Le secteur public marchand au Liban
Le Liban compte relativement peu d’activités ou d’entreprises publiques si on le compare à d’autres pays. La problématique de la privatisation y concerne trois catégories principales d’entités publiques : celles qui ont été héritées de la période mandataire (offices autonomes, Régie des tabacs, Compagnie du port de Beyrouth, Ogero, etc.) ; celles qui sont tombées dans l’escarcelle de l’État pour des raisons financières (Middle East Airlines, Intra, etc.) ; et, beaucoup plus rares, celles qui ont été volontairement constituées en entreprises publiques, comme Électricité du Liban (l’objectif étant au tournant des années 1960 de garantir l’extension du réseau à tout le territoire, y compris dans des zones que les concessions auraient jugé peu rentables).

Les expériences de privatisation
Contrairement à ce qu’on entend souvent dire, le Liban d’après-Taëf a largement recouru à la privatisation, ou plus généralement aux “partenariats public-privé”, mais il l’a fait de manière éclectique, en utilisant des appellations diverses et sans cadre régulateur reconnu. Paradoxalement, c’est depuis qu’une loi cadre sur la privatisation a été adoptée en 2000 que les opérations de privatisation se sont ralenties.
Parmi les expériences “de privatisation” réalisées : le remblai de Dbayé, la reconstruction du centre-ville de la capitale par la société Solidere, le ramassage et le traitement des ordures dans la plus grande partie du pays par le groupe Sukleen, les BOT de la téléphonie mobile, la gestion de l’aéroport de Beyrouth, le parking de l’aéroport, la Poste, les radios et télévisions privées, les licences et les actifs de banques détenues par la Banque centrale, etc. Les opérations avortées sont nombreuses elles aussi : la Régie des tabacs, le remblai de Linord, le Palais des congrès, les autoroutes à péage vers Damas et autour de Beyrouth, etc.
L’occupation (faut-il le rappeler) illégale du domaine maritime constitue aussi un cas de privatisation de fait (que l’on cherche timidement à régulariser d’ailleurs).
Il est clair que l’ensemble de ces expériences n’est pas de nature à inspirer confiance aux Libanais.

Les perspectives de la privatisation
La privatisation n’est devenue un thème central du discours politique (ce qui est différent des pratiques effectives) que dans la perspective du traitement des problèmes graves des finances publiques. Les premières mentions officielles remontent à l’automne 1998. Depuis, tous les “programmes” se font un devoir de mentionner la privatisation, les documents présentés aux conférences de Paris II et de Paris III n’ont pas été en reste.
Cette approche est restrictive et dangereuse, car elle réduit le débat à une transaction financière et, ce faisant, elle rend la réalisation de la privatisation difficile et augmente le risque que, si elle se réalise, elle se fasse à des conditions économiquement et déontologiquement peu favorables.
Elle est pourtant tentante, car elle permet, en situation de blocage politique, d’alimenter les discours des différentes parties : les gouvernants et les opposants ont intérêt à amplifier les estimations des revenus de la privatisation, les premiers pour éviter de proposer des actions économiques et fiscales difficiles et politiquement coûteuses en faisant croire que la solution est toute trouvée, les seconds pour hausser la barre à un point tel que toute privatisation apparaîtra comme une braderie et alimentera les suspicions, les gouvernants se retranchent dès lors devant les obstructions politiques pour justifier le blocage des “réformes”, etc.
L’expérience en cours de privatisation de la téléphonie mobile montrera la réalité des positions et le degré de liberté de l’Autorité de régulation des télécoms par rapport aux calculs financiers et politiques !

Les risques de la privatisation
La privatisation n’est pas suffisamment simple pour qu’on puisse être “pour”, et en faire la solution des problèmes de l’économie, ou “contre”, pour en faire une opération de piraterie.
De manière générale,
• sur le plan de la politique, on ne règle pas les problèmes d’un État faible, bloqué, incompétent ou corrompu par la privatisation ; car la privatisation ne dispense pas l’État de ses responsabilités, bien au contraire, la faiblesse de l’État est capable d’en dissiper les retombées positives espérées ;
• sur le plan économique, il n’y a pas grand sens, en l’absence de politiques sectorielles et de délimitation claire du service public, à espérer des effets positifs de la privatisation dès lors qu’elle touche des activités socialement ou économiquement significatives ;
• Sur le plan financier, la privatisation n’est pas un substitut à des politiques fiscales crédibles et ne doit pas être utilisée pour gagner du temps si l’on n’a pas une idée précise de ce à quoi on compte utiliser le temps gagné.
Il reste que chaque cas impose ses règles et le tableau suivant présente une vue synthétique du “territoire” de la privatisation au Liban, au vu des considérations et des critères déjà évoqués.

Tableau inclus dans la version pdf.