Apparemment, Zeina Abirached n’aime pas qu’on le lui répète, mais il y a un peu de Marjane Satrapi, la grande dame de la BD iranienne (la série Persépolis) dans son coup de crayon. Mais ce serait alors une Satrapi plus innocente, peut-être plus naïve, face au monde. Et l’on ne peut pas non plus s’empêcher de penser à Jacques Tati tant Zeina Abirached semble vouloir donner à la réalité dépeinte ce côté surréaliste et incongru, marque de fabrique des films du grand réalisateur français.
L’histoire du “Piano oriental” se situe dans les années 1950, en plein “âge d’or” beyrouthin. Abdallah Kamanja, inventeur d’un piano capable de jouer aussi bien de la musique classique que de la musique arabe (pour laquelle un quart de ton est nécessaire), reçoit une invitation à présenter son instrument auprès d’un éditeur de musique autrichien. Un voyage s’impose, qui fait écho à celui que la narratrice entreprend 50 ans plus tard pour étudier en France.
Ce “roman graphique”, tout de noir et blanc, n’est pas pure invention : il s’agit de l’histoire romancée de son arrière-grand-père, Abdallah Chahine, dont le nom est lié au monde musical libanais.
Véritable ou fantasmée, l’histoire que nous dessine Zeina Abirached se veut “merveilleuse” au sens où il s’agit d’un conte : elle parle de la rencontre des civilisations (ou de pianos, ce qui revient au même), de mixtions linguistiques (de l’arabe au français et inversement) et de rencontres amoureuses. De cet échange naissent parfois des nœuds comme les vagues de la mer qui porte le bateau d’Abdallah vers Marseille, port de débarquement avant la route pour l’Autriche, ou les boucles des cheveux de Zeina, qui emmêlent les fils de l’histoire.
Même si ce piano à “double culture” est un échec commercial, la vie que dessine l’auteure dans ce Beyrouth des années 1950 a des airs de “dolce vita”. Un monde que la narratrice regrette peut-être et dont l’évocation ici nous ravit.
Zeina Abirached, “Le Piano oriental”, Casterman, 24 dollars.