L’une des questions les plus délicates à laquelle est confrontée un État qui se lance dans l’exploration de son potentiel en hydrocarbures concerne la détermination des règles de partage de ces richesses avec le secteur privé. La relation entre l’État et les compagnies internationales varie bien entendu d’un pays à l’autre suivant qu’il s’agit d’une zone pétrolifère déjà très développée ou d’un bassin encore vierge, comme au Liban. Le cadre optimal est celui qui promet une rentabilité suffisamment attractive aux grandes compagnies – en mesure de comparer différents bassins d’exploration à travers le monde – tout en garantissant des revenus suffisamment élevés aux détenteurs de ces richesses naturelles. À la notion de rentabilité s’ajoute aussi celle de partage de la rente. Ce concept désigne l’excédent de revenus, déduction faite de la totalité des coûts de production, dont ceux de la découverte et de la mise en exploitation, ainsi que le rendement normal du capital. « En principe, une rente peut être taxées jusqu'à 100 % sans que l'activité privée devienne non rentable. Il existe toutefois des obstacles significatifs qui rendent cela impossible, ce qui implique d’instaurer un partage “raisonnable” de cette rente », explique le Fonds monétaire international (FMI) dans un rapport sur les régimes fiscaux des industries extractives.
Au Liban, le grand public, pas davantage que les parlementaires, n’a été associé au débat – présenté comme technique – à l’issue duquel le cadre fiscal a été choisi. Celui-ci repose sur deux textes : d’une part, le décret adopté le 19 janvier 2017 et, de l’autre, le projet de loi sur la fiscalité des activités pétrolières transmises par le Conseil des ministres au Parlement sans que le texte n’en soit rendu public. C’est l’ensemble des mesures de partage de revenu et d’imposition, et non pas l’une ou l’autre prise séparément, qui déterminent la part globale de l’État par rapport au total des bénéfices de l’exploitation des gisements en hydrocarbures.
Cette part varie entre 65 et 85 % en moyenne, selon le FMI qui a passé en revue les divers régimes fiscaux des industries extractives en vigueur dans le monde pour déterminer le mode de partage des rentes entre l'État et les investisseurs privés. Dans une autre note destinée à évaluer le cadre fiscal libanais, le FMI estime que la part de l’État pourrait varier dans une fourchette allant de 57 à 78 % du total, tandis que, dans un entretien accordé au Commerce du Levant, le conseiller économique du ministre des Finances Talal Salman l’évalue entre 55 et 70 %, avec un scénario maximal à 85 % et un minimum à 53 %. « C’est un bon niveau selon les critères internationaux sachant que l’État ne prend aucun risque d’investissement », affirme le conseiller.

Royalties et redevances avec échelle mobile

L’essentiel des revenus de l’État seront prélevés selon des règles définies dans le décret détaillant le contrat de partage de production.
L’État prélève d’abord des royalties, à savoir une redevance sur les revenus bruts, de 4 % sur le gaz produit et de 5 à 12 % du pétrole extrait. Il s’agit d’un prélèvement à la source, avant même l’amortissement des investissements. Ces redevances présentent l'intérêt de procurer des recettes à l’É́tat dès le lancement de la production. Le niveau initial choisi est relativement faible pour le gaz, étant donné le coût élevé de son extraction en eaux profondes. Mais si on y ajoute le fait que le consortium ne peut déduire plus de 65 % de coûts (même si ces derniers sont plus élevés en réalité) et que l’État a fixé un seuil minimum de 30 % des profits qui lui reviennent obligatoirement, « le niveau effectif de la redevance s’établit à 14,08 % », explique Nasser Hoteit, de l’Autorité de l’énergie. « Les coûts déductibles sont plafonnés, mais au moment de l’adjudication les compagnies peuvent choisir de conserver une part moindre de “cost oil” pour amortir leurs investissements, c’est l’une des variables de l’enchère », précise-t-il.
Après déduction des royalties et de la part allouée au recouvrement des coûts (cost oil), la répartition des bénéfices restants (profit oil) se fait en fonction d’une équation qui dépend de plusieurs variables soumises aux enchères (avec toutefois un minimum fixé à 30 % pour l’État). « Cette redevance avec échelle mobile permet d’allouer une part plus élevée à l'État dans les projets très rentables, tout en soulageant les investisseurs en période de prix bas ou de coûts élevés », souligne Nasser Hoteit.
L’architecture complexe de ce système de partage de revenus a suscité des interrogations parmi les rares experts qui se sont prononcés publiquement sur la question. L’un d’entre eux, Nicolas Sarkis, s’interroge notamment sur la capacité de l’État libanais à contrôler le niveau des coûts – un montant stratégique puisqu’il détermine les profits restants à partager –, sachant que ces derniers « dépendent des données avancées par la société opératrice, vu que le gouvernement s'abstient de prendre une participation directe et active, par le biais d'une société nationale qui lui aurait donné la possibilité, entre autres, de voir et de contrôler les choses de l'intérieur ». La possibilité de créer une compagnie nationale existe dans les textes libanais, mais elle est conditionnée à la découverte de premiers gisements. Le ministère des Finances affirme lui-même avoir initialement émis des réserves sur le fait que plusieurs variables sont soumises aux enchères, ce qui rend l’exercice de comparaison plus compliqué. Dans une note publiée par le LCPS, Carole Nakhlé estime que la multiplication des variables d’enchères ouvre la voie à des négociations au détriment de la transparence. Wissam Zahabi, de l’Autorité de l’énergie, répond cependant que le modèle financier sur la base duquel les comparaisons seront faites devrait être communiqué aux candidats, afin que les règles du jeu soient le plus clair possible.

