En dépit d’une croissance économique atone – le Fonds monétaire international (FMI) prévoit une hausse du produit intérieur brut (PIB) de 2,5 % en 2015 essentiellement alimentée par la baisse des prix du pétrole, mais l’Institut de la finance internationale (IFI) a abaissé sa prévision de 2,2 à 1,1 % pour cette année –, la santé du secteur bancaire libanais reste bonne. Au premier semestre, le bilan consolidé des banques commerciales établies dans le pays est en progression de 5,8 % sur un an et de 2,5 % depuis le début de l’année, atteignant près de 181 milliards de dollars fin juin.

Une croissance des dépôts continue

Cette croissance reste alimentée par celle des dépôts du secteur privé qui constituent toujours l’essentiel (84 %) des actifs avec 140,3 milliards de dollars, soit plus de trois fois le PIB enregistré en 2014. Mais son rythme a ralenti : la hausse de 5,6 % en glissement annuel observée au premier semestre traduit une légère décélération par rapport à ceux des deux années précédentes (respectivement à +9 % et +6 %).
Car contrairement aux années précédentes, ce n’est pas le secteur privé résident qui est le principal catalyseur de la hausse des dépôts (dont ils représentent 77 % du volume total). Ces derniers n’augmentent que de 2,8 %, alors que la croissance des dépôts non résidents au premier semestre supérieure est de 4,5 % contre 0,5 % sur la période correspondante en 2014. Même si la notion de domiciliation demeure imprécise, puisque subordonnée aux déclarations des épargnants, il est clair que les flux de capitaux de la diaspora sont plus abondants. « Cela s’explique par la confiance des déposants dans la bonne gestion des banques commerciales et une politique monétaire accommodante de la Banque du Liban (BDL) », déclare François Bassil, PDG de la Byblos Bank.
L’analyse des dépôts par devises montre également que ceux qui sont libellés en livres ont augmenté davantage que ceux qui sont libellés en dollars, les déposants étant attirés par la stabilité de la livre et des taux d’intérêt plus attractifs. En conséquence, le taux de dollarisation des dépôts a baissé pour atteindre un plus bas niveau depuis deux ans de 65,3 % à fin mars 2015.

Des plans de relance pour soutenir l’activité de crédit

Si elles n’ont pas de mal à augmenter leurs ressources, les banques peinent en revanche à les employer. Le rythme de croissance des crédits au secteur privé n’a cessé de diminuer ces dernières années en raison de la conjoncture qui réduit les opportunités de financement (+5,6 % sur un an en juin 2015 contre +25 % par exemple en 2010, année faste).
Le secteur continue toutefois de bénéficier de la poursuite des plans de relance économique de la Banque centrale. Après avoir injecté l’équivalent de 3,5 milliards de dollars sous la forme de prêts subventionnés depuis 2013, la BDL a récidivé en annonçant une nouvelle enveloppe de 1,5 milliard de dollars pour 2016.
Les banques bénéficient de lignes de crédit à un taux d’intérêt de 1 %, et prêter aux particuliers et aux entreprises à un taux maximal de 6 %, dans l’optique de la création d’une dynamique vertueuse.
Le principal secteur visé est celui du logement, mais ce plan concerne aussi les crédits à l’éducation, l’énergie, la recherche et le développement, ainsi qu’à d’autres secteurs innovants et productifs de l’économie.
Les prêts en livres demeurant favorisés par les mesures prises par la BDL, le ratio de dollarisation des crédits a continué de baisser pour atteindre des niveaux historiquement bas (72 %) en fin de premier semestre 2015.
La qualité du crédit ne pâtit pas trop de la conjoncture, puisque l’encours brut des créances douteuses représente fin juin 6,5 % du total des prêts, presque inchangé par rapport à fin 2014.
Les créances douteuses demeurent également suffisamment provisionnées avec un ratio de couverture qui dépasse les
70 %, similaire à celui de l’année précédente.
Enfin, le ratio crédits sur dépôts moyen du secteur (35 %) reste inférieur de moitié au plafond imposé par la BDL, confirmant la très grande prudence des banques en la matière et le renforcement de la sélectivité des crédits.

Une exposition toujours aussi grande au risque souverain

Par nécessité, l’appétit des banques pour la créance publique reste intact : les prêts octroyés au secteur public ont dépassé les 38 milliards de dollars, en légère hausse par rapport à décembre 2014 (+1,6 % sur six mois).
C’est essentiellement l’émission des eurobonds avec 2,2 milliards de dollars souscrite à 85 % par les banques libanaises en février qui a alimenté cette croissance semestrielle. Les bons du Trésor détenus par les banques se sont quant à eux contractés de 431 millions de dollars (-2,1 %) sur la période.
En parallèle, l’ensemble des avoirs des banques commerciales auprès de la Banque centrale ont enregistré une hausse significative de 8,8 % à 71,1 milliards de dollars fin juin, un niveau particulièrement élevé.

