Un article du Dossier

Gaz naturel : la ruée vers l'or bleu

La nomination en novembre des membres de la nouvelle Autorité de l’énergie est censée permettre au Liban d’organiser enfin un appel d’offres pour attribuer des licences d’exploration de ses fonds marins au premier trimestre 2013.

Alors que ses deux voisins israélien et chypriote avancent rapidement sur la voie de l’exploration de leurs nouvelles richesses gazières, le Liban a pris du retard. Prévu initialement pour la fin de cette année, le premier appel d’offres destiné à attribuer des licences d’exploration n’aura probablement pas lieu avant 2013, même si le ministre de l’Énergie Gebran Bassil a promis qu’il sera « annoncé » avant la fin de l’année. Cette nouvelle promesse est intervenue au lendemain de la nomination le 7 novembre en Conseil des ministres de la nouvelle Autorité de l’énergie qui supervisera l’exploitation des hydrocarbures dans la zone économique exclusive du Liban.
Très attendue, la création de cette autorité est l’une des clauses principales de la loi 132 votée en 2010 pour encadrer l’exploitation du gaz offshore.
Le décret d’application concernant la composition et le règlement interne de l’autorité a été adopté par le gouvernement en mars 2012 à l’issue de longues tractations portant principalement sur la couleur confessionnelle de ses membres censés représenter la mosaïque libanaise. Il a ensuite fallu plusieurs mois pour lancer le processus de sélection et désigner les six membres de l’autorité. Lorsque l’annonce de leur nomination a été faite début novembre, la seule information les concernant qui a été communiquée à la presse portait sur leur confession, sans aucune indication quant à leur expérience professionnelle et leurs compétences. Il a aussi été décidé d’organiser la rotation annuelle de la présidence, en dépit de l’avis contraire émis par le Conseil d’État sur ce point. Selon le ministère de l’Énergie, le processus de sélection de plus de 600 candidats s’est déroulé suivant des critères professionnels et le choix politique ne serait intervenu qu’à la dernière étape, pour départager les candidats présélectionnés.

Trois niveaux de décision

En vertu de la loi-cadre 132 de 2010, l’autorité joue un rôle-clé, même si le ministre conserve des prérogatives importantes et qu’il appartient au Conseil des ministres de prendre les décisions les plus importantes.
La future politique énergétique de l’État libanais doit ainsi se faire à ces trois niveaux. L’autorité dispose de pouvoirs pour tout ce qui concerne les décisions opérationnelles ; il lui appartient de préparer les dossiers techniques et commerciaux et de faire des recommandations lorsqu’une décision politique doit être prise. Les principales décisions engageant l’État libanais sont prises en Conseil des ministres sur proposition du ministre de l’Énergie.
Le gouvernement doit notamment intervenir à quatre étapes majeures du processus : le lancement de l’appel d’offres, l’attribution des licences, l’acceptation du plan d’exploitation commerciale proposé par le détenteur d’une licence en cas de découverte d’hydrocarbures et enfin l’extension éventuelle de la durée d’exploitation.  La nomination de la nouvelle autorité était attendue avec impatience par les acteurs du secteur et elle relance leur intérêt pour les réserves libanaises potentielles. Il appartient désormais à ses six membres de transmettre les décrets réglementant tous les aspects de l’exploration et de l’exploitation sur la base desquels des compagnies internationales s’engageront dans le chantier du gaz offshore libanais. « Tout est prêt », dit-on au ministère de l’Énergie qui s’enorgueillit de n’avoir pas chômé pour avancer tout le travail technique à un rythme indépendant de celui de la politique.

Définition des blocs

La nouvelle Autorité de l’énergie devra examiner les options proposées par les équipes du ministère assistées de consultants et présenter ses recommandations concernant le découpage des blocs destinés à être alloués. Ce choix très important doit tenir compte d’aspects géologiques, économiques et opérationnels pour proposer des blocs homogènes aux candidats : au-delà de 500 mètres de profondeur, les techniques utilisées sont celles du forage en eau profonde, très coûteuses, et plus la profondeur est grande, plus les investissements sont élevés. La valeur estimée des réserves potentielles de chaque bloc est déterminante pour l’intérêt de l’investisseur. De même que la composition géologique des fonds marins, sachant que celle du Liban est très complexe (davantage qu’en Israël et à Chypre selon un expert) avec des couches de sédiments très épaisses, car la zone économique exclusive du Liban correspond au milieu du bassin levantin où les couches sont plus épaisses que sur les bords. « En théorie, cela devrait signifier que les chances d’y trouver des hydrocarbures sont plus grandes », affirme un expert sous couvert d’anonymat. Les blocs doivent aussi tenir compte des structures des réserves potentielles : mieux vaut intégrer une structure entière dans un seul bloc plutôt que de la répartir sur plusieurs blocs afin d’éviter ensuite des procédures juridiquement complexes de regroupement en cas de découverte avérée.
L’autorité doit aussi faire ses recommandations en matière de stratégie d’attribution des licences, sachant qu’un point important fait semble-t-il déjà l’unanimité : il n’est pas question à ce stade de partenariat capitalistique entre l’État libanais et les compagnies étrangères, ce qui facilite les choses. Prévue par la loi, la création d’une compagnie nationale pétrolière n’interviendrait, le cas échéant, qu’à une étape ultérieure. Il est également quasi acquis que l’exploitation se fera sur la base d’un accord de partage des revenus, sachant que ce partage sera au début plus favorable aux compagnies qui prennent seules le risque d’exploration au départ que si l’État l’avait partagé. Reste cependant à déterminer le déroulement de l’adjudication : combien de rounds faut-il ? Doit-elle porter sur la totalité des blocs ou une partie, sachant que le fait de prouver l’existence de réserves dans une première série de blocs permet de mieux valoriser les autres… C’est la stratégie suivie par Chypre qui a d’abord attribué le bloc 12, attendu que les forages prouvent l’existence de réserves, avant de lancer un deuxième round et attribuer quatre autres blocs sur les 13 qu’elle a délimités au total.

