Emmené par deux anciens de la BLC Invest, le nouveau fonds d’investissement Guardian, doté de 25 millions de dollars, entend vite investir dans une dizaine de PME innovantes.

« On ne parle que des start-up ! Il faudrait s’intéresser aussi aux entreprises qui ont fait leurs preuves et sont profitables. » C’est à partir de ce constat que les banquiers Fouad Rahmé et Joe Eid, tous deux transfuges de la BLC Invest (une filiale de la BLC, dont les activités ont été absorbées en décembre dernier par la maison mère), lancent Guardian, le premier fonds d’investissement libanais destiné aux PME ou aux entreprises familiales matures locales. « L’objectif est de continuer à densifier le tissu entrepreneurial local en lui donnant l’appui dont il a besoin pour se développer. Nous pensons aider ces PME à changer d’échelle grâce, en particulier, à une focalisation sur les marchés d’export, une condition sine qua non de notre entrée au capital. »
Les deux banquiers ont d’ores et déjà sécurisé des engagements pour un montant de 14 millions de dollars de la part d’investisseurs institutionnels comme la Bank Audi (à hauteur de 20 % des fonds levés) et privés. Toujours en négociation avec d’autres éventuels investisseurs, Fouad Rahmé et Joe Eid espèrent encore lever 10 à 12 millions de dollars supplémentaires pour démarrer la première tranche d’investissements. À plus long terme, les deux banquiers entendent lever quelque 50 millions de dollars. « Nous visons des sociétés opérant dans l’industrie, l’agroalimentaire ou la distribution. Nous pensons soutenir une dizaine de projets dans un premier temps, avec un investissement de 2,5 millions de dollars en moyenne par société – soit jamais plus de 30 à 35 % du capital de l’entreprise, nous resterons toujours minoritaires – pour une durée de 5 à 10 ans. » Outre les frais habituels de gestion (2 % du montant alloué), Guardian espère un rendement de l’ordre de 15 % par an (au moment de l’exit) en phase avec les habitudes du marché.

Actionnaires minoritaires

Tout le challenge des deux associés libanais repose donc sur l’adaptation “au cas libanais” d’un mode de financement éprouvé ailleurs dans le monde, où des centaines de fonds d’investissement à destination des PME innovantes existent déjà. Car si le Liban n’a pas encore de fonds de private equity à destination des PME – plusieurs fonds régionaux couvrent ou ont couvert le Liban, mais aucun ne lui est spécifiquement dédié – c’est à cause d’importants blocages. Des freins qui, selon Fouad Rahmé, sont en partie liés aux mentalités : « Les entreprises hésitent à ouvrir leur capital, craignant de perdre le pouvoir avec la dilution du capital. » Mais ces craintes se reflètent aussi dans les procédures juridiques existantes. « Vous pouvez créer une société en cinq minutes au Liban, la dissoudre prendra des années. Et si l’un des partenaires n’est pas d’accord, vous pourriez même ne jamais y parvenir. Du coup, les entreprises se capitalisent par de la dette, jamais par une ouverture de capital. » Guardian assure contourner ces problèmes juridiques en créant un partenariat institutionnalisé, sous la forme d’un contrat, entre les actionnaires historiques de l’entreprise dans laquelle il entend investir et le fonds lui-même. « Certaines décisions devront être prises à l’unanimité. En cas de désaccords, nous pourrons revendre la participation à un prix préétabli dans le contrat aux autres actionnaires. Si l’entreprise ne peut pas payer, ce montant deviendra une dette. » Cette adaptation aux contingences locales se retrouve également dans les stratégies d’exit. Sachant que, dans le cas d’une PME libanaise, l’hypothèse d’une introduction en Bourse est peu probable, Fouad Rahmé et Joe Eid ont imaginé que le rachat pourrait à terme s’effectuer soit par l’entreprise elle-même (à un prix convenu au préalable), soit par un autre fonds, désireux d’investir au Liban. « Certains de nos investisseurs pourraient également vouloir entrer en direct dans des entreprises de notre portefeuille. » Les deux banquiers assurent avoir déjà identifié leurs premiers investissements, mais préfèrent ne rien en dire pour le moment.