Rentabilité soutenue

En 2014, les bénéfices réalisés par les banques libanaises se sont appréciés de 9,7 %. Une performance certes moins remarquable que celle des années fastes : la hausse était par exemple de 17,4 % en 2009 et de 26,3 % en 2008, mais bien meilleure que les trois années précédentes. Les premiers indicateurs disponibles sur le semestre confirment cette tendance : fin juin 2015, les bénéfices des onze banques du groupe Alpha (dont les actifs combinés sont supérieurs à 198 milliards de dollars en comptant les filiales à l’étranger et représentent 88 % de ceux du secteur) ont augmenté de 9 % en glissement annuel pour atteindre près d’un milliard de dollars grâce à une bonne stratégie d’expansion et de diversification des revenus couplée à une baisse du coefficient d’exploitation à moins de 50 % (dépenses opérationnelles rapportées aux revenus).
Le ROAE (Return on Average Equity) a malgré tout diminué de 11,81 % (fin juin 2014) à 11,57 % (fin juin 2015). Car les rendements bancaires continuent de demeurer sous pression avec des marges d’intermédiation soumises à une féroce concurrence entre les banques. Cependant, une prochaine hausse des taux US pourrait inverser la tendance (voir page 46).
Le satisfecit est en revanche général s’agissant du niveau des ratios de solvabilité. « Le respect des normes de Bâle III en matière de capitalisation permet aux banques d’être prêtes à absorber l’impact d’un choc imprévu », souligne Joseph Torbey, président de l’Associations des banques au Liban (ABL). La BDL estime ainsi que le “capital adequacy ratio” du secteur atteindra 12 % cette année, demeurant bien supérieur au minimum requis par les normes.

Des perspectives satisfaisantes malgré tout

La résilience du secteur conforte une stratégie globale rendue traditionnellement prudente par des règles de gouvernance de la BDL axées sur le maintien d’un solde positif de la balance des paiements par l’attrait des capitaux. « Le secteur a fait montre d’une impressionnante résilience étant donné les nombreux défis posés par la situation du pays. Ceci est dû, à mon avis, à la grande expérience des banques libanaises, d’une part, et à la BDL qui applique des réglementations conçues pour éviter les perturbations systémiques, d’autre part », souligne Sélim Sfeir, PDG de la Bank of Beirut.
En parallèle, les banques libanaises ont étendu leur couverture géographique en se rapprochant de la diaspora : cette diversification permet de bénéficier de nouveaux relais de croissance et « d’instaurer une proximité avec les clients pour une meilleure qualité de service », souligne Adnan Kassar, PDG de la Fransabank. Les revenus des filiales étrangères des banques libanaises ont augmenté de 17,1 % en 2014 contre
7,8 % pour leurs activités domestiques. Le groupe Audi par exemple est devenu en moins de trois ans la treizième banque en Turquie sur trente en termes de taille. Quelque 28 % des agences et 27 % des effectifs des banques se trouvent dans les filiales étrangères, selon un rapport de la Bank Audi.
Du coup, les projections à court et moyen terme restent globalement positives pour le secteur. « Sauf en cas de détérioration drastique de la situation sécuritaire, la tendance du second semestre devrait être la même qu’en début d’année. Une amélioration est même envisageable si la situation politique s’améliore dans un proche avenir et nous restons optimistes pour l’année 2015 », avance Saad Azhari, PDG de la Blom Bank. Dans un tel contexte, « ce sont les banques qui seront les plus innovantes, tant sur le plan géographique que sur celui des nouveaux métiers, qui pourront le mieux tirer leur épingle du jeu », prévoit Karim Habib, directeur du département de contrôle financier de l’IBL Bank.

L’épée de Damoclès

Quelle que soit la performance de leur activité, les banques libanaises ont désormais une nouvelle préoccupation fondamentale : éviter de rééditer l’expérience de la Lebanese Canadian Bank qui a été rayée de la carte en raison d’une accusation de blanchiment émanant du Trésor américain.
« Il est absolument nécessaire pour chacune des banques d’instaurer une culture de conformité conciliant les impératifs de développement des activités et l’application stricte des réglementations internationales. Sur ce plan, la Banque du Liban, à travers la circulaire 126 datée d’avril 2012, recommande le respect des lois internationales et leur application, y compris d’éventuelles sanctions », insiste Freddie Baz, vice-président du conseil d’administration et directeur de la stratégie du groupe Audi. « Une gestion prudente reste le maître mot du secteur pour mieux rebondir une fois la crise passée », conclut Walid Raphaël, PDG de la Banque libano-française.



Les petits prêteurs préoccupés par la méfiance des banques correspondantes
Certaines banques arabes continuent d’avoir des problèmes avec les banques correspondantes internationales même si elles ont pleinement satisfait à toutes les exigences internationales de lutte contre le blanchiment d’argent, ce qui pourrait mettre en péril l’existence des petits établissements financiers, a déploré Joseph Torbey, président de l’Association des banques au Liban et de l’Union mondiale des banquiers arabes.
« Malgré leurs efforts, certaines de nos banques rencontrent des difficultés dans leurs relations avec les banques correspondantes internationales et font face à une baisse progressive des opérations allant parfois à la coupure des relations de correspondance, en raison de la complexité des procédures de conformité et de leur coût élevé », a souligné Joseph Torbey lors d’une conférence organisée à Bruxelles avec l’Union européenne dans le cadre de la lutte contre le financement du terrorisme.