« Mieux vaut prévenir que guérir ». Ce dicton populaire pourrait être le nouveau credo de GlobeMed, un administrateur de tierce partie (Third Party Administrator – TPA), qui revendique une part de marché de 35 à 40 %. Cette entreprise gère les portefeuilles clients de plus d’une trentaine d’assureurs privés, de caisses mutuelles et d’institutions privées ou publiques qui ont leur propre système de couverture santé (comme la MEA ou les forces de sécurité). Depuis 2016, elle compte aussi parmi ses clients le ministère de la Santé, qui agit en tant qu’assureur de dernier ressort.
Le concept de TPA a été importé au Liban au début des années 1990. « Contrairement à d’autres domaines de l’assurance, celui de la santé nécessite une administration quotidienne, en raison de la fréquence des sinistres, et une certaine expertise médicale », explique Walid Hallassou, directeur général de GlobeMed Lebanon. Les pertes subies sur ce créneau avaient à l’époque poussé trois assureurs à créer le premier TPA du pays en 1991, MedNet, dans l’objectif de réaliser des économies d’échelle et contrôler les dépenses des assurés. Cette dernière était chargée de concevoir les produits, de négocier les tarifs des prestataires (hôpitaux, laboratoires, centres d’imagerie…) et de veiller à ce que les soins prescrits répondent à des critères prédéfinis, tandis que les compagnies d’assurances commercialisent les polices et en assument les risques. Ce modèle se développe rapidement sur le marché local, qui compte aujourd’hui cinq autres TPA, et sur le marché régional sur lequel s’implante MedNet, devenue GlobeMed en 2012. Le groupe, désormais détenu par AXA (46 %), Delta Middle East (46 %) et Mounir Kharma (8 %), a réalisé un chiffre d’affaires de 100 millions de dollars l’année dernière, dont 30 millions de dollars au Liban.

Le coût de la santé en hausse

Le marché continue de croître au Liban, avec une hausse prévue du chiffre d’affaires de GlobeMed Lebanon de 5 à 10 % en 2017, mais « le secteur est face à un tournant majeur, estime son directeur général, Walid Hallassou. De plus en plus de Libanais trouvent des difficultés à renouveler leurs polices d’assurance en raison de la situation économique difficile, alors que le coût de la santé ne cesse d’augmenter ». Selon la Banque mondiale, les dépenses de santé par habitant ont explosé ces dernières années, passant de 361 dollars par habitant en 1995 à 621 dollars en 2011, contre une moyenne régionale de 220 dollars. Walid Hallassou explique l’augmentation de la facture des soins par l’ouverture du pays à la médecine internationale et l’application des techniques les plus avancées, donc les plus onéreuses. Or « notre capacité de négociation avec les hôpitaux a atteint ses limites », estime-t-il.
GlobeMed étant rémunérée par un pourcentage de 8 à 9 % sur les primes d’assurance vendues, elle a autant intérêt que ses clients à contenir les coûts, pour éviter une hausse des primes susceptibles de déprimer les ventes dans un contexte économique morose. L’entreprise a donc développé une stratégie axée sur les soins préventifs et la gestion des maladies. « C’est une tendance mondiale qui a fait ses preuves dans de nombreux pays, dit-il. L’idée est d’investir sur les patients avant qu’ils ne tombent gravement malades et qu’ils ne soient hospitalisés. C’est un enjeu considérable sachant que 5 % des assurés représentent 50 % des coûts. »
Depuis 2016, GlobeMed propose à ses clients une nouvelle gamme de services, avec des programmes de dépistage, de prévention et de gestion de maladies spécifiques, comme le diabète, et bientôt les maladies cardio-vasculaires. Ces dernières sont, selon la Banque mondiale, la première cause de mortalité au Liban, représentant à elles seules 45 % des décès, suivies par le cancer, responsable d’un décès sur cinq. Or ces maladies sont plus faciles et moins chères à traiter lorsqu’elles sont détectées et prises en charge à des stades précoces. « Il y a une certaine inertie chez les patients qui fait qu’ils ne vont voir un médecin que lorsque la situation s’aggrave, d’où la nécessité de développer des programmes de suivi personnalisés et d’établir un contact téléphonique avec les assurés pour les rappeler par exemple de faire des tests régulièrement », poursuit Walid Hallassou. GlobeMed a également développé une application mobile qui se veut un “healthcare advisor”, ou conseiller de santé en français. Cette application, qui regroupe les données médicales du patient, vise à lutter contre la fameuse inertie, en l’encourageant à rester en forme, notamment à travers un système de récompenses. Les nouveaux services proposés par GlobeMed impliquent des coûts supplémentaires pour les assureurs, reconnaît son directeur, mais ils seront rentabilisés à terme, assure-t-il. « Ces programmes pourraient jouer aussi un rôle important dans la fidélisation des clients. »
Leur développement se heurte toutefois à un obstacle important au Liban : les courtiers d’assurance, qui ne voient pas d’un bon œil l’immixtion d’un nouvel acteur dans la relation directe avec l’assuré. Pour le moment, seuls cinq clients de GlobeMed ont adhéré à ces programmes, dont deux compagnies d’assurances et trois institutions. La compagnie espère toutefois généraliser ses pratiques à l’ensemble des 400 000 assurés qui bénéficient indirectement de ses services.

Un système orienté vers les soins curatifs

Les patients soignés aux frais du ministère de la Santé, en revanche, ne sont pas concernés, les services fournis par GlobeMed au ministère se limitant à l’audit et au contrôle des soins a posteriori. Cette entité est pourtant un acteur majeur du système de santé, puisqu’elle prend en charge plus de la moitié de la population. Selon la Banque mondiale, seuls 47 % des Libanais bénéficient d’une couverture santé : 27 % sont assurés par la Caisse nationale de Sécurité sociale, 9 % par le régime des militaires, 7 % par des compagnies d’assurances privées, 4 % par les coopératives des fonctionnaires et 4 % par des caisses mutuelles ou autres.
Pour limiter les dépenses de santé à l’échelle nationale, le Liban ne peut donc faire l’économie d’une politique publique de prévention, le ministère de la Santé et la CNSS soignant, à eux deux, trois quarts de la population. Or le Liban manque encore cruellement de soins préventifs, primaires et ambulatoires, estime la Banque mondiale. « Le système est orienté vers les soins curatifs au coût élevé par rapport aux soins préventifs et primaires plus économiques », constate-t-elle dans un rapport publié fin 2015. Pour illustrer son propos, l’institution souligne l’allocation « disproportionnée des ressources publiques » : le ministère, principale agence de financement de santé, consacre 62 % de son budget au remboursement des hôpitaux privés, contre 5 % pour le financement d’ONG fournissant des services de soins primaires.