L’offensive de la coalition internationale contre l’État islamique commence déjà à avoir des conséquences économiques et sociales dans les zones syriennes tenues par l’opposition et celles du régime.

Les frappes aériennes contre l’État islamique (EI) ont commencé à avoir des répercussions économiques sur d’importants segments de la population syrienne. Quelques jours seulement après le début des raids aériens sur les positions syriennes du mouvement jihadiste, la coalition dirigée par les États-Unis et soutenue par plusieurs États de la région a annoncé avoir détruit la majorité des raffineries contrôlées par l’organisation dans l’est syrien.

Un impact mitigé sur les finances de l’EI

Les raffineries en question ne sont pas des complexes industriels en bonne et due forme – il y en a deux en Syrie dans des régions fermement sous le contrôle du gouvernement –, mais des raffineries de fortune qui purifient du pétrole extrait des différents champs contrôlés par l’EI autour de la ville de Deir ez-Zor. Leur production se montait à environ 50 000 barils par jour selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), un organisme basé à Londres (voir Le Commerce du Levant de juillet 2014).
L’objectif des États-Unis est clair : détruire les capacités de raffinage de l’EI c’est mettre fin à l’une des sources principales de revenus de l’organisation. En plus des raffineries, les attaques aériennes ont touché un marché de commerce et de distribution de pétrole situé près de Manbij, au nord-est d’Alep, ainsi que l’usine Dezgas de traitement de gaz naturel basée près de Deir ez-Zor et gérée, avant le début du soulèvement, par la société Total. Toutefois l’usine ne semble pas avoir été endommagée de manière significative.
Alors qu’il est probable que les finances de l’EI vont souffrir de la destruction des raffineries, il n’est pas certain que l’impact soit aussi important que ne l’espère Washington. Contrairement aux raffineries, la plupart des champs pétrolifères n’ont pas été touchés et l’organisation islamique a toujours les moyens de vendre le pétrole sous forme brute. Par ailleurs, l’EI a plusieurs autres sources de revenus, y compris les taxes imposées sur les commerçants et les habitants des régions sous son contrôle, les taxes de passages et de transport, les rançons, etc.

La population du Nord-Est souffre

En revanche, il est établi que la population du Nord-Est souffre déjà des conséquences des frappes qui ont réduit de manière significative l’approvisionnement en produits pétroliers dans les zones du Nord et du Nord-Est.
Les raffineries étaient utilisées pour produire, entre autres, du mazout, qui est le principal moyen de chauffage de la population ; avec l’approche de l’hiver et donc l’augmentation de la demande, il est probable que son prix va augmenter et que la population aura du mal à se chauffer correctement. Le mazout est également utilisé par les agriculteurs pour faire fonctionner leurs tracteurs, pompes à eau et diverses autres machines. La pénurie de ce produit aura donc un impact négatif sur la prochaine campagne agricole, et impactera à la fois les revenus des agriculteurs et le portefeuille des consommateurs à travers l’augmentation du prix des produits agricoles. Enfin, la pénurie de produits pétroliers va pousser le prix des transports à la hausse et, en conséquent, le prix de quasiment tous les produits distribués. À Alep, Deir ez-Zor et d’autres villes du Nord et du Nord-Est, on rapporte que les prix du diesel, du mazout et du fioul ont déjà augmenté de près de 50 % et que des pénuries de ces produits sont observées.
Le prix des légumes et des fruits a également augmenté, en particulier dans les plus petites villes qui subissent de manière plus prononcée la hausse des coûts de transport. Le prix de l’électricité, fournie de plus en plus fréquemment par des générateurs électriques qui consomment du mazout, a également augmenté. De manière assez inexplicable, et jusque-là inexpliquée par les États-Unis, les frappes ont aussi visé des moulins à blé situés près de Manbij qui fournissent suffisamment de farine pour nourrir quotidiennement près d’un million de Syriens (voir Le Commerce du Levant d’avril 2014).
Des pénuries de farine et de pain n’ont pas encore été rapportées, mais les conséquences ne vont probablement pas manquer de se faire sentir dans une région où les conditions économiques et sociales sont déjà très faibles et les activités productives quasiment inexistantes. Depuis trois ans et demi, la pauvreté croissante de la population, l’inflation et la récolte agricole médiocre ont entraîné une hausse de la consommation de pain qui est devenu plus que jamais l’aliment de base de la population. Si aucune alternative pour approvisionner la population en farine et en pain n’est trouvée, la destruction des moulins de Manbij est susceptible d’avoir un impact humanitaire important dans tout le nord-est syrien.

Les approvisionnements du régime affectés

Dans la semaine qui a suivi les frappes, le gouvernement syrien a annoncé deux mesures ayant trait à la distribution de produits pétroliers. La première est l’augmentation de 33 % du prix de mazout et de 17 % du prix de l’essence ; la seconde autorise pour la première fois depuis des décennies le secteur privé à importer et distribuer localement le mazout et le fioul, à la condition que ces produits soient exclusivement destinés aux industriels.
Il se peut que ce ne soit qu’une coïncidence, mais le moment choisi par le gouvernement pour annoncer ces mesures a de quoi surprendre et ne va pas manquer de relancer la spéculation sur les liens commerciaux entre le régime syrien et l’EI. L’annonce a été faite deux jours avant le début de la fête de l’Adha, la principale fête religieuse musulmane, une période durant laquelle le gouvernement cherche d’habitude à apaiser sa population, et seulement quelques jours après le début des frappes aériennes qui ont visé les raffineries.
La hausse des prix du mazout et de l’essence ne manquera en tout cas pas d’avoir un impact inflationniste dans les régions sous contrôle du régime qui restent mieux loties que les zones détenues par l’opposition, mais qui souffrent aussi d’un chômage galopant et d’un pouvoir d’achat en baisse. Le gouvernement n’a d’ailleurs pas tardé à confirmer ses craintes. Le 11 octobre, il annonçait une hausse des tarifs de transport de 25 à 33 % selon les destinations.
Bien qu’il soit difficile de prouver de manière formelle les liens entre l’EI et les autorités syriennes, il est clair que malgré les frontières qui se sont établies entre les différentes zones de contrôle à l’intérieur du territoire syrien (régime, opposition, kurdes, EI) le transport et l’échange de produits et services restent relativement fluides.
De nombreux exemples de troc entre régime et opposition ont déjà été rapportés – par exemple, l’année dernière, dans la région d’Idleb, la vente de blé par des brigades de l’opposition en échange de farine fournie par des brigades de l’armée – et la même tendance peut être observée sur le marché des changes où la livre syrienne a bénéficié de l’aide internationale en devises reçue dans les régions de l’opposition pour soutenir sa valeur vis-à-vis du dollar.
De la même manière, les marchés des produits pétroliers dans les régions du régime et de l’EI sont relativement dépendants l’un de l’autre, ce que les frappes semblent avoir mis en lumière.
Les frappes aériennes de la coalition internationale ont en tout cas rappelé à tous les observateurs que dans les régions sous contrôle de l’EI de nombreux civils continuaient à vivre et que les conséquences de ces frappes devaient aussi être mesurées à l’aune de leur impact sur une population exténuée et appauvrie, trois ans et demi après le début du soulèvement populaire syrien.