Le 13 avril, le gouvernement devrait annoncer la liste finale des compagnies préqualifiées pour participer au premier cycle d’attribution de contrats d’exploration offshore, en plus des 46 sociétés déjà sélectionnées en 2013 (voir Le Commerce du Levant de mars 2013). Après trois ans de suspension du processus, la première attribution est désormais prévue pour la mi-novembre 2017. La composition de cette liste devrait donner une nouvelle indication de l’intérêt des investisseurs internationaux pour la partie libanaise du bassin levantin de la Méditerranée, sachant qu’on assiste à un regain d’activité à Chypre, en Israël et en Égypte, depuis la découverte du gisement Zohr en 2015, qui, avec 30 TCF (trillion cubic feet, l’unité de mesure la plus courante) est le plus gros gisement de gaz identifié de l’histoire de la Méditerranée orientale. Une découverte qui a totalement renversé le cours du programme chypriote : après une phase de désengagement qui s’était traduite par une volonté de renoncer à des licences, les grands groupes internationaux sont revenus dans le jeu et choisi au contraire d’intensifier leurs investissements.

L’intérêt de grands groupes


Parmi eux, Eni, Total, Shell et Exxon font partie des 12 grands groupes déjà préqualifiés en tant qu’opérateurs pour le programme libanais, ce qui pourrait les inciter à regarder à nouveau du côté libanais. En revanche, on ne sait pas encore si le Liban attirera de nouveaux grands acteurs. « Pour l’instant la mobilisation est timide. Il y a peu de choses que les compagnies internationales redoutent plus que l’instabilité sur le plan réglementaire. Elles n’ont pas oublié que l’appel d’offres a été reporté cinq fois et est gelé depuis 2013, à cause d’un cadre juridique incomplet. Les deux décrets manquants (voir page 48) ont été approuvés par le gouvernement, mais reste la loi sur la fiscalité qui devrait être approuvée prochainement (sauf imprévu) par le Parlement », explique Mona Sukkarieh, cofondatrice de Middle East Strategic Perspectives. Le ministre de l’Énergie, César Abi Khalil, a notamment fait état de l’intérêt de compagnies indiennes. De source informée, Le Commerce du Levant a appris que les compagnies russes chercheraient à se qualifier en tant qu’opérateurs, alors qu’elles le sont seulement en tant que partenaires potentiels d’un consortium pour l’instant.
Stéphane Michel, le directeur Moyen-Orient et Afrique du Nord de Total, a réitéré à la tribune du Oil&Gas Forum, organisé le 7 mars par Front Page Communication, l’intérêt du groupe français pour le Liban, sachant qu’il est déjà présent à Chypre, où il détient des droits d’exploration dans les blocs 6 et 11.
Également présent à ce forum, organisé à l’École supérieure des affaires, Abdallah ben Hamad al-Attiyah, l’ancien ministre de l’Énergie du Qatar, dont la compagnie Qatar Petroleum vient de décrocher un contrat d’exploration au large de Chypre (bloc 10) en partenariat avec ExxonMobil. Contrairement au géant américain, Qatar Petroleum ne fait pas partie des compagnies qualifiées en 2013 pour le programme libanais, et on ignore s’il le sera en 2017.
Enfin, l’italien Eni, à l’origine de la découverte de Zohr au large de l’Égypte, est aussi très présent à Chypre depuis 2013 où il détient des droits d’exploration sur les blocs 9, 3 et 2 (attribués au 2e cycle en 2013) ; les blocs 6 et 8 (attribués au 3e cycle en mars 2017). Et il a annoncé le 7 mars un renforcement de son investissement dans la région en achetant à Total 50 % des parts obtenues en 2013 par le groupe français dans le bloc 11.

Regain d’activité dans le bassin méditerranéen

Après plusieurs mois de relative accalmie, plusieurs nouveaux forages exploratoires sont attendus dans les prochains mois dans le bassin levantin, explique Jean Burrus, PDG de Beicip-Franlab. À l’issue du troisième cycle d’attribution de licences à Chypre, de nouveaux puits devraient être forés dans l’espoir d’identifier un nouveau gisement au large de l’île qui, pour l’instant, n’a qu’une seule réserve identifiée, celle d’Aphrodite (5 TCF, bloc 12 opéré par Noble Energy depuis 2011). De nouveaux forages, plus en profondeur, à la recherche de sables pétrolifères, sont également prévus à Zohr et dans le Léviathan, qui reste, à ce jour, le gisement le plus important mis au jour par Israël (22 TCF, opéré par Noble Energy).
Ce vent d’optimisme qui souffle à nouveau sur le bassin levantin s’explique par trois facteurs. Le premier est lié à sa position géographique, aux portes de l’Union européenne (Chypre en est elle-même membre), qui cherche à réduire sa dépendance du gaz russe, en misant massivement sur les énergies renouvelables mais aussi en cherchant des sources alternatives d’approvisionnement. Le deuxième correspond à un regain d’intérêt mondial pour le gaz, après une phase de désinvestissements et de réduction massive des coûts consécutive à la chute des cours des hydrocarbures. Le troisième tient à la structure géologique du bassin levantin que plusieurs experts décrivent comme véritablement attractive.
« L’impression que donne aujourd’hui le marché est celle d’une abondance de l’offre de gaz. Mais nous pensons que le gaz est l’énergie des années à venir et qu’il va falloir lancer de nouveau davantage de projets gaziers pour répondre à la demande », résume Stéphane Michel. Le directeur Moyen-Orient, Afrique du Nord de Total explique que « son groupe a concentré ses efforts à la réduction des coûts nécessaires à la poursuite des investissements en période de cours faibles. « En 2017 nous avons prévu de réaliser 27 forages pour 1,25 milliard de dollars, contre 19 forages à 1,4 milliard de dollars en 2016. »
Sur la carte mondiale de l’exploration gazière, le bassin levantin de la Méditerranée est-il bien placé pour attirer ces investissements ? Au-delà de sa position géographique intéressante du point de vue commercial, la réponse tient avant tout à sa structure géologique qui est encore en phase d’analyse et sera affinée à l’issue des forages annoncés dans les prochains mois. Mais les experts s’appuient d’ores et déjà sur la découverte de Zohr, présentée comme un “game changer”.


