La nouvelle loi de libéralisation des loyers anciens ne sera applicable en l’état qu’aux baux d’habitation de luxe, estime le Comité des consultations du ministère de la Justice, présidé par Marie-Denise Méouchy, dans un avis rendu public début octobre.

Il s’agit des baux anciennement soumis aux lois n° 29 de 1967 et n° 10 de 1974.

Pour les autres (anciens) contrats de locations, l’application de la loi est impossible, assure encore le Comité des consultations.

L’avis de ce Comité n’a pas de force obligatoire. Ce qui signifie qu’il reste sans incidence sur le texte de la loi en lui-même, sur la position du législateur ou même sur d’éventuels jugements.

Mais il en dit long sur les difficultés d’application à moins de deux mois de l’entrée en vigueur de la loi et le casse-tête auquel les magistrats seront confrontés dans les mois à venir.

Pour comprendre, il faut revenir en arrière. En juillet dernier, le Conseil constitutionnel, saisi de plusieurs recours en invalidation, décide d’entériner la loi de libéralisation des loyers anciens dans son ensemble.

Pour les sages, en effet, les choses sont claires : il faut sortir les contrats de location anciens du système des lois d’exception et revenir au droit commun. Mais ils censurent certaines des modalités de la loi. En particulier, la création d’une « commission spéciale » et d’une « caisse de solidarité. »

Dans la loi, votée en avril dernier au Parlement, cette « commission spéciale » était chargée de régler les litiges éventuels entre locataires et propriétaires (en particulier sur la valeur du bien, laquelle détermine ensuite les augmentations de loyer à payer). Elle devait aussi décider de l’attribution des aides aux locataires les plus démunis.

Quant à la « caisse de solidarité », elle avait pour mission de payer les aides financières octroyées aux locataires les plus nécessiteux afin qu’ils puissent assumer les augmentations de loyers voire se reloger.

Dans son avis, le Comité des consultations du ministère de Justice estime donc que la loi de libéralisation des anciens loyers peut s’appliquer aux locataires d’appartements « de luxe » dans son état actuel.

La disparition de la commission spéciale ou de la caisse de solidarité n’ayant qu’une incidence à la marge dans leur cas : ces locataires ne peuvent, de toutes les façons, pas bénéficier d’une aide financière.

Pour les autres, en revanche, l’application de la loi est impossible, estime le Comité, en l’absence de commission qui tranche les litiges et décide des aides à attribuer. La loi prévoyant pour ces locataires d’appartement anciens (« non luxueux » donc) des dédommagements financiers.

Impasse

Quels scénarios sont-ils envisageables ? Première hypothèse : des parlementaires présentent différents amendements pour remplacer les articles censurés par le Conseil constitutionnel.

Pour l’heure, cette solution est irréaliste, le parlement étant limité dans ses prérogatives à la seule élection du président de la République.

Seconde hypothèse : la loi reste en l’état avec ses incohérences, le sujet étant trop sensible pour repasser devant le parlement même si celui-ci retrouvait ses fonctions législatives.

L’interprétation de la loi est alors laissée à la justice. Les juges interprétant « comme ils peuvent » une loi incomplète pour finalement faire émerger une jurisprudence unifiée.

C’est ce qui s’est passé, par exemple, pour la loi sur les successions de 1959. On a préféré ne pas retoucher les incohérences, et laisser les juges interpréter », rappelle un juriste.

Le résultat n’est d’ailleurs pas toujours cohérent : les juges n’étant pas tous d’accord sur la solution à privilégier.

Une chose est sûre : il y a urgence. Déjà, certains propriétaires ont entamé des procédures en référé pour expulser leurs anciens locataires. On parle - sans que ce chiffre puisse être vérifié - d’environ 400 procédures en cours.

Ces avocats tentent ainsi de forcer la main à la justice, en arguant d’un retour au droit commun depuis la dernière loi d’exception qui a pris fin en avril 2012.

La loi de libéralisation des loyers anciens n’entrant en vigueur que début 2015, rien n’est prévu pour la « période de transition », qui court d’avril 2012 et janvier 2015. Si le Code des obligations et des contrats s’applique pendant ce laps de temps, ils espèrent obtenir un jugement pour procéder à « l’expulsion » des anciens locataires au motif qu’ils occupent le local « sans titre », leur contrat étant arrivé à terme.

Il est cependant peu probable que la justice les suivent : la jurisprudence a toujours privilégié une certaine « sécurité juridique », spécialement dans un pays aussi peu assuré que le Liban.