Le vin libanais est-il bien un vin du Liban ? La question peut sembler étrange puisque l’appellation « Vin du Liban », ou celle parfois de « Vin de la Békaa », inscrite sur chaque bouteille de vin libanais, est censée le certifier. Pourtant, rien n’est moins sûr. Le vin libanais pourrait tout aussi bien être bulgare, syrien, espagnol, italien ou pourquoi pas roumain…

En doute : la provenance des raisins ou des moûts (des jus de raisin non encore fermentés), achetés par des négiociants indélicats pour produire un vin pourtant estampillé « Vin du Liban ». La rumeur court le vignoble, chacun (ou presque) accusant son voisin de telles pratiques.

A l’heure actuelle, la loi libanaise n’impose aucun contrôle sur l’origine des raisins. A défaut, il faut donc faire confiance et croire aux bonnes intentions des producteurs. « Une marque, c’est une relation de confiance que l’on construit avec son consommateur. La crédibilité de chacun est en jeu », avance Etienne Débbané, l’un des propriétaires d’Ixsir, la cave de Batroun. Etienne Débanné a raison. Mais il suffit d’une brebis galeuse, d’une « sale affaire » pour que la filière, qui entame à peine sa renaissance, se retrouve décrédibilisée dans son ensemble.

Pareille mésaventure est déjà survenue ailleurs : dans les années 70, le Bordelais a dû faire face à un scandale dont il a mis plusieurs années à se remettre. Des négociants du Médoc ou de Pomerol ayant vendu sous l’appellation de grands crus, des vins dont les moûts avaient été achetés dans le Languedoc.

Alors doit-on faire confiance ? Lorsqu’on regarde les chiffres des importations, publiés par les douanes libanaises, la question revient insidieuse. Certains indices permettent de soupçonner l’existence de fraudes, liées à l’achat de moûts en provenance de pays peu réputés, qui servent ensuite à fabriquer des « Vins du Liban ».

Le doute est ainsi permis avec les importations de vins bulgares. En 2010, le Liban en a fait venir presque 20 tonnes. Certes, la nomenclature utilisée par les douanes ne permet pas d’établir le distinguo entre vins embouteillés, vendus ensuite tels quels aux consommateurs et les moûts, qui arrivent en vrac. Mais l’hypothèse d’une falsification demeure : vérifications faites auprès des cavistes, aucun ne vend de vins bulgares. Un second indice, plus probant, est le prix d’achat au kilo : entre 0,83 dollar et 1,89 dollar, des prix très bas, qui coïncident aux tarifs auxquels l'on achète les moûts.

Au regard de la récolte de raisins de cuve, estimée au Liban à 6000 tonnes annuelles, cela représente finalement peu : moins de 0,5% de la production viticole libanaise.

Mais à partir de cet instant, la confiance est brisée. Et l'on peut tout autant se poser des questions sur les traitements phytosanitaires réellement employés, sur les cépages dûment assemblés ou les copeaux de bois (une méthode souvent interdite, qui permet de « boiser » le vin, sans payer le prix pour l'achat de barriques de chêne) dont on remarque la présence au nez de certaines bouteilles.

« Il existe un laboratoire à l’Université Saint-Joseph qui est en mesure de tracer l’origine des raisins utilisés et peut garantir le respect des indications portées sur l'étiquette. Or personne ne l’utilise, par manque d’une législation coercitive », s’emporte Sandro Saadé, propriétaire de Marsyas, une propriété vinicole de la Békaa Ouest. Sandro Saadé milite d'ailleurs pour la constitution d’une ou de plusieurs Appellations d’origine contrôlée (AOC) afin de mieux réglementer la filière. « La constitution d'une AOC ne sert pas seulement à garantir la provenance des raisins. S'y attache également une notion de qualité et d'originalité ».

Pareille mesure ne fait pas l’unanimité chez les producteurs, éclatés entre différents intérêts. Certains rappellent d'aileurs qu'une AOC ne peut se construire sans profondeur historique. « Le vignoble libanais est trop récent pour que soient instituées des normes aussi spécifiques », fait ainsi valoir Etienne Débbané d'Ixsir.

Mais beaucoup de producteurs semblent appeler de leurs voeux la mise en place d'une législation transparente. « Nous avons tout à y gagner », défend Jean-Paul el-Khoury de Château Khoury à Zahlé. Reste à savoir si producteurs vignerons et négociants seront capables de s'entendre sur un minimum de règles.

« Je crains que cela n'aboutisse qu'à un "moins disant" qualitatif comme dans le cas de l'arak où depuis 1999 on autorise la production d'arak à partir d'alcools divers, autres que l'alcool de raisin et d'arômes autres que l'anis traditionnel », rappelle, pessimiste, Ramzi Ghosn de Massaya.