Un article du Dossier

À Adloun, la spéculation foncière aura-t-elle raison d’un site archéologique majeur ?

En août 2012, un rapport(1) publié par l’Université de Balamand, en coopération avec le ministère de l’Environnement, identifie Adloun comme l’un des sites culturellement et écologiquement sensible et prioritaire pour une protection ; ce rapport n’a pas incité pour autant les ministères concernés à mener des fouilles.
En décembre 2014, l’association Green Southern a demandé aux ministères de la Culture et de l’Environnement de protéger et de classer la plage de Adloun. Cette demande est restée sans réponse. Dans son plaidoyer, Green Southern mettait en avant un potentiel écologique et patrimonial uniques(2), s’appuyant sur les fouilles menées par Dorothy Garrod et le père jésuite Zumoffen(3), qui a mené plusieurs fouilles en 1898, en 1900 et en 1908, ainsi que celles dirigées par Ernest Renan vers 1861. Ce dernier avait écrit dans son ouvrage “Mélanges religieux et historiques” : « …Quant aux points de la côte où je conseillerais de faire des fouilles, je mets hors de ligne Oum el-Awamid. En continuant à retourner et à examiner les pierres de cet endroit, on aurait la certitude de trouver des nouvelles inscriptions phéniciennes. Après Oum el-Awamid, je mettrais Adloun et ses environs. »
L’usurpation récurrente du domaine public maritime et des monuments historiques, qui s’est accélérée depuis la fin de la guerre civile et amplifiée depuis la fin des années 1990, pose la question de l’efficacité des instances nationales concernées par la “gestion” du patrimoine : le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR), le Conseil supérieur de l’urbanisme, la Section des programmes et de la coordination(4) au sein de la Direction générale de l’urbanisme (DGU)(5), le ministère de l’Environnement, le ministère de la Culture et la Direction générale des Antiquités.

Bien appliquée, la loi libanaise protège efficacement le patrimoine

Bien que l’article 61(6) de la loi sur les municipalités stipule que ces dernières, avec l’accord du mohafez, peuvent mettre « une propriété municipale à disposition d’un service quelconque, après qu’elle ait été consacrée d’utilité publique », d’autres lois relatives aux domaines maritime et archéologique ont pour vocation de limiter l’impact de constructions anarchiques, la privatisation des biens publics et la protection du patrimoine.
La spécificité du site de Adloun, à la fois naturel, culturel et subaquatique, est que s’y enchevêtrent plusieurs lois et mécanismes de prévention, allant de l’inventaire au classement.
Ce cadre juridique permet de prévenir des situations de fait accompli, à condition que les institutions publiques concernées agissent de façon coordonnée et surtout qu’elles aient la volonté de remplir leurs obligations, ce dont la multiplication des infractions permet de douter : destruction systématique des immeubles historiques de Beyrouth (selon l’association Save Beiruth Heritage « sur les 2 400 maisons beyrouthines inscrites sur la liste nationale du patrimoine à préserver en 1986, seules 240 existent encore en 2012 »(7)), projet de construction d’un parking sur la place publique Abdel Nasser à Tripoli, adoption de décrets et de lois conçus spécifiquement pour favoriser des promoteurs (le gouvernement libanais a publié 73 décrets autorisant l’occupation du domaine maritime public)(8). Solidere étant l’exemple le plus connu qui a obtenu par des décrets exceptionnels la possibilité de construire un remblai sur la mer allant du Minet el-Hosn jusqu’au port, ce qui a servi à construire des complexes hôteliers et commerciaux, et réduire les espaces publics. D’autres licences ont été accordées à Selaata, à Kfar Aabida, à Batroun(9), etc. sans oublier Dalieh, les exemples abondent (voir Le Commerce du Levant de janvier 2016 “L’État favorise la privatisation du littoral”).

(1) Rapport rédigé dans le cadre du projet “Environmental Resources Monitoring in Lebanon – ERML” financé par la Direction générale de la coopération internationale pour le développement – agence hellénique d’aide qui relève du ministère des Affaires étrangères et du gouvernement de Grèce, exécuté par le ministère de l’Environnement au Liban et par le Programme des Nations unies pour l’environnement – Bureau régional pour l’Asie du Sud (UNEP ROWA) et le programme des Nations unies pour le développement (UNDP) : https://www.cbd.int/doc/meetings/mar/ebsaws-2014-03/other/ebsaws-2014-03-submission-lebanon-02-en.pdf
(2) Ernest Renan, Louis Lartet, Godefroy Zumoffen “La Phénicie avant les Phéniciens : l’âge de la pierre” et “Géologie du Liban”.
(3) Dorothy Garrod “The Middle Palaeolithic of Adlun and Ras el-Kelb (Lebanon): First results from a study of the flint industries”, “Adlun in the Stone Age: Excavations of Dae Garrod in the Lebanon”, 1958-63.
(4) Le droit de l'urbanisme au Liban - Le Gridauh - Alba.
Cette section est censée définir « des régions touristiques, naturelles, archéologiques et industrielles en vue de leur protection et de leur promotion, proposer les espaces verts, les sites naturels, les vieux quartiers, les bâtiments historiques qu’il est nécessaire de protéger » et « de coordonner avec toutes les administrations et les établissements publics, les organismes concernés par l’environnement, la santé́, l’habitat, l’agriculture, l’industrie en matière d’étude et d’élaboration des plans ».
(5) Créée dans les années 60, la DGU dépend du ministère des Travaux publics et des Transports,
son organisation et son fonctionnement sont régis
par le décret du 21 juin 1997 modifié, elle est
composée du cabinet, service des études d’urbanisme, service de projets municipaux, secrétariat, section
de l’informatique et des archives, bureaux régionaux d’urbanisme dans les chefs-lieux des mohafazats
et de cazas.
(6) http://www.localiban.org/article130.html#nh23
(7) Article paru sur le site Web : “Les clés du Moyen-Orient”.
(8) LocaLiban.
(9) LocaLiban.

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