Prouver l’existence des réserves

La priorité aujourd’hui pour le Liban est de prouver l’existence de réserves, ce qui suppose de mettre au point un bon programme d’exploration, chaque forage coûtant 120 à 180 000 dollars. « D’un point de vue technique et juridique, le Liban possède aujourd’hui tous les outils nécessaires à l’exploration des fonds marins de sa zone économique exclusive », a déclaré le ministre Gebran Bassil à l’occasion d’une visite de presse organisée sur le navire de recherche sismique M/V Polar Duke menant une étude 3D dans une zone de plus de 2 000 mètres de profondeur. Les premiers résultats de cette étude confiée au groupe Spectrum par le ministère de l’Énergie étaient attendus en novembre et les résultats définitifs début 2013. Cette nouvelle étude sismique en 3D porte sur 1 500 km2, sachant qu’une deuxième phase prévue pour une surface équivalente a débuté le 19 novembre (résultats définitifs attendus en avril 2013).
Ces études en 3D viennent s’ajouter à de précédentes enquêtes sismiques en 3D réalisées par la société PGS ainsi que des études en 2D effectuées par PGS et Spectrum dans la zone économique exclusive libanaise de 22 730 km2.

Études sismiques poussées

Au total, le Liban est « extrêmement bien préparé du point de vue des connaissances techniques de ses ressources avant la phase du forage », affirme un expert sous couvert d’anonymat. « Avec 60 à 65 % de sa zone économique exclusive couverte par la 3D avant la phase de l’exploration, il est même parmi les plus avancés au monde. » Car, en général, l’État concerné commande des études préliminaires en 2D et une partie du travail en 3D est effectuée par la compagnie détentrice d’une licence d’exploration. Le fait que le Liban s’en soit chargé directement représente un gain de temps qui compense en partie le retard accumulé jusque-là. « Les premiers forages pourront débuter un an après l’attribution des blocs contre deux à trois ans autrement. » Cette initiative renforce aussi l’attrait des blocs : la résolution des études en 2D varie entre un et cinq kilomètres carrés, alors que la grille de la 3D repose sur des unités de 100 m2. « La taille réelle d’une structure géologique potentiellement intéressante peut échapper à la 2D si elle mesure 14 km par exemple, alors que la marge d’erreur sera nettement moindre avec la 3D. » Selon le ministère de l’Énergie, les résultats de la 3D ne se contentent pas de confirmer le potentiel du Liban, mais en renforce le caractère prometteur. « Les gisements de la zone explorée par Spectrum pourraient couvrir pendant 100 ans tous les besoins énergétiques du Liban », a affirmé Gebran Bassil.

Appel d’offres

Avant d’en arriver à l’exploitation proprement dite, plusieurs étapes restent à franchir. La première étape consiste à finaliser le cadre réglementaire et légal de l’appel d’offres à travers les décrets d’application de la loi et les accords d’exploration et de production avec toutes leurs annexes. L’essentiel de ce qui reste à approuver dépend du Conseil des ministres, mais certains aspects, notamment fiscaux – il faut mettre la fiscalité libanaise en conformité avec les pratiques sectorielles –, dépendent du Parlement. L’appel d’offres constitue la deuxième étape. La sélection des candidats dure au moins six mois, car l’évaluation des offres est une opération complexe qui prend en compte des éléments scientifiques (nombre de puits, profondeur, emplacement, etc.) et non pas seulement financiers. La troisième débute au moment de l’attribution des blocs. Les compagnies détentrices d’une licence d’exploration ont plusieurs mois pour procéder à des forages. En cas de découverte probante, la quatrième phase débute : le détenteur de la licence d’exploration doit présenter un plan d’exploitation commerciale qui couvre tous les aspects de la production, des préoccupations environnementales en passant par les infrastructures nécessaires au transport, voire à la transformation du gaz, jusqu’à la stratégie de financement, etc. En cas d’approbation de ce plan par le Conseil des ministres, la licence de production est délivrée. Il faut plusieurs années ensuite avant que ne soit produit le premier mètre cube d’hydrocarbure.



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