 24. En proposant une facture unique, qui couvre à la fois le prix de ses générateurs pendant le rationnement et le prix – subventionné − de l’électricité publique, elle s’est imposée comme une alternative compétitive par rapport au modèle en place dans les autres régions du pays. Toutefois, vis-à-vis de l’État et de la loi, EDZ en tant que productrice est tout aussi illégale que les propriétaires de générateurs.

La conversion au gaz

Outre la distribution, le principal vivier d’économie pour EDL se situe au niveau de la production. La compagnie souffre de coûts élevés en raison de la vétusté de certaines centrales − dont le rendement énergétique est faible et les frais de maintenance élevés − et de sa dépendance vis-à-vis de combustibles relativement chers. La conversion au gaz naturel était l’une des orientations stratégiques-clés du plan Bassil. Ce choix avait d’ailleurs été déjà fait dans les années 1990. Les deux centrales installées à l’époque, celles de Deir Ammar et Zahrani, ont été conçues pour fonctionner au gaz. Un gazoduc a même été construit à Deir Ammar, relié à la Syrie, la Jordanie et l’Égypte. Mais les pays producteurs n’ont jamais été en mesure de fournir du gaz en quantités suffisantes. Par défaut, toutes les centrales du pays sont aujourd’hui alimentées au gasoil et au diesel, plus chers et plus polluants. Comme Zahrani et Deir Ammar, les “reciprocating engines” installées récemment pourraient techniquement être converties au gaz, et toutes les futures centrales sont pensées en ce sens. Le gazoduc arabe étant à sec, et en attendant l’extraction du gaz annoncé dans les eaux libanaises, Gebran Bassil avait proposé en 2010 d’importer du gaz naturel liquide (GNL) par voie maritime en louant pour quelques années une plate-forme flottante de stockage et de regazéification (Floating Storage and Regazification Unit – FSRU).  Cette infrastructure, dont le coût avait été estimé à l’époque à 70 millions de dollars par an, devait être complétée par la construction d’un gazoduc le long du littoral pour servir toutes les  centrales, et éventuellement les industriels et les particuliers. Les fonds requis pour construire ce gazoduc étaient très importants (jusqu’à 550 millions de dollars), notamment en raison de la nécessité de contourner Beyrouth. Ces investissements devaient toutefois être amortis par les économies générées par l’usage d’un combustible moins cher – le gaz. Un double appel d’offres pour l’installation d’un FSRU en face de Deir Ammar et la livraison de GNL a été lancé en 2013, puis rangé dans les tiroirs. En 2015, un comité ministériel préconise l’abandon du gazoduc terrestre et le recours à deux FSRU, à Zahrani et Beddawi. Ses recommandations n’ont jamais été soumises au Conseil des ministres. César Abi Khalil veut remettre le sujet sur la table. « À 110 dollars le baril, le gaz aurait permis au Liban d’économiser jusqu’à un milliard de dollars par an. Maintenant, si toutes les centrales, existantes et futures, fonctionnent au gaz, on peut quand même économiser 500 millions. Ce projet est une priorité », assure-t-il. D’autant que l’apparition de nouveaux modèles de FSRU permettent de réviser le projet initial : la rentabilité est possible avec de plus petites unités, alors qu’il fallait jusque-là pouvoir alimenter des capacités installées d’environ 1 000 MW. Le ministère planche sur une option de trois FSRU de petite capacité, à Zahrani, Deir Ammar et Selaata, avec des gazoducs terrestres les reliant aux autres centrales les plus proches.