Les morts ne semblent pas morts dans les portraits de Rim al-Jundi, comme s’ils avaient été saisis l’instant d’avant, juste quand la vie commence à les lâcher. Dans la présentation de son exposition, la peintre évoque à mots voilés son projet : restituer l’ultime souffrance de ces hommes et de ces femmes, dont on ne sait rien, si ce n’est qu’ils gardent sur leur visage les stigmates de coups ou de tortures. Nous, qui vivons “hic et nunc”, savons d’instinct de quoi il retourne. Nous savons ce que signifient des têtes coupées accrochées à des pics ou des hommes brûlés vifs en cage. Pourtant, l’exposition de Rim al-Jundi n’a rien de mémoriel. Au contraire, en choisissant cet “instant d’avant”, la peintre, née en 1965, privilégie le thème de l’immortalité. Et l’usage de l’or, symbole de la pérennité de l’âme dans l’enluminure antique et médiévale, est bien là pour le rappeler. Mais c’est ici une immortalité où l’effacement mémoriel est déjà en route, se chargeant de lisser les traits de ces êtres dont rien ne demeure, sauf un visage tuméfié. C’est ce qui les rend si fascinants, si énigmatiques finalement, comme ces portraits de Fayoum, que Rima al-Jundi invoque pour évidente filiation. L’expression portraits de Fayoum désigne un vaste ensemble de visages retrouvés au XIXe siècle, peints sur des fines tablettes de bois et incorporés dans le réseau de bandelettes des momies égyptiennes, à la hauteur de la tête, de telle sorte qu'ils se superposent au visage du mort qu'ils enveloppaient. Comme les toiles de Rima al-Jundi, les portraits du Fayoum “résistent” à la mort (ou l’oubli). Ces portraits se rappellent alors à nous autres vivants comme une manifestation de “l’essence”.
Du 3 au 25 juin à la galerie Janine Rubeiz.