Un article du Dossier

En pleine croissance, le port de Beyrouth s’agrandit

« Un milliard de dollars. » C’est ce que représenterait le manque à gagner pour l’État libanais dû à la corruption au port de Beyrouth, selon le ministre des Travaux publics et des Transports. Ghazi Aridi a voulu provoquer un électrochoc en rendant public ce montant en 2012. « J’en ai parlé à plusieurs reprises dans les médias, à la table du Conseil des ministres, au sein de notre parti (le PSP). Mais je n’ai pas obtenu de résultat positif. Il y a trop d’intérêts en jeu », déplore-t-il.
Cette estimation est cependant contestée. « Il y a des falsifications des factures, c’est sûr et certain, confirme Élie Zakhour, le président de la Chambre internationale de navigation du port de Beyrouth. Mais ce n’est pas possible qu’elles portent sur un milliard de dollars. Sur ce sujet, on exagère beaucoup. On a parlé par exemple de l’existence d’un quai spécial pour décharger la marchandise sans payer de taxe douanière. Ce n’est pas vrai. » Hassan Jaroudi, président du Syndicat des agents maritimes, estime lui que le montant de la corruption « ne dépasse pas 300 millions de dollars par an ».
Si les estimations varient, la pratique, elle, semble avérée. Selon une source travaillant au port, il y a deux façons reconnues de frauder : « La première est de faire une fausse déclaration sur la nature de la marchandise importée. Par exemple, les jouets ou les chaussures sont taxés à hauteur de 35 %. Au lieu de déclarer des jouets, l’importateur affirme que son conteneur est rempli d’ordinateurs, qui eux ne sont pas taxés (sauf la TVA). La deuxième façon est de ne pas déclarer la juste valeur de la marchandise transportée et de payer ainsi moins de TVA et de droits de douane. »

Renforcement des contrôles

Plusieurs acteurs sont impliqués dans ce système de fraude, notamment certaines agences de dédouanement, qui s’occupent des formalités administratives et servent d’intermédiaire entre les clients et les douanes. Des sources travaillant au port évoquent « des agences de dédouanements spéciales ». Sur les quelque 600 agences de dédouanement répertoriées, « une dizaine » seraient impliquées dans les fraudes les plus importantes, d’autres se contentant de petites évasions. « Si un client doit payer 20 000 dollars de taxes, ces agences leur proposent de faire passer la marchandise pour 10 000 dollars. Elles ont le pouvoir de faire de fausses formalités, parce qu’elles sont couvertes par des personnes haut placées. » Une même source affirme que « tous les partis politiques, de toutes les confessions, sont impliqués dans ces pratiques ».
Hassan Jaroudi souligne toutefois qu’il y a eu « beaucoup de changements » depuis cette année en matière de contrôle : « Dix inspecteurs financiers ont été chargés par le gouvernement de contrôler tous les départements douaniers. Ils inspectent les différentes étapes des formalités, les déclarations et le contenu des conteneurs. De plus, la Sûreté générale est en train également de contrôler les conteneurs pour stopper les irrégularités. »

Trois postes vacants

Signe d’un problème persistant, trois postes de hauts fonctionnaires aux Douanes sont vacants. Celui de directeur général des douanes (l’intérim est assuré par Chafic Merhi), tout comme celui de directeur général des douanes du Port de Beyrouth (l’intérim est assuré par Moussa Hazim, également directeur général des douanes de l’aéroport de Beyrouth). Enfin il n’y a plus personne à la tête du Haut Conseil des douanes. Leur nomination est du ressort du gouvernement. « Le gouvernement par intérim n’a pas l’autorité suffisante pour mener des réformes » souligne une source. « Cela pose problème pour la discipline des fonctionnaires », regrette pour sa part Hassan Jaroudi.
De son côté, Hassan Kraytem, le directeur du port, assure avoir « beaucoup travaillé sur les affaires de corruption ». Son idée était de réduire le nombre de contacts entre les acteurs impliqués. Le port a notamment mis en place un système informatique pour automatiser les procédures de paiement. Il est actuellement en cours de rodage. « Aujourd’hui, un client qui doit se faire livrer une marchandise n’a plus besoin de venir au port. De son bureau, son intermédiaire, le dédouaneur, demande un conteneur, il reçoit directement sa facture et peut effectuer un paiement en ligne. La banque informe le port que ce conteneur a été réglé. Le port informe l’opérateur que ce conteneur est bon pour être livré. »
Des procédures automatisées et informatisées, c’est aussi ce qu’ont développé les douanes depuis les années 1990. Les conteneurs qui doivent passer au contrôle sont choisis de façon aléatoire par un système informatique baptisé Najm : si le vert s’allume, le conteneur n’est pas contrôlé. Si c’est rouge, un inspecteur vérifie que le contenu du conteneur correspond à la déclaration. Les douanes utilisent aussi un scanner qui a été remis en fonction cette année, après avoir été en panne pendant deux ans.
Fouad Bawarshi, vice-directeur général de Gezairi Transports, un groupe de transport et logistique, avance lui deux pistes de réforme pour mettre fin aux pratiques illégales : « La première serait d’informatiser encore davantage les procédures. Des investissements ont été faits, mais le système n’a pas été modernisé. La deuxième serait d’améliorer la formation des jeunes cadres qui sont nommés à la fin de leur étude à un poste à responsabilité aux douanes. Il faudrait par exemple les envoyer à l’étranger pour qu’ils apprennent d’autres procédures. Des efforts sont faits, mais ce n’est pas suffisant. »
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