Historique
Pendant longtemps, les États ont tiré l'essentiel de leurs revenus, non pas des impôts, mais de leurs domaines. Suivant les époques et les régimes, et sur base de légitimations religieuses ou à la suite de conquêtes, les souverains détenaient différentes sortes de droits prééminents sur l'ensemble, ou du moins sur une grande partie, de la terre, et les prélèvements (souvent en nature) étaient justifiés par ce droit. On dispose d'inventaires détaillés des revenus et des dépenses des souverains et des temples de l'Égypte pharaonique et de la Mésopotamie antique. Une proportion non négligeable du territoire libanais (et encore plus dans les pays environnants) était à l'origine propriété du souverain et continue d'être cataloguée au cadastre comme terrains “amiri”. Ces situations perdurent, sous des formes modernisées, dans les mini-États pétroliers où il n'y a pas, dans les faits, de fiscalité ni de distinction nette entre les caisses de l'État et celles de la personne ou de la famille du souverain. Dans les systèmes médiévaux européens, le roi était d'abord un grand féodal et disposait d'un domaine propre, mais il devait faire face à d'autres féodaux. C'est dans ce cadre que le Trésor royal a dû, pour lever des fonds qui dépassaient les revenus de ses domaines et le produit des droits coutumiers (les droits de douane s'appellent bien “customs” en anglais), négocier avec ces féodaux. Deux moments sont restés célèbres : Jean sans Terre signant la grande charte en 1215, face aux barons et aux évêques anglais, pavant la voie au parlementarisme, et Louis XVI, convoquant, en 1789, pour faire face aux problèmes fiscaux du royaume, les États généraux qui allaient déboucher sur la Révolution française. Pendant longtemps, les impôts ont porté la marque des droits anciens : impôts sur la terre (considérée comme source de toute richesse), impôts aux frontières (intérieures et, avec l'essor du mercantilisme, de plus en plus extérieures), taxation par le biais de monopoles (le sel par exemple, mais aussi des droits de péage et une foule de droits administrativo-corporatistes attachés à des autorisations diverses), impôts sur les personnes (découlant souvent d'anciens tributs ou procédant de la substitution à des services personnels militaires ou civils), etc. Tout impôt constitue, en définitive, un prélèvement sur le revenu. Pourtant, l'idée d'imposer directement le revenu n'est venue que très tard et cela malgré les antécédents historiques anciens de la zakât et de la dîme, à connotation religieuse. L'impôt sur le revenu n'a été introduit en Angleterre, comme mesure provisoire et exceptionnelle, que durant les guerres napoléoniennes, et aux États-Unis, durant la guerre de Sécession. C'est seulement avec la Première Guerre mondiale que l'idée en a été effectivement admise. Les sujets fiscaux ont partout été des sujets sensibles, voire brûlants, les efforts pratiques, théoriques et idéologiques pour justifier les prélèvements ou les occulter ont été permanents et intenses. Pourtant, les systèmes fiscaux dans chaque pays présentent une inertie remarquable et il n'y a guère de doute que la fiscalité constitue un révélateur puissant de l'état des sociétés.

Les finalités de l’impôt
L'impôt sert d'abord à apporter des recettes à l'État. À un niveau et une composition donnés des dépenses publiques, le meilleur système fiscal est celui qui nécessite le moins de frais de recouvrement et qui occasionne le moins de coûts économiques. On entend pourtant souvent d'autres justifications. Elles tournent généralement autour des influences secondaires que certains impôts (ou certaines exonérations d'impôts) peuvent avoir dans le sens d’encourager certains comportements ou d’en dissuader d'autres. C'est le cas des externalités positives (favoriser l'investissement, l'emploi, la recherche ou l'export) ou négatives (faire payer les pollueurs, taxer les produits nocifs pour la santé : tabac, alcool, etc.). Ces considérations sont tout à fait valides, mais elles peuvent aisément faire l'objet de manipulations de la part de groupes de pression divers ou de politiciens démagogues, ce qui conduit à installer la confusion dans les deux débats légitimes sur la fiscalité d'une part et sur les politiques sectorielles de l'autre.

