L’histoire débute à l’été 1998 : un richissime jeune homme, dénommé Clark Rockefeller, décide d’adopter une chienne estropiée, en convalescence dans le Montana. Encore faut-il la transporter jusqu’à New York, où il réside. C’est là qu’entre en scène Walter Kirn, journaliste free-lance, désargenté et un rien dépressif. Sa mission ? Convoyer l’animal pour l’apporter à son nouveau maître. Pour lui, le périple est une excuse tant ce Clark Rockefeller lui semble une rencontre prometteuse : « Je décidais de rencontrer Clark en chair et en os si l’occasion m’en était donnée. En tant que romancier, j’aurais commis une faute professionnelle en m’abstenant. » La rencontre a lieu. Elle se transforme en une “amitié” épisodique entre les deux hommes et va durer une quinzaine d’années.
Mais en 2013, tout bascule : Carl Rockefeller est appréhendé par la police pour un différend familial. Les policiers se rendent alors compte que le “riche héritier” se nomme en fait Christian Karl Gerhartsreiter. Né en Allemagne, il est arrivé aux États-Unis à 18 ans pour “se réinventer” dans ce pays de tous les possibles. Mais l’homme est davantage que « le plus prodigieux mystificateur en série de ces dernières années ». C’est aussi un meurtrier, qui tua en 1985 le fils de sa logeuse, démembra et dispersa le cadavre.
Plutôt qu’un portrait de meurtrier bonimenteur, le journaliste s’attache à sa propre (et incroyable) naïveté : comment lui n’a-t-il rien senti ? Rien
vu ? Ou rien voulu voir ? Récit remarquablement bien construit, ce “Mauvais sang ne saurait mentir” trace le portrait du “dupé”. « Ces escrocs sont des miroirs, ils existent pour que leur public projette leurs fantasmes sur eux », avance l’auteur dans une interview. Là est la vérité d’un magnifique récit qui retient ses lecteurs tant ses interrogations restent valables pour tous.
Walter Kirn, “Mauvais sang ne saurait mentir” (traduit de l’anglais), Christian Bourgois éditeur, 22 dollars.