Un article du Dossier

Loyers anciens : les députés ont achevé le toilettage de la loi

1) Ce qui ne change pas
- Qui est concerné par la loi ?
Tous les anciens baux, exception faite des baux commerciaux qui sont prolongés jusqu’à fin 2018, date à laquelle un autre texte législatif devrait décider de leur sort. Seuls les propriétés agricoles, les locations saisonnières ou les logements de fonction sont exclus.
- Évaluation de la valeur locative du bien
Le pourcentage appliqué pour calculer la valeur locative du bien a été modifié, passant de 5 % à 4 % de sa valeur marchande à la vente. En revanche, le mécanisme pour aboutir à un accord entre propriétaire et locataire sur l’évaluation de ce montant reste le même.
En cas d’accord amiable entre locataire et propriétaire :
Des experts sont nommés. Si propriétaires et locataire(s) s’entendent sur une évaluation commune du bien concerné, leur accord est ensuite soumis à l’approbation de la commission.
En cas de désaccord :
Le propriétaire nomme deux experts indépendants, qui déterminent la valeur du bien. Le propriétaire a normalement d’ores et déjà nommé ses experts (il pouvait le faire trois mois après l’entrée en vigueur de la loi). Si le locataire conteste l’expertise, il doit diligenter une contre-expertise dans un délai de deux mois après réception de la notification par le propriétaire. Si les deux évaluations diffèrent, la commission d’évaluation des loyers devra trancher. Propriétaires et locataires ont désormais la possibilité de faire appel de la décision de la commission devant la cour d’appel.
- Délai supplémentaire pour les
locataires dans le besoin
La loi prévoit une dérogation à la résiliation du bail pour les locataires les plus nécessiteux au terme de 9 ans : lorsque leurs revenus sont inférieurs à cinq fois le revenu minimum, la loi les autorise à rester trois années supplémentaires dans le logement après la fin de la période de transition (de 9 ans). Ce qui porte cette période à 12 ans dans leur cas.