Effets économiques
L'impact économique de l'impôt doit être apprécié en prenant en compte à la fois les usages que les contribuables auraient été susceptibles de faire des sommes prélevées sur eux et les usages que la puissance publique fait de ces sommes, une fois prélevées. Dans les analyses courantes, on tend à ignorer le second usage et à insister sur le premier. Dans cet ordre d'idées, il est parfaitement exact de dire que l'impôt n'est pas un simple transfert de richesses (des contribuables aux bénéficiaires, qui sont loin d'être deux ensembles disjoints), mais qu'il induit des effets économiques secondaires. Tout impôt finit par peser soit directement sur la rémunération des facteurs (travail, capital, terre), en la réduisant, soit indirectement sur elle, à travers les prix des biens et services, en les élevant. Si l'on considère que les marchés des facteurs et des biens sont en équilibre (voir lexique sur Monopoles et concurrence, Le Commerce du Levant, mars et avril 2008), ces deux types de variation réduisent les volumes d'utilisation des facteurs et d'échange des biens et génèrent donc des pertes “secondaires” qui peuvent être considérables pour l'économie en général (si l'on pouvait appliquer un taux de 100 % d'impôt sur le revenu, il est probable que personne ne travaillerait plus). Deux remarques s'imposent : 1) Il n'est pas dit que l'on se trouve “naturellement” en situation d'équilibre de marché ; c'est en particulier vrai des cas d'externalité ou d'imperfection conjoncturelle ou structurelle des marchés des facteurs ou des biens ; les déséquilibres persistants sont un signe à ce niveau. 2) Les pertes économiques dépendent directement de l'élasticité des facteurs ou des biens taxés ; si elle est faible, voire nulle, il n'y a aucun “mal” à les imposer, c'est en particulier le cas de la terre, dont l'offre est absolument inélastique, seul le prix variera. Hormis ces deux séries de considérations (qui recouvrent une vaste majorité des cas réels), la théorie dit que l'impôt le moins nocif économiquement est l'impôt forfaitaire (un montant fixe par tête) ou l'impôt surprise. Dans l'un et l'autre cas, le comportement des individus, à la marge, ne serait pas affecté.

Effets sociaux
La réponse à la question “Qui paie l'impôt ?” est rarement évidente et celle à la question plus générale “À qui profitent les finances publiques ?” l'est encore moins. On entend souvent que l'impôt sur la consommation est injuste, qu'il faut taxer les profits des sociétés… et en contrepartie que les cotisations sont à la charge des patrons et que les produits et services de base sont exonérés. Pour y voir plus clair, il faut garder deux idées simples présentes à l'esprit :
1) Toute personne qui subit un prélèvement cherche à en transférer la charge, en totalité si possible, sur autrui, à travers les effets de prix. Le succès dépend des rapports de force ou, en termes techniques, des élasticités respectives de l'offre et de la demande : un salarié lié dans une grille de salaires ne pourra pas aussi facilement qu'un commerçant répercuter le surplus d'impôt sur ses clients, son employeur en l'occurrence. C'est cette comparaison qui détermine qui paie réellement l’impôt et non pas la définition formelle de la partie sur qui incombe la charge vis-à-vis du fisc. En cas de forte rigidité des salaires et de faiblesse de leur part dans le PIB, un impôt, même progressif sur les salaires, peut être plus injuste que la TVA.
2) Chaque fois que l'État intervient dans la fourniture d'un service auquel la production privée participe par une offre parallèle ou qu'elle consomme comme intrant : éducation, santé, routes, énergie, télécoms, etc., l'impact social des finances publiques doit intégrer recettes et dépenses : financer le ministère de la Santé par l'impôt en faisant payer les salariés pour la branche maladie de la CNSS aboutit à les taxer deux fois, exonérer l'éducation et la santé de la TVA, alors que l'État entretient les écoles et l'université publiques et construit des hôpitaux publics revient à subventionner les établissements privés, donner plus longuement une électricité subventionnée aux zones “touristiques” revient à faire subventionner par le reste de la population les entreprises installées dans cette zone…

Effets politiques
Il faut que le “sens civique” soit (très) développé pour que l'impôt soit accepté par ceux qui le subissent. Ce n'est pas pour rien que les gouvernements, plutôt que d'établir des contributions directement identifiables, préfèrent recourir à la taxation indirecte, voire à des formes plus ou moins subtiles de confiscation dont notamment l'inflation, le seigneuriage qui passait autrefois par la manipulation de la teneur en métal fin des pièces de monnaie et qui passe de nos jours par la création monétaire, mais aussi le blocage des loyers comme substitut à une politique du logement… jusqu'à l'épuisement de réserves non renouvelables ou l'accumulation de dettes (ce qui signifie des impôts pour les générations futures). Il suffit pour montrer la centralité de l'impôt dans l'élaboration de la notion de citoyen et l'assainissement des débats publics, de rappeler que la “Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789” a alloué trois articles sur 17 en tout à ce sujet : Article 13 – Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre les citoyens, en raison de leurs facultés. Article 14 - Les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée. Article 15 – La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.