Une structure géologique prometteuse

« Les premières découvertes effectuées étaient déjà de bonnes surprises, il y a eu relativement peu de forages infructueux et la découverte de Zohr accroît encore ce potentiel : jusque-là on croyait que l’essentiel des gisements se trouvaient dans les structures sableuses constituées au fil des millions d’années par le Nil ; le gisement de Zohr ouvre de nouvelles perspectives dans les plates-formes de carbonate », explique Jean Burrus.
C’est la raison pour laquelle, des groupes, comme Eni ou Total, ont choisi de revoir leur stratégie de prospection au large de Chypre après avoir recalibré leurs modèles géologiques en y intégrant les données liées à Zohr (voir Le Commerce du Levant de février 2016). De nouvelles données, également analysées par le Liban qui a la particularité d’avoir des études sismiques très fournies – 70 % de sa zone économique exclusive a fait l’objet d’études en 3D en plus des études en 2D – avant l’attribution de contrats d’exploration. C’est l’une des raisons pour lesquelles la zone économique exclusive du Liban n’a pas été découpée en blocs rectangulaires uniformes, comme c’est le cas en général lorsque les appels d’offres sont faits à l’aveugle ou presque. « Nous avons taillé chacun des dix blocs sur mesure, pour viser dans la mesure du possible des gisements homogènes et éviter de devoir recourir par la suite à des procédures juridiquement complexes de regroupement, en cas de découverte avérée à cheval sur deux blocs », explique Wissam Chbat, l’actuel président de l’Autorité de l’énergie, dont la spécialité est la géologie.
« Le Liban présente une structure géologique complexe, avec des chances de trouver du gaz de trois sources différentes », analyse Jean Burrus.
Il y a des opportunités d’en trouver dans les structures de sables pétrolifères, semblables à celle du Léviathan en Israël, dans les plates-formes de carbonate, similaires à Zohr, mais aussi, ce qui est assez unique, dit-il, des sources de gaz naturel thermogénique et biosynthétique.
« Nous avons des observations directes établissant la présence de gaz, ainsi que des modèles prévisionnels qui tablent sur la présence de condensats, de pétrole et de dérivés liquides du gaz naturel », résume Jean Burrus.

Le choix des blocs

C’est en fonction des différentes configurations géologiques possibles – mais aussi de considérations politiques, géopolitiques et stratégiques − qu’a été effectué le choix des blocs qui sont ouverts à des offres lors du premier cycle d’attribution de contrats. « En 2013, nous préconisions d’ouvrir d’abord les blocs 1, 4, 5, 6 et 9. Cette recommandation était fondée sur nos analyses et les préférences exprimées par les compagnies. En 2017, nous intégrons désormais les données liées à la découverte de Zohr et avons décidé d’ouvrir les blocs 1, 4, 8, 9 et 10. Au total, dans les cinq blocs proposés, nous avons identifié 64 objectifs de forages », déclare Wissam Chbat.
Le bloc 1, à la frontière entre Chypre et la Syrie (situé près du bloc 3 chypriote attribué par Nicosie au consortium Eni-Kogas dont la licence a été prolongée jusqu’en février 2018), est « celui qui présente le plus de chances de trouver du pétrole, et il est le seul dont la configuration est intégrée à ce que l’on appelle “l’arche chypriote”.
Les blocs 4 et 10 ont été choisis parce qu’ils présentent des configurations de carbonate semblables à celles qui ont été trouvées à Zohr, sachant que cette plate-forme a l’avantage d’être relativement peu profonde dans le bloc 10 qui présente en outre l’intérêt d’être situé à la frontière avec Israël et a donc été choisi pour réaffirmer la souveraineté du Liban sur cette partie de la ZEE malgré la contestation israélienne (voir Le Commerce du Levant d’août 2011).
Le choix des blocs 8 (dont près de la moitié est revendiquée par Israël) et 9 entrent dans cette même logique souverainiste, sachant que le bloc 9 présente aussi des opportunités de forer dans du carbonate.
Le fait d’écarter du premier cycle d’attribution les blocs 5 et 6, présentés comme ayant un fort potentiel, et intéressant de grands groupes, a suscité de vives discussions au sein de l’Autorité de l’énergie, a appris Le Commerce du Levant, de source informée. Certains estiment qu’il fallait les intégrer d’emblée pour affirmer fortement le potentiel gazier du Liban, d’autres estimant qu’une découverte préalable renforcerait la valeur d’offres ultérieures sur ces mêmes blocs.
Les choix ayant été validés en janvier 2017 par le Conseil des ministres, la priorité est désormais de « forer pour évaluer le potentiel réel du Liban », résume Stéphane Michel.