Dans un pays peu connu pour sa compétitivité industrielle, Matelec, un groupe libanais spécialisé dans le transport, la distribution et la production d’énergie électrique, fait figure d’ovni. Principal employeur de la région de Byblos, il s’est développé dans un marché mondial ultraconcurrentiel et réglementé,  pour se faire une place parmi les plus grands noms du secteur.
 

Matelec est l’une des rares entreprises qui permettent au Liban de revendiquer un rôle industriel sur les marchés internationaux.
En septembre, ce constructeur de transformateurs électriques inaugure l’extension de son usine historique de Amchit (à 30 kilomètres au nord de Beyrouth) qui le fait entrer dans le cercle restreint de la dizaine de constructeurs mondiaux en mesure de fabriquer des transformateurs de puissance de 120 mega volts ampères (MVA), soit 120 millions de volts ampères, contre 40 MVA auparavant. L’usine s’est aussi dotée du premier laboratoire haute tension de recherche et développement du Moyen-Orient. « Il peut simuler une foudre artificielle de 1,6 million de volts dans une cage de Faraday », annonce Sami Soughayar,  directeur général de Matelec depuis sa création.
L’investissement total est substantiel : 40 millions de dollars. En 2008, la société avait déjà déboursé plusieurs millions de dollars pour augmenter sa capacité annuelle de production de 8 000 à 18 000 transformateurs. Et en 2012, Matelec inaugurera son cinquième site de production hors du Liban, en Arabie saoudite, à Karj (dans la région de Ryad).  Coût estimé : 20 millions de dollars pour une capacité annuelle de 3 000 à 4 000 transformateurs. Ce qui portera la capacité de production de toutes les usines du groupe à près de 30 000 transformateurs par an.
Cette vague successive d’investissements, financés en fonds propres et par des emprunts, marque l’accélération du développement de Matelec, créée en 1974 par la famille Doumet, alors principal actionnaire de la société de câbles électriques Liban Câbles. Elle témoigne du succès de cette entreprise industrielle libanaise qui revendique aujourd’hui une place de leader au Moyen-Orient sur le segment des transformateurs, et est en mesure de concurrencer les plus grands groupes internationaux tels que Siemens, ABB, et Areva, dans le domaine de la construction clé en main de sous-stations et de centrales électriques (voir schéma page 86). En 2010, le chiffre d’affaires consolidé de Matelec était de 231,8 millions de dollars, dont 49 % pour les transformateurs, 8 % pour les postes préfabriqués – les kiosques et les sous-stations mobiles fabriquées en usine – et 43 % pour les projets d’Engineering et Contracting. (Les kiosques et les sous-stations consistent en un transformateur couplé à un appareillage de protection qui fonctionne comme un disjoncteur).
En vingt-sept ans, l’entreprise s’est diversifiée pour couvrir les besoins en transport, distribution et production d’énergie électrique. Elle a livré des transformateurs dans 25 pays, en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique, a implanté des sites de production dans quatre pays (Jordanie, Égypte, France et Algérie) et a des représentations locales en charge des projets clés en main en Algérie, au Nigeria, au Sénégal, au Kenya, en Afrique du Sud, en Arabie saoudite et en Irak.  
« L’objectif initial de Matelec (pour Matériel électrique du Liban) était de couvrir les besoins du Liban en transformateurs électriques, les Doumet ayant décidé en 1974 de se lancer dans des industries plus sophistiquées », raconte Sami Soughayar. L’usine de Amchit commence à produire en 1977 : elle occupait alors une surface de 1 200 mètres carrés et employait une trentaine de personnes. « Nous avions alors établi un contrat d’assistance technique et technologique avec le français Alstom Unelec, pour pallier la faible expérience industrielle du Liban », se souvient le directeur.
Mais la guerre du Liban, couplée à la résistance des importateurs de transformateurs, ne facilite pas la tâche de la jeune entreprise : « Nous avons failli fermer ; le marché local, déjà restreint, s’était effondré ; nous avons décidé de ne pas nous y limiter, et de commencer à exporter nos produits à l’international. »
La France est son premier client : en 1987, Matelec y signe un contrat avec SNT Duriez, une société française spécialisée dans les transformateurs. Puis elle y crée en 1990 la société de services Melec : « À l’origine, Melec nous a servi de centrale d’achat et de relais avec nos fournisseurs pendant la guerre, explique Sami Soughayar. Par la suite, elle s’est développée pour gérer les contrats de projets clés en main. »  
Après la France, l’entreprise s’attaque au Moyen-Orient par le biais d’Oger International, l’entreprise du groupe Hariri. La nouvelle division d’ingénierie et de sous-traitance créée par Matelec obtient des contrats en Syrie, en Arabie saoudite et dans d’autres pays de la région. « Nous avons par exemple remporté l’appel d’offres pour construire en 1992 une sous-station de 66 kV pour le Centre des congrès des Omeyyades en Syrie », raconte l’industriel.
Dans les années 1990, la société s’attaque à l’Afrique, en commençant par le Ghana. « Le marché de l’électricité en Afrique et au Moyen-Orient est l’un des rares où les besoins des consommateurs ne sont pas satisfaits. Même en Europe la demande continue d’augmenter », commente Sami Soughayar. Aujourd’hui, le groupe réalise 60 % de son chiffre d’affaires dans cinq pays principaux : l’Arabie saoudite, l’Irak, l’Algérie, la Syrie et la France. « Leur part respective varie chaque année en fonction des contrats »,  précise le directeur.  

