Un article du Dossier

Les débuts difficiles du paiement mobile au Liban

Le paiement mobile a réellement pris son essor ces cinq dernières années dans les pays du Sud et en Asie, avec deux approches totalement différentes. L’Europe et les États-Unis cherchent encore leur modèle de développement, dans un environnement de concurrence exacerbée.
 

Le paiement mobile, effectué à travers un téléphone portable, est encore relativement marginal dans le monde, mais connaît une croissance exponentielle. Selon le World Payments Report présenté le 14 septembre 2011 par RBS, Capgemini et l’EFMA, la valeur des m-paiements devrait passer de 62 milliards d’euros en 2010 à 223 milliards d’euros en 2013, date à laquelle ils représenteront 15 % des transactions par carte.
Ce sont les pays du Sud qui, pour une fois, font figure de pionniers. « Le m-paiement a du succès dans le Sud, car il comble un vide dans le domaine bancaire. Les pays d’Afrique sont faiblement bancarisés et leur infrastructure bancaire est limitée », explique Philippe Pestanes du cabinet de conseil Kurt Salmon qui a publié une étude sur le sujet en 2011. En revanche, le taux de pénétration du téléphone mobile est élevé sur le continent africain et la réglementation financière quasi inexistante. Selon le UK Department for International Development cité dans une étude de KPMG de juin 2011, plus de 2,7 milliards de personnes dans le monde en développement n’ont pas accès aux services financiers. Et d’ici à fin 2012, il y aura 1,7 milliard de personnes qui auront un téléphone portable, mais pas de compte bancaire.
Ce sont donc les opérateurs de télécom qui ont pris les devants et ont introduit le paiement mobile en Afrique. Leur idée ? Capitaliser sur les dizaines, voire centaines de milliers de revendeurs de cartes de téléphone mobile prépayées (moyen de paiement de prédilection des usagers mobiles des pays du tiers-monde) pour en faire des agents de monnaie mobile. Le succès a été plus ou moins au rendez-vous : en Asie, les Philippines et la Corée du Sud ont développé des modèles qui ont su attirer les consommateurs. En Afrique, c’est le Kenya qui fait figure de success story : l’opérateur de téléphonie mobile Safaricom (filiale de Vodafone) y a lancé son service M-Pesa en mars 2007. En novembre 2011, il avait conquis plus de 14 millions d’utilisateurs et bénéficiait de la force de frappe d’un réseau de près de 28 000 revendeurs (largement supérieur au millier d’agences bancaires du pays). Pas mal pour un pays de 41 millions d’habitants dont un peu plus de 60 % sont équipés d’un téléphone portable. M-Pesa doit une partie de son succès à ses tarifs avantageux : là où les sociétés de transfert Western Union et Money Gram prélèvent respectivement 17 et 19 % sur un transfert de 100 euros, M-Pesa n’en prélève que 1 %, selon le cabinet de conseil Kurt Salmon. Qui plus est, l’introduction du paiement mobile a permis d’améliorer le niveau de vie des habitants : dans son édition du 24 septembre 2009, le mensuel The Economist a relevé que les foyers qui ont utilisé les services de M-Pesa, en diminuant leurs temps de transport, ont vu leurs revenus augmenter de 5 à 30 %.

Le Japon à la pointe de l’innovation

En Asie du Nord, c’est également un opérateur de télécom, le japonais NTT DoCoMo , qui est à la pointe de l’innovation en terme de paiement mobile. « NTT DoCoMo a bénéficié de l’avantage du premier entrant, explique Marwan Farah, senior manager chez Kurt Salmon, en charge de l’offre de paiement. Dès 2004, il a mis en place une plate-forme de paiement sans contact (Osaifu Keitai) et s’est concentré très tôt sur la création d’un vaste réseau d’acceptation, fondamental au succès d’une telle offre, en tissant notamment des partenariats stratégiques avec de gros réseaux (McDonald’s, transports publics, etc.). Du coup, les autres opérateurs n’ont eu d’autre choix que de s’adosser à la plate-forme de NTT DoCoMo pour lancer leurs propres services. » La tâche de l’opérateur a été facilitée par l’appétence des Japonais pour les produits innovants et les nouveautés technologiques. La création d’un écosystème uni a facilité l’adoption du nouveau service par les marchands, qui n’avaient donc pas besoin de négocier avec des plates-formes concurrentes et incompatibles. Résultat des courses : NTT DoCoMo est devenu le leader mondial du m-paiement sans contact avec 15 millions d’utilisateurs dès août 2010.

