Entrée en vigueur le 28 décembre dernier, la loi de libéralisation des loyers anciens avait besoin d’un sérieux toilettage, le Conseil constitutionnel ayant révoqué en 2014 certaines de ses dispositions les plus importantes. Les parlementaires viennent de voter les amendements qu’ils entendent apporter à cette loi pour lui permettre de mieux fonctionner.

Les députes ont voté le 19 janvier différents amendements à la loi de modernisation des loyers anciens de 2014. Cette loi, entrée en vigueur le 28 décembre 2014, favorise la sortie progressive (sur neuf à douze ans, selon les cas) du système des loyers encadrés. Elle concerne une partie non négligeable de la population : selon des députés, le ministère des Finances a comptabilisé quelque 94 500 baux anciens dûment enregistrés ainsi qu’environ 15 000 non enregistrés, ce qui porte le total à environ 110 000. En prenant une moyenne de quatre à cinq personnes par foyer, cela signifie qu’entre 400 000 et 500 000 individus sont concernés, soit près de 10 % de la population libanaise. Parmi eux, beaucoup sont des ménages défavorisés : le ministère des Finances estime que 85 % des baux anciens enregistrés concernent des foyers touchant moins de trois fois le salaire minimum (soit 1 350 dollars).

Un toilettage de la loi

Proposés par la commission parlementaire de l’Administration et de la Justice dès 2015, ces amendements ne modifient pas la loi en profondeur. Tout au plus, renforcent-ils certains de ses mécanismes comme le rôle de la commission d’évaluation des loyers. Surtout, ces amendements tentent d’atténuer l’impact social de la fin du système des loyers encadrés, notamment en abaissant de 5 à 4 % le calcul de l’estimation de la valeur locative des biens concernés. C’est ainsi que les parlementaires ont institué un compte spécial auprès du ministère des Finances, inscrit dans le budget de l’État, afin de venir en aide aux ménages les plus défavorisés pour les aider à payer les loyers augmentés ou leur permettre de sortir plus rapidement de leur ancien logement.
Cependant, comme précédemment, le mode de financement de ce compte spécial n’a pas encore été décidé. Tout au plus, le Premier ministre, Saad Hariri, s’est-il « solennellement engagé » à le mettre en œuvre d’ici à juin 2017 et à trouver les modes de financement ad hoc dans ce même délai. En 2015, le ministère des Finances, dans une note de services qui avait fuité dans la presse, avait estimé ces besoins de financement à quelque 1,9 milliard de dollars sur neuf ans. De son côté, Nicolas Chammas, président de l’Association des commercçants de Beyrouth, sinquiète du coût de cette loi, qu’il estime à 2 ou 3 milliards de dollars. 
Au final, les parlementaires réunis en assemblée plénière le 19 janvier n’ont apporté qu’une seule innovation de taille aux amendements décidés en commission, selon le député Ziad Assouad, cité par le quotidien al-Akhbar. Il s’agit de la suspension de la loi pour les ménages défavorisés (soit moins de trois fois le revenu minimum mensuel) tant que l’État n’aura pas créé et trouvé le financement de ce fameux “compte spécial”.

Décryptage des principaux amendements

Tous les baux sont concernés
Comme dans la première mouture de la loi de modernisation des loyers anciens, tous les anciens baux sont concernés, exception faite des baux commerciaux qui, eux, sont prolongés jusqu’à fin 2018, date à laquelle un autre texte législatif devrait décider de leur sort. Pour ce qui concerne les baux résidentiels, seuls les propriétés agricoles, les locations saisonnières ou les logements de fonction sont exclus du champ d’application de la loi de 2014.
Le mécanisme d’augmentation progressive demeure inchangé : pendant les quatre premières années (phase 1 du tableau), le loyer initial “bloqué” est augmenté chaque année de 15 % de la différence entre la valeur locative (4 % de la valeur estimée du bien) et le loyer ancien. Pendant la 5e et la 6e année (phase 2), l’augmentation équivaut à 20 % de cette différence. Enfin, sur les trois dernières années, la hausse est de 100 % de cette différence.
Ainsi, si le loyer ancien est de 1 000 dollars à payer annuellement, pour un bien estimé à 500 000 dollars, le locataire devra payer pendant les quatre premières années 3 000 dollars par an d’augmentation (15 % de 20 000 dollars). Soit un loyer de 4 000 dollars annuels.
Pendant la 5e et la 6e année (phase 2), l’augmentation sera de 4 000 dollars (20 % de 20 000 dollars). Le loyer annuel sera alors de 5 000 dollars.
Enfin, lors de la dernière phase de transition, la valeur locative de référence (4 % de la valeur du bien) est atteinte, soit 20 000 dollars annuels.
À terme, passé ces neuf années, le loyer est libre et le propriétaire peut fixer un nouveau loyer. Le locataire, s’il n’a pas les moyens financiers, devra alors trouver un autre logement.


