À qui faut-il confier l’adjudication du contrat de location de barges productrices d’électricité ? La concentration du débat politique ces dernières semaines sur cette question est l’un de ces tours, désormais éprouvés, que la classe politique libanaise, toutes tendances confondues, manie avec la plus grande dextérité : orienter les regards vers un arbre, pour éviter à tout prix de voir la forêt. On peut en effet discuter indéfiniment des qualités comparées de telle ou telle instance de gestion des appels d’offres – c’est l’occasion pour les nouveaux hérauts de la lutte anticorruption de briller de tous leurs feux – et oublier du coup opportunément de s’interroger sur le contenu du cahier des charges, d’une part et, surtout, d’autre part, de l’opportunité du projet lui-même. Car s’il est vrai qu’il est urgent depuis vingt ans de résoudre le problème du déficit de production d’électricité dans le pays, qu’est-ce qui justifie que cette urgence soit désormais telle qu’il faille lui subordonner toute autre considération, notamment financière ? À supposer qu’aucune commission occulte n’entache cette adjudication : est-il vraiment judicieux de consacrer des centaines de millions de dollars à des installations provisoires dans le seul but de « passer un bon été » ? Au stade où en sont arrivés les Libanais, ne peuvent-ils attendre deux ans de plus le temps d’affecter ces sommes considérables à la construction de centrales au gaz pérennes ? Pourquoi cette énergie est-elle entièrement dirigée vers un projet de location à fonds perdus, alors qu’aucune voix ne s’élève pour demander l’exécution d’un contrat signé en 2013 et suspendu pour une sombre histoire de facture de TVA de 50 millions de dollars qui a fini par coûter plusieurs fois ce montant au contribuable ? Ne pas se poser ce genre de question, sur ce dossier ou un autre, revient à accepter la façon dont le système politique né de la guerre – et qui a mué en 2005 – gère l’argent public en toute impunité.  Sans aucun système de contrôle ni mécanisme de contre-pouvoir, il agit dans le simple souci de son autoperpétuation, à travers la redistribution calculée de cet argent, que ce soit à des chefs d’entreprise amis ou des groupes sociaux vulnérables et dépendants.