Plus de la moitié des émigrés Libanais (55 %) envoient de l’argent vers leur pays d’origine, et le quart d’entre eux le font de manière régulière. Ces chiffres qui confirment les données macroéconomiques sont le fruit d’une enquête réalisée par l’Observatoire universitaire de la réalité socio-économique (Ourse) de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth (USJ), sous la direction de Choghig Kasparian.
Environ 5 700 dollars sont envoyés annuellement par chaque émigré, lit-on dans le rapport intitulé “L’apport financier des émigrés et son impact sur les conditions de vie des Libanais”.
Ces chiffres, issus d’une enquête réalisée en 2012 auprès d’un échantillon aléatoire de
2 000 ménages, varient toutefois selon les zones d’immigration, l’âge, le sexe, le niveau d’éducation et les conditions de vie des émigrés. Ainsi, 66,3 % des expatriés vivant dans les pays du Golfe envoient des fonds à destination du Liban, contre 67 % en Afrique et 46 % en Australie. Les écarts apparaissent également dans les montants envoyés : en Afrique, par exemple, ces derniers atteignent en moyenne 9 000 dollars par émigré par an, suivis des pays du Golfe (8 100 dollars par émigré par an), puis de l’Europe et des Amériques avec des montants nettement inférieurs (environ 4 300 dollars par émigré par an).
Les émigrés jeunes (de 25 à 30 ans) sont les plus enclins à effectuer des transferts (61,5 %), tandis que 66 % des hommes ayant un niveau d’éducation universitaire, contre 50,5 % des femmes appartenant à la même catégorie, figurent parmi les principaux “pourvoyeurs”.
L’affiliation et le degré de proximité sont également des facteurs déterminants. Ainsi, 71 % des “enfants” émigrés envoient de l’argent à leurs parents qui résident au Liban. Parmi eux, 44,2 % le font régulièrement et 25 % de manière sporadique, selon les résultats de l’enquête. 
En revanche, le statut professionnel pèse moins dans la balance. Qu’ils soient patrons (3,8 % de l’échantillon), salariés (53,6 %) ou travailleurs à leur compte (38 %), leur comportement en termes de fréquence et de montant des remises est sensiblement le même.

Profil des ménages

L’enquête porte aussi sur le profil des ménages bénéficiant des transferts : il s’agit souvent de ménages de taille plus modeste que la moyenne (3,4 contre 4,2 personnes). Leurs membres sont relativement plus âgés que les ménages ne bénéficiant pas de transferts : 25 % ont 60 ans et plus, contre 14,6 % dans les ménages “sans transferts”, tandis que 14,2 % sont âgés de moins de 15 ans, contre 19,1 %, respectivement.
Autre particularité soulevée par l’enquête : les femmes sont davantage présentes dans les ménages bénéficiant de transferts. Elles en représentent 54,2 %, contre 50,4 % au sein des familles “sans transferts” et sont “chefs de famille” dans 23,2 % des cas, contre 16,2 % respectivement. Enfin, dans 35 % des ménages “avec transferts”, des femmes âgées entre 19 et 29 ans poursuivent leurs études, contre 29 % dans les ménages “sans transferts”, indique l’enquête.
Sur un autre plan, l’Ourse souligne l’écart au niveau du taux d’activité (15-64 ans) entre les deux types de ménages. Celui-ci atteint en moyenne 48,2 % au sein des ménages bénéficiant de transferts et 54,2 % dans les familles comptant uniquement sur elles-mêmes. L’écart s’exprime également au niveau du revenu, mais seulement parmi les hommes. Ces derniers gagnent près de 1,5 million de livres en moyenne par mois dans les ménages “sans transferts” contre un peu moins de 1,28 million de livres parmi les autres ménages. Cette différence s’estompe quand il s’agit de femmes. Celles-ci ont des revenus propres d’environ 1,07 million de livres chaque mois, qu’elles appartiennent à des ménages “avec” ou “sans” transferts.

Dépenses et conditions de vie

Contrairement aux idées reçues, les transferts des émigrés vont davantage aux besoins quotidiens de consommation qu’aux investissements à long terme, révèle, par ailleurs, l’enquête. Ainsi, seuls 3 % des ménages propriétaires d’un logement ont pu l’acquérir grâce aux transferts en provenance de l’étranger, sachant que 80 % des ménages (avec ou sans transferts) sont propriétaires, selon l’Ourse. En revanche, environ deux tiers des ménages (61,4 %) déclarent utiliser ces aides pour financer des besoins alimentaires et plus de la moitié (53,9 %) pour améliorer leur vie quotidienne.
Les remises des émigrés permettent en effet de subvenir à certains besoins tels que l’acquisition d’appareils technologiques, le financement des études des jeunes ou encore la couverture des frais de santé des membres les plus âgés. Ainsi, 41,4 % des ménages bénéficiant de transferts comptent intégralement ou partiellement sur cet apport financier pour assurer les frais scolaires ou universitaires de leurs enfants, précise l’enquête. Au niveau de l’assurance médicale, ils sont 52 % à en jouir parmi les ménages “avec transferts”, contre 60 % pour les autres ménages, mais cet écart aurait été plus large à défaut d’apport financier des émigrés, estime l’Ourse. En effet, le faible taux d’activité professionnelle parmi les ménages “dépendants” se traduit par moins d’inscrits à la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS) au sein de ces familles, mais cela est partiellement comblé par l’adhésion à des contrats d’assurance privée, souligne le centre de recherches affilié à l’USJ.
Plus globalement, les transferts, qui représentent en moyenne 40 % des revenus des ménages concernés, ont pour conséquence l’amélioration du niveau de vie des ménages peu favorisés et la réduction des inégalités sociales, souligne l’Ourse. Les familles bénéficiant d’un apport financier sont en effet moins nombreuses à avoir un revenu inférieur à 1,2 million de livres par mois (15,9 %), comparées aux ménages sans transferts (21,8 %).
En outre, le revenu mensuel moyen d’un ménage “avec transferts” est légèrement supérieur à celui d’un ménage “sans transferts”, précise l’enquête. Celui-ci s’élève à 2,89 millions de livres par mois, contre 2,76 millions, respectivement. L’écart est d’autant plus important lorsque ces montants sont rapportés au revenu par tête. Celui-ci s’élève à 1,04 million dans les ménages recevant des transferts, à la taille plus modeste, contre 765 000 livres dans les ménages “sans transferts”.
Autre impact important : un endettement plus faible. Selon l’Ourse, les ménages “sans transferts” sont davantage endettés que les ménages jouissant d’un apport financier externe, environ un tiers (31,9 %) de ces ménages ayant déclaré avoir eu recours à un emprunt pour assouvir différents besoins, contre 22,4 % pour les ménages recevant des transferts.