Pas d’effet rétroactif
La loi de libéralisation des anciens loyers n’a pas d’effet rétroactif. Ce qui signifie que les lois exceptionnelles (1992) s’appliquent jusqu’au moment de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, le 28 décembre 2014.
En cas de procédure judiciaire, entamée avant son entrée en vigueur, les litiges seront de fait jugés selon les dispositions des anciennes lois exceptionnelles sauf dans un seul cas : lorsque le propriétaire entend expulser son locataire avant la fin de son bail (pour reprendre son logement pour raison familiale ou pour le démolir). C’est alors la nouvelle loi de libéralisation des loyers anciens qui s’applique et définit en particulier le montant des indemnités dues.

Nomination d’une commission d’évaluation des loyers
Les parlementaires ont modifié les modalités de nomination des membres de la commission d’évaluation des loyers, que la loi instituait et que le Conseil constitutionnel avait retoquée en août 2014. Comme dans le texte initial, cette commission est chargée de décider des aides financières à donner aux foyers à revenus modestes. Désormais, elle est aussi chargée d’évaluer les augmentations de loyers.
Présidée par un juge, nommé par le ministère de la Justice, elle  est  composée de deux autres membres, nommés par d’autres ministères et sera représentée au sein de chaque mohafazat.
L’indépendance de ces juges vis-à-vis de leurs autorités de tutelle est renforcée : une fois nommés, ils sont en effet inamovibles. Les pouvoirs publics ne pouvant plus intervenir pour les muter.
Enfin, élément important, un recours judiciaire des décisions de cette commission est également prévu. Son absence étant l’un des principaux griefs du Conseil constitutionnel en 2014. Désormais, locataires et propriétaires pourront contester ses décisions devant une cour d’appel.

Abaissement de la valeur locative
La valeur locative annuelle, qui détermine les augmentations de loyers à venir, est désormais estimée à 4 % de la valeur vénale du logement (au lieu de 5 % comme le prévoyait la loi dans sa version originale). Ainsi, si le bien est estimé à 500 000 dollars, sa valeur locative annuelle sera de 20 000 dollars (4 %) au lieu de 25 000 (5 %). C’est ce montant que le loyer devra atteindre au bout des neuf années de transition par paliers successifs (voir Le Commerce du Levant, n° 5652, mai 2014) voire douze années pour certains foyers défavorisés (ou les personnes âgées).
Le mécanisme pour aboutir à un accord entre propriétaire et locataire sur l’évaluation de ce montant demeure en revanche inchangé : si locataires et propriétaires ne parviennent pas à s’entendre à l’amiable après la venue de leurs experts respectifs, chargés d’établir une estimation du bien concerné,  la commission spéciale sera chargée de trancher. Si le désaccord se maintient, locataire ou propriétaire pourront recourir à la justice. 

