En raison d’un vide juridique datant de 1995, les municipalités sont privées de près d’un milliard de dollars de recettes au titre d’une taxe de 10 % sur la téléphonie mobile.

Bien qu’examiné en Conseil des ministres, le sort de la dette de 950 millions de dollars due par le ministère des Télécoms aux municipalités n’a toujours pas été réglé. Ces sommes correspondent à des taxes collectées depuis 1995 par le ministère des Télécoms pour le compte des municipalités sur les factures de téléphonie mobile.
Jusqu’à cette année, elles étaient transférées par le ministère au Trésor, sans cependant être accompagnées de la mention de leur affectation, de sorte que le ministère des Finances estime aujourd’hui qu’il a perçu les « excédents du ministère des Télécoms » et ne doit rien aux municipalités.
Le ministre actuel Charbel Nahas a suspendu les transferts dus aux municipalités au titre de 2010 (100 millions de dollars environ) affirmant vouloir régulariser la situation en provisionnant notamment dans ses comptes le montant de la dette due depuis 1995. Son homologue des Finances, Raya el-Hassan, a protesté, s’interrogeant sur les raisons de la suspension des transferts.
La polémique qui a pris une tournure très politique se résume aujourd’hui en deux points : le fait qu’il existe une dette envers les municipalités est admis par tout le monde. Le porte-parole du gouvernement Tarek Mitri l’a déclaré à la sortie du Conseil des ministres. En revanche, les modalités de son versement divergent.
En cause, un vide juridique qui ne précise pas l’affectation des recettes de la téléphonie mobile. Pour comprendre le problème, il faut savoir qu’une loi de 1977 prévoit le versement direct aux municipalités de la recette d’une taxe de 10 % sur une série de services publics dont la téléphonie. En 1978, un décret d’application prévoit le mode de répartition de cette taxe pour la téléphonie fixe. Il ne dit rien sur la téléphonie mobile qui n’existait pas à cette date. Lorsque le cellulaire a été introduit au Liban en 1994, à défaut de savoir que faire de la recette de la taxe de 10 %, elle n’a pas été affectée aux municipalités. En 2002, lorsqu’il a été décidé de substituer la TVA à cette taxe de 10 % et d’allouer la recette de la TVA sur ces mêmes services publics, dont la téléphonie aux municipalités, le décret d’application a recoupé celui de 1978, oubliant à nouveau les spécificités du mobile. C’est ainsi, qu’année après année, le ministère des Télécoms a transféré au Trésor les recettes liées à la taxe de 10 % sur les factures du mobile, ne conservant que les 10 % sur les factures du fixe à destination des municipalités.
Les prédécesseurs de Charbel Nahas, Alain Tabourian et Gebran Bassil, ont tous deux signalé le problème sans aboutir à une solution. Le ministre actuel insiste désormais pour y parvenir. Il rappelle que le ministère des Télécoms dispose d’un budget annexe par rapport au budget général de l’État dont l’affectation des excédents est réglementée : ils alimentent d’abord les comptes de provision du ministère ; ensuite ils servent à régler ses dettes et enfin le solde est viré au Trésor. Le ministère doit donc régler ses dettes envers les municipalités avant de transférer le solde au Trésor, estime Nahas.
La question de la destination de ces sommes fait cependant débat.
Le ministère des Finances affirme que les montants concernés doivent être virés au Trésor ou à la Caisse autonome des municipalités dont le compte auprès du Trésor est mouvementé par le ministère des Finances et celui de l’Intérieur. Selon Nabil Yammout, conseiller de la ministre, le décret 1917 de 1979 précise que les recettes qui ne sont pas affectées précisément à des municipalités doivent être reversées à la Caisse autonome des municipalités.
Le ministère des Télécoms et celui de l’Intérieur estiment pour leur part que si le service de téléphonie est mobile, cela ne signifie pas que les recettes ne doivent pas être affectées précisément à des municipalités données et qu’il faut combler le vide juridique en la matière en émettant enfin un décret précisant les modalités de répartition.
Charbel Nahas et Ziyad Baroud proposent une solution en deux points : préciser par décret les modalités de répartition de cette dette, municipalité par municipalité, suivant par exemple la règle choisie pour la répartition des recettes de la Caisse autonome qui a l’avantage de favoriser les localités dont les besoins de développement sont les plus grands ; et ensuite déterminer la part qui leur sera versée immédiatement et la part qui sera affectée à des projets de développements que les municipalités ou groupes de municipalités devront soumettre, suivant un échéancier correspondant aux besoins de financement et à la capacité d’absorption. « 950 millions de dollars, c’est une somme de nature à provoquer de réels bouleversements dans le paysage municipal si elle est utilisée à bon escient », affirme Charbel Nahas, selon qui des organismes comme la Banque mondiale sont prêts à fournir de l’assistance technique aux municipalités pour des projets d’assainissement, de reforestation, de préservation de l’environnement, réhabilitation des carrières, de gestion des déchets, etc. ; voire d’apporter des compléments de financement.

Quatre catégories de recettes municipales

Les ressources des municipalités sont de quatre sortes :
• Les taxes perçues directement par la municipalité (par exemple sur les permis de construire).
• Les taxes perçues par l’État, par les offices autonomes, par les établissements publics, ou par les services gouvernementaux pour le compte de la municipalité (c’est dans cette catégorie qu’entrent la taxe de 10 % sur la téléphonie fixe).
• Les taxes perçues par l’État pour le compte de l’ensemble des municipalités et déposées dans la Caisse autonome des municipalités. (Le gouvernement collecte treize sortes de taxes en vertu de la loi 60 de 1988.  Actuellement cependant à peu près 20 % des fonds de la CAM sont consacrés aux municipalités au lieu de 75 % prévus par la loi.)
• Les diverses ressources extraordinaires comme les dons, les emprunts, les amendes, les produits des biens immeubles, les recettes des années antérieures, les soldes reportés, les subventions...