Dans bien des pays, la crise des déchets que vit le Liban depuis des semaines aurait conduit à la démission des responsables – a minima le ministre de tutelle, voire tout le gouvernement. À Beyrouth, les impudents restent non seulement vissés à leur siège, mais continuent de servir leur mascarade : un jour ils annoncent les noms des vainqueurs d'un appel d’offres en tout cas bidonné, le lendemain ils le dénoncent et sortent comme par enchantement de leur chapeau un “programme de développement” pour le Akkar, en espérant pouvoir y déverser les ordures.
L’explication officielle du maintien en place du cabinet tient à la nécessité de protéger le Liban du “chaos” : la préservation du gouvernement de Tammam Salam fait l’objet d’une entente régionale et internationale. Et elle est de toute évidence dans l’intérêt de tous les partis de l'échiquier libanais qui n’hésitent pas une seconde à torpiller des projets vitaux pour le pays – eau, électricité, déchets et j'en passe, pour le seul plaisir de marquer des coups politiques les uns contre les autres et/ou de préserver leurs intérêts financiers. C'est en ce sens que le mouvement “Vous puez” vise juste : il n'y a pas de différence entre les uns et les autres au-delà des alignements géopolitiques divergents et leur seul point commun est leur irresponsabilité et leur mépris total pour l’intérêt général.
Dans le fond, beaucoup de Libanais partagent le mépris des manifestants du centre-ville pour leurs “dirigeants”, leur colère face à un pouvoir à l’irresponsabilité criminelle, et aucun n’attend d’eux de réelles solutions. Mais ce qui domine paradoxalement c’est la peur. Car ce n’est pas la rue qui fait le véritable changement. Le souvenir du 14 mars 2005 et celui encore plus frais des “printemps arabes” ne favorisent pas l'aventurisme. En cela, le système politique en place au Liban est très fort, même si les tentacules de la pieuvre mafieuse s’emmêlent de plus en plus. S’il n’est pas une dictature au sens strict, il n’a laissé la place à aucune opposition crédible. L'équation paraît donc insoluble, sauf à espérer que les nombreuses mobilisations citoyennes, dans la rue, ou dans un nombre grandissant de comités de réflexion politiques, une étincelle finisse par jaillir.