2) Ce qui change
- Pas d’effet rétroactif
Précision importante : la loi de libéralisation des anciens loyers n’aura pas d’effet rétroactif. L’article 55 précise que la loi exceptionnelle n° 160 de 1992 continuera de s’appliquer jusqu’au 28 décembre 2014, date d’entrée en vigueur de la nouvelle loi.
En cas de procédure judiciaire, entamée avant son entrée en vigueur, les litiges seront jugés selon les dispositions des anciennes lois exceptionnelles. Un cas déroge toutefois : quand le propriétaire entend expulser son locataire avant la fin de son bail (pour reprendre son logement pour raison familiale ou pour le démolir). C’est alors la nouvelle loi de libéralisation des loyers anciens qui s’applique et définit en particulier le montant des indemnités dues.
- Renforcement de la commission
d’évaluation des loyers
Les parlementaires ont réduit de cinq à trois les membres de la commission d’évaluation, supprimant le représentant des locataires et celui des propriétaires, et conservant les trois juges qui la composent. Présidée par un juge honoraire (un juge à la retraite), désigné par le ministère de la Justice, cette commission se compose de deux autres fonctionnaires nommés par le ministre des Finances et le ministre des Affaires sociales. Leur indépendance vis-à-vis de leurs autorités de tutelle est renforcée : une fois nommés, ils sont inamovibles. Les pouvoirs publics ne pouvant plus intervenir pour les muter. Comme dans l’ancienne mouture de la loi, ces commissions existeront dans chaque mohafazat. Les parlementaires ont également étoffé le rôle de cette commission : elle avait déjà la charge d’étudier les dossiers et d’attribuer les aides financières aux locataires éligibles. Mais les députés lui ajoutent une nouvelle mission : régler les litiges entre propriétaires et locataires, quand ceux-ci concernent la valeur des logements concernés. En cas de conflit sur l’évaluation, locataires et propriétaires pourront saisir ensemble ou séparément la commission d’évaluation.
- Contestation des décisions
de la commission
C’était l’un des principaux griefs du Conseil constitutionnel : l’absence de recours possible quant aux décisions prises par cette commission. Désormais, ses décisions pourront faire l’objet d’un recours devant la cour d’appel. En revanche, les parlementaires n’ont pas prévu de cassation. Les règles de procédures seront celles qui sont suivies habituellement devant les tribunaux pour ce genre de litiges.
- Création d’une caisse spéciale
Le fonds de compensation, censé venir en aide aux locataires les plus nécessiteux, est finalement institué sous la forme d’un compte spécial du ministère des Finances. Son financement n’a toujours pas été clarifié. Tout au plus, les parlementaires ont-ils suggéré que cette caisse puisse en partie être alimentée par des donations de particuliers, qui donneraient lieu à un abattement sur l’impôt sur le revenu ou une exonération des droits de mutation en cas de succession.
- Élargissement des bénéficiaires
de l’aide financière
Les députés ont élargi le nombre de bénéficiaires potentiels des aides financières de la caisse. Les locataires de logements de luxe étaient jusque-là exclus. Ils pourront eux aussi recevoir des subsides de l’État. Les conditions pour y prétendre sont identiques à celles des locataires de logements “standard” avec des baux anciens. Seuls les locataires étrangers restent exclus du champ de cette subvention.
- Allocations revues
Les parlementaires ont abaissé les seuils ouvrant accès à des aides. Pour prétendre à une subvention, qu’il s’agisse d’une indemnité de départ ou d’une “allocation logement”, les revenus du locataire peuvent aller jusqu’à cinq fois le salaire minimum (2 250 dollars) au lieu de trois fois (1 350 dollars) dans la mouture initiale de la loi. Deux cas de figure demeurent :
* Lorsque les revenus du locataire ne dépassent pas 1 350 dollars, la caisse couvre l’intégralité des augmentations de loyers. S’il s’agit d’une indemnité de départ, son montant est fixé à l’équivalent des loyers augmentés sur la période de transition de neuf ans. Le montant de cette indemnité est ensuite diminué d’un neuvième chaque année jusqu’à zéro la neuvième et dernière année.
* Lorsque les revenus du locataire oscillent entre 1 350 et 2 250 dollars, l’État prend en charge la différence entre 20 % des revenus déclarés et la valeur locative annuelle du logement. Dans l’ancienne version de la loi, le taux applicable était de 30 %. S’il s’agit d’une indemnité de départ, la caisse verse au locataire un montant qui correspond à la différence entre 20 % du revenu moyen et la valeur locative. L’indemnité est ensuite diminuée d’un neuvième pour chaque année qui passe comme dans le premier cas.
* Au-delà de 2 250 dollars, le locataire n’a droit à aucune aide ni indemnité de l’État.
- Instauration d’un droit de priorité
C’est une vraie nouveauté : le locataire d’un logement ancien (loti) bénéficie d’un “droit de priorité” pour acheter son logement au prix proposé par le propriétaire. Pour y prétendre, le locataire doit d’abord notifier son propriétaire (par l’intermédiaire d’un notaire) par courrier recommandé de son désir d’acheter son logement (même si le bien n’est pas encore à vendre). Si le propriétaire décide de vendre pendant la période de transition, il devra le signifier à son locataire en mentionnant le prix. Le locataire pourra alors faire valoir son droit de préférence, dans les deux mois qui suivent cette notification et acquérir le bien.
- Valeur locative fixée à 4 % de la valeur vénale
La valeur locative d’un bien correspond au montant théorique du loyer annuel que le propriétaire peut percevoir en le louant. Pour la calculer, on applique à la valeur vénale (ou de vente estimée) du bien un coefficient qui varie selon les pays, les villes et même les quartiers. Dans l’ancienne mouture de la loi, cette valeur locative se calculait en appliquant un coefficient de 5 % à la valeur estimée du bien. Dans la nouvelle version, les parlementaires ont abaissé ce seuil à 4 %. Désormais, si le bien est estimé à 500 000 dollars, sa valeur locative annuelle sera de 20 000 dollars (4 %) au lieu de 25 000 (5 %). C’est ce montant que le loyer devra atteindre au bout des neuf années de transition par paliers successifs (Voir Le Commerce du Levant n° 5652 de mai 2014).
- Résiliation avant le terme du bail
Comme avec les lois exceptionnelles, le nouveau texte prévoit plusieurs motifs de résiliation du bail avant son terme. Il s’agit de “nécessités familiales” (mariage du propriétaire ou de l’un de ses enfants par exemple) ou d’un projet de destruction de l’immeuble. C’est alors au propriétaire d’indemniser le locataire. Mais l’indemnité varie selon les cas :
* Si le bail est rompu pour “nécessité familiale”, la compensation à payer au locataire équivaut à quatre années du loyer de référence. Pour un bien estimé à 500 000 dollars, par exemple, le locataire sera en droit d’exiger une indemnité de 80 000 dollars pour sortir du logement avant le terme de son bail.
* Si le propriétaire entend récupérer son logement pour le détruire, la compensation due sera équivalente à sept ans de loyer annuel de référence (contre six ans dans la rédaction actuelle de la loi). Le locataire sera ainsi en droit d’exiger une indemnisation de 140 000 dollars pour vider les lieux pour un logement estimé à 500 000 dollars.
* Si le propriétaire entend récupérer son logement pour un autre motif, il devra entamer une négociation avec son locataire. La loi n’impose en la matière aucune indemnité précise. Si la négociation n’aboutit pas, le propriétaire ne pourra pas mettre le locataire à la porte.
- Location-accession
Le locataire de baux anciens profite désormais d’un “droit absolu” – c’est-à-dire qu’il est prioritaire sur tous les autres locataires – pour bénéficier du mécanisme de location-accession. Ce mécanisme, qui est une forme de leasing, est prévu dans les lois nos 767 et 539 de 1996. Mais le mécanisme n’a jamais pu être mis en œuvre à défaut de décret d’application prévoyant d’éventuelles incitations financières pour les propriétaires (ou les organismes chargés de construire ces logements). La commission parlementaire de la Justice et de l’Administration planche à l’heure actuelle sur cette réglementation.
- Inflation fixée à 12,8 %
Les lois exceptionnelles prévoyaient une augmentation du loyer en fonction de l’indice de la cherté de vie. La dernière majoration a eu lieu au moment de l’augmentation des salaires en 2012. Mais la rédaction floue du décret comme celle de la loi décidant l’augmentation a posé de nombreuses difficultés d’application dans le calcul des augmentations autorisées, poussant certains propriétaires à ne pas procéder aux augmentations, à défaut de comprendre les seuils autorisés et d’autres à appliquer une hausse de 50 %. C’est pour clarifier ce point que les parlementaires ont décidé que l’augmentation de loyer qui couvre la période 2012-2014 serait fixée à 12,8 % du loyer de référence. Si les loyers de certains locataires ont été majorés davantage, les propriétaires devront défalquer le trop perçu sur les loyers à venir dus par les locataires.
- Proches et familles dans le logement
La rédaction originelle de la loi prévoyait que certains membres de la famille pouvaient hériter du droit de bail et profiter de la prorogation, si le décès ou la renonciation au bail avaient eu lieu avant juillet 1992. Cette date disparaît dans la nouvelle mouture. Aujourd’hui il n’existe plus de condition de date pour rester dans les lieux et le conjoint est clairement mentionné comme bénéficiaire.
dans ce Dossier