Impôts de 20 % sur les bénéfices

L’impôt sur le bénéfice des sociétés pétrolières représente la dernière pièce du puzzle fiscal. « Au total, la recette de cet impôt représentera 14 % en moyenne de l’ensemble des bénéfices pétroliers qui reviendront à l’État », estime Talal Salman. « Le ministère des Finances a décidé de fixer le taux de l’impôt sur les sociétés à 20 % (au lieu de 15 % pour les autres secteurs d’activité, sachant qu’il est question de le relever à 17 % dans le projet de budget pour 2017) ; en partant du fait que les règles de partage de revenus avaient déjà été fixées par le décret et que c’est l’impact fiscal global qu’il faut déterminer en prenant en considération un taux de rendement interne de 15 à 18 % attendu dans ce secteur », explique-t-il au Commerce du Levant.
Le relèvement de l’impôt sur les sociétés est le principal élément de la loi sur la fiscalité des activités pétrolières transmises au Parlement par le Conseil des ministres, mais celle-ci comporte toute une série de dispositions (voir encadré) destinées à déterminer le bénéfice imposable en adaptant le cadre fiscal général (notamment la loi sur la TVA, la loi sur l’impôt sur le revenu ou le code douanier) aux activités pétrolières. Ces dernières désignent les opérations d’exploration et d’exploitation de gaz et de pétrole, et sont définies précisément dans le décret adopté en janvier par le Conseil des ministres.

En attendant le fonds souverain

La loi sur la fiscalité des activités pétrolières ajoute aussi une clause spécifique concernant l’affectation de la recette de cet impôt : l’article 8 prévoit qu’elle sera déterminée dans la loi spécifique sur le fonds souverain au lieu d’abonder le Trésor public, comme le fait par défaut toute recette fiscale. Dans un entretien au Commerce du Levant, le conseiller du ministre des Finances dévoile pour la première fois publiquement les intentions du gouvernement en la matière.
« Nous sommes en train de finaliser la conception des règles d’allocation des revenus issus de l’exploitation du gaz et du pétrole, en fixant des règles très contraignantes destinées à imposer des pratiques budgétaires saines », affirme Talal Salman.
Le projet de loi établissant le fonds souverain prévoit de faire une distinction entre les recettes provenant de l’impôt sur les sociétés (dont la part du total est estimée à 14 % en moyenne) destinées à abonder un fonds de trésorerie et le reste des recettes destinées à alimenter un fonds d’épargne. « L’objectif de cette division du fonds souverain est de permettre l’allocation d’une partie du fonds de trésorerie à des dépenses publiques, notamment pour réduire la dette. Tout ne peut pas être épargné », déclare le conseiller du ministre.
Un choix financier stratégique qui fait débat mais que le conseiller du ministre des Finances  juge inéluctable : « Le remboursement de la dette fait sens dès lors que son coût est supérieur au rendement du fonds d’épargne, à condition toutefois de s’assurer que cette dette n’est plus en train d’augmenter. Nous voulons mettre en place un mécanisme élaboré conditionnant la possibilité de puiser dans le fonds de trésorerie à l’existence d’un budget et à l’existence d’un solde primaire suffisamment élevé pour stopper l’augmentation de la dette en pourcentage du PIB. Il est évident qu’une telle discipline budgétaire ne se décrète pas du jour au lendemain ; c’est un moyen de pousser les pouvoirs publics à s’y astreindre quatre à cinq ans avant l’émergence de revenus pétroliers ou gaziers. »
Quant aux rendements du fonds d’épargne, l’idée initiale en 2010 était d’autoriser uniquement la dépense des intérêts produits par le fonds souverain, « nous ajoutons une contrainte supplémentaire : celle de l’intégration de l’inflation », affirme Talal Salman.