Création d’un compte spécial
Le fonds de compensation, censé venir en aide aux locataires les plus nécessiteux, est finalement institué sous la forme d’un compte spécial auprès du ministère des Finances. Toutefois, son mode de financement reste encore obscur : aucune nouvelle rentrée fiscale n’a été créée pour faire face aux besoins de financement. En 2015, le ministère des Finances estimait pourtant que les besoins sur neuf ans – la période de transition voulue par la loi (exceptions faites de cas spéciaux) − s’élevaient à 1,9 milliard de dollars. Le ministère estimant que, sur les quelque 94 500 baux anciens recensés auprès de ses services, 85 % concernaient des ménages défavorisés, dont 25 % d’entre eux au moins touchent entre 450 et 1 350 dollars par mois (entre une fois et trois fois le salaire minimum).
Inscrit dans le budget de l’État, ce compte spécial pourrait être en plus alimenté par des donations de particuliers, lesquels donneraient alors lieu à un abattement sur l’impôt sur le revenu ou à une exonération des droits de mutation en cas de succession. 
D’après le quotidien al-Balad, le ministère aurait d’ores et déjà reçu quelque 4 000 demandes émanant de locataires anciens, qui demandaient l’aide de l’État pour faire face aux augmentations de loyers. Ces demandes auraient été laissées en suspens dans l’attente de la création du compte spécial. Le ministère des Finances n’a pas confirmé l’information.

Élargissement des bénéficiaires de l’aide financière
Le nombre de bénéficiaires potentiels des aides financières a été élargi : les locataires de logements de luxe, qui étaient exclus dans la loi initiale de 2014, recevront également des subsides de l’État. Seuls les locataires étrangers restent exclus du champ de cette subvention.

Seuils d’allocations revues
Les seuils, ouvrant accès à des aides financières, ont été abaissés. Pour prétendre à une aide de l’État, les revenus du ménage peuvent maintenant aller jusqu’à cinq fois le salaire minimum (2 250 dollars) contre trois fois (1 350 dollars) auparavant.
Trois cas de figure :
- Les revenus du ménage ne dépassent pas 1 350 dollars : l’État devra couvrir l’intégralité des augmentations de loyers.
- Les revenus du ménage oscillent entre 1 350 et 2 250 dollars : l’État prend en charge 80 % du nouveau loyer.
- Au-delà de 2 250 dollars, le locataire n’a droit à aucune aide ni indemnité de l’État.

Résiliation du bail avant terme
Comme avec les lois exceptionnelles, le nouveau texte prévoit plusieurs motifs de résiliation du bail avant son terme. Il s’agit de “nécessités familiales” (mariage du propriétaire ou de l’un de ses enfants par exemple) ou d’un projet de destruction de l’immeuble. C’est alors au propriétaire d’indemniser le locataire. Mais l’indemnité varie selon les cas :
- Si le bail est rompu pour “nécessité familiale”, la compensation à payer au locataire équivaut à quatre années du loyer de référence. Pour un bien estimé à 500 000 dollars, par exemple, le locataire sera en droit d’exiger une indemnité de 80 000 dollars (4 % de la valeur locative) pour sortir du logement avant le terme de son bail.
- Si le propriétaire entend récupérer son logement pour le détruire, la compensation due sera équivalente à sept ans de loyer annuel de référence. Le locataire sera ainsi en droit d’exiger une indemnisation de 140 000 dollars pour vider les lieux pour un logement estimé à 500 000 dollars.
- Si le propriétaire entend récupérer son logement pour un autre motif, il devra entamer une négociation avec son locataire. Et l’avertir de sa volonté de récupérer son logement, chaque premier trimestre de l’année. La loi n’impose en la matière aucune indemnité précise. Si la négociation n’aboutit pas, le propriétaire ne pourra pas mettre le locataire à la porte.

Proches et familles déjà dans le logement
La rédaction originelle (article 29) de la loi prévoyait que certains membres de la famille pouvaient hériter du droit de bail et profiter de la prorogation, si le décès ou la renonciation au bail avaient eu lieu avant juillet 1992. Aujourd’hui, il n’existe plus de condition de date pour rester dans les lieux et le conjoint est clairement mentionné comme bénéficiaire. La nouvelle rédaction de la loi prévoit explicitement que les enfants, dont les parents sont morts avant 1992 et qui occupent le logement sans discontinuité, sont aussi bénéficiaires du droit de bail.