Des transformateurs aux centrales électriques

La stratégie d’expansion de Matelec est la même sur tous les marchés. Elle y entre en exportant des transformateurs, puis s’y développe en répondant aux appels d’offres pour des projets d’ingénierie électrique.  
En effet dès 1982, la société a commencé à étoffer sa gamme de produits pour couvrir différentes composantes du réseau de transport d’électricité : elle a d’abord fabriqué des tableaux de protection et de distribution, puis elle est passée à la construction de sous-stations et de kiosques. En 2008, Matelec a même construit une centrale électrique, à Kounoune au Sénégal : « Nous fournissons  25 % de l’énergie électrique de ce pays », explique Sami Soughayar. L’entreprise a également attaqué le marché des sous-stations mobiles, facilement déplaçables car montées sur remorques, et parfaitement adaptées à des demandes urgentes, grâce à un délai de fabrication relativement court (quatre à six mois contre 18 à 24 mois pour des sous-stations normales). « Ces produits sont très demandés sur les marchés africain et moyen-oriental », témoigne le directeur.
Dans certains cas, le développement de Matelec passe aussi par une implantation industrielle. La première usine du groupe hors du Liban est créée en Jordanie en 1992. « Les trois grandes compagnies d’électricité jordaniennes, à qui nous fournissions des transformateurs, souhaitaient construire une usine, raconte Sami Soughayar. Elles nous ont demandé de nous associer à elles pour leur fournir notre know-how. Nous sommes donc partenaires de l’usine à 33 %. » Les sites de production d’Egypte, de France, et d’Algérie suivent en 1999 et 2000 et 2009. L’Arabie saoudite complètera le tissu industriel de Matelec en 2012. « Nous y sommes partenaires à 70 % », détaille Sami Soughayar.
Le but de ces implantations est de se rapprocher des clients pour leur assurer un meilleur service ou de contourner des barrières aux importations. « Elles sont parfois, mais pas toujours,  motivées par un objectif de réduction de coûts, affirme Sami Soughayar ;  le Liban est en effet très compétitif pour ces types de produits, car le processus de production n’est pas gourmand en énergie  électrique et nécessite une main-d’œuvre qualifiée. Au final, nous offrons des services de qualité identiques à ceux de nos concurrents européens, à un coût inférieur de 20 à 30 % ».
Au fil des années, Matelec s’est fait fort d’investir dans des modes de production respectant les normes internationales lui permettant de se confronter aux plus grands. Dès 1986, ses produits sont homologués par la KEMA, un laboratoire hollandais qui garantit le respect des normes techniques internationales. En 1986, elle obtient la certification EDF (Électricité de France). En 1996, l’usine de Amchit est la première au Liban à obtenir la certification ISO 9001:2000 qui garantit la gestion de la qualité. Puis en 2010, Matelec acquiert les certifications ISO 14001:2004 et  OHSAS 18001:2007  garantissant respectivement  les systèmes de gestion de l’environnement et ceux de la santé et de la sécurité.
Le site de Amchit reste au cœur du développement du groupe. L’usine s’étend aujourd’hui sur 210 000 mètres carrés dont 42 000 de bureaux, dépôts et ateliers ; elle emploie 650 personnes. Elle produit 75 % des transformateurs de tout le groupe, les quatre autres usines implantées à l’étranger assurant 6 000 à 7 000 transformateurs par an. « L’avantage majeur du Liban est sa position géographique centrale, explique le directeur. « Nous arrivons à livrer nos clients français presque aussi rapidement que des usines françaises. Et c’est pareil pour le Golfe.  »
Le nouveau laboratoire de recherche et développement, qui emploie une quinzaine de personnes, permettra de développer de nouveaux produits : « Nous avons conclu il y a un an un partenariat technique informel avec EDF pour effectuer des recherches sur des transformateurs verts à faibles pertes, c’est-à-dire qui consomment peu pour leur propre alimentation », explique Sami Soughayar. Des brevets sur certains équipements destinés à EDF ont même été déposés. « Sur tous les marchés que nous avons abordés, nous avons été confrontés à la même réticence : le Liban n’est pas perçu comme un pays industriel. Mais nous sommes restés sur chaque marché que nous avons ouvert ; et nous avons réussi à créer au Liban une compagnie industrielle à forte valeur ajoutée. »
L’enjeu est de taille : selon une étude réalisée par le bureau de recherche de marché et de rapports statistiques Gobi International, le marché des transformateurs de puissance à lui seul était estimé à 17,6 milliards de dollars en 2008. 