L’Occident se cherche encore

En Occident, le m-paiement est « encore balbutiant avec des offres qui ont du mal à dépasser le stade pilote », selon Philippe Pestanes, cité dans la revue Systèmes de Paiement du 23 septembre 2011. Les populations occidentales sont en effet bien bancarisées, contrairement à celles du Sud, et elles bénéficient déjà d’une panoplie de moyens de paiement (cash, cartes de crédit, chèques, virements, etc.) très bien acceptés, très bien sécurisés, interopérables et rapides. L’ajout d’une nouvelle possibilité de paiement doit comporter de réels avantages pour être bien accepté.
Une autre raison, avance Marwan Farah, tient à la réglementation des pays du Nord, plus rigide. Ce n’est qu’en 2009 par exemple que l’Europe a levé le monopole des banques sur les services de paiement, ouvrant la voie pour que d’autres organismes (et notamment des opérateurs télécoms) puissent offrir du paiement mobile. Par ailleurs, The Economist, toujours dans son édition de septembre 2009, souligne que les progrès du paiement mobile ont été freinés par les banques, qui ont peur de perdre leurs marges au profit des opérateurs télécom, et par les régulateurs, soucieux de prévenir la fraude et le blanchiment d’argent.
Résultat des courses : intrinsèquement liée à la réèglementation, aux habitudes et aux besoins de chaque pays, une multitude d’initiatives de m-paiement ont vu le jour dans les divers pays du monde occidental, sans qu’aucune ne s’impose à ce stade. Les banques, les opérateurs de télécoms et ceux de l’Internet, comme Google, PayPal, Amazon ou Facebook, « réfléchissent sur le m-paiement alors même que leurs intérêts divergent fortement, complexifiant l’émergence de ces services », explique Philippe Pestanes dans la revue Systèmes de Paiement. En Belgique, les usagers peuvent payer leurs parcmètres via SMS et leur déjeuner par technologie sans contact NFC (grâce à un tag autocollant à apposer au mobile) ; aux États-Unis, PayPal a développé des applications iPhone, Android et Blackberry pour autoriser les virements de compte à compte (pratique pour rembourser un ami au restaurant) ; en France, Cityzi permet aux habitants de Nice de payer sans contact leur ticket de bus, celui de musée ; à Londres, 75 % des paiements de parking sont réalisés par téléphone. « Contrairement aux paiements par carte Visa et MasterCard qui sont acceptés partout (…), les offres de m-paiement restent des initiatives unilatérales et donc rarement interopérables », explique Marwan Farah dans la revue Systèmes de Paiement, ce qui freine leur développement. D’autant plus que selon Philippe Pestanes, « le paiement ne fonctionne réellement que lorsqu’un gros volume de transactions est réalisé pour un faible interchange ».
Mais une tendance se dégage en Occident : le m-paiement remplace souvent les opérations de cash ou le règlement de petits paniers. Il faut dire que la gestion des liquidités a un coût élevé, supporté principalement par les banques : 32 milliards d’euros par an, rien que pour les banques européennes, selon l’étude de Kurt Salmon. Et le paiement mobile intègre de plus en plus les cartes de fidélité et autres programmes de loyauté : « Il s’agit de littéralement remplacer le portefeuille physique, encombré de cartes de paiement et de fidélité, par un portefeuille électronique », conclut Marwan Farah.

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