Matelec en un coup d’œil

Chiffre d’affaires 2010 : 231,8 millions de dollars
Profits 2010 : 12,1 millions de dollars
Actionnariat de la holding, créée en 2010 : Doumet Electrical Holding (également propriétaire de Lebanon Chemicals),  la famille Moretti (actionnaire de Caporal et Moretti, société libanaise qui opère dans l’électricité, les télécommunications et les systèmes de sécurité) et Sami Soughayar, PDG.
Effectifs : 1 800 à 2 000 personnes à travers le monde
Marchés : plus de 25 pays couverts dont l’Égypte, la France, le Sénégal, l’Irak, l’Arabie saoudite et la Côte d’Ivoire.
Usines : Liban, France, Jordanie, Egypte, Algérie, et bientôt Arabie saoudite.

Et quelques dates

1974 : création de Matelec.
1980-1981 : production sous licence d’appareillages moyenne et basse tension, de sous-stations et de systèmes de contrôle et de protection.
1987 : premières exportations en Europe.
1987 : développement de la division d’ingénierie et de contracting dédiée aux projets électriques clé en main haute et moyenne tension. 
1992 : première sous-station de haute tension 66kV en dehors du Liban (en Syrie).
1992 : création d’ELICO (Electrical Equipment Industries Co.) en Jordanie.
1999 : création de International Transformers Matelec (ITM) en Égypte.
2000 : création de Transfo Matelec en France, né de la fusion entre le fabricant de transformateurs Obtec (groupe Duriez) et Matelec.
2000 : création de Saudi Matelec for Industries et Saudi Matelec for Engineering.
2002 : développement de la première sous-station mobile, pour l’Irak.
2006 : création de Matelec Engineering and Contracting Ltd – Nigeria pour réaliser le premier projet de très haute tension. 
2007 : création de MATSEN au Sénégal pour réaliser la centrale électrique Kounoune.
2009 : acquisition de la majorité des actions de l’usine d’EDIEL en Algérie. 
2011 : inauguration de l’extension de
l’usine de Amchit pour la production de transformateurs de puissance  jusqu’à
120 MVA / 245 kV.
2011 : inauguration du laboratoire de recherche et développement.