Les difficultés grandissantes du gouvernement syrien à financer l’achat et la subvention de produits pétroliers le poussent à une libéralisation rapide de ce secteur qui met graduellement fin à un monopole d’État datant de l’arrivée au pouvoir du parti Baas dans les années 1960.

Depuis octobre, le gouvernement syrien a annoncé plusieurs mesures qui visent à réduire son investissement dans le secteur pétrolier et à renforcer celui du secteur privé. Cette libéralisation, qui va de la réduction des subventions aux produits pétroliers à l’ouverture de nombreuses activités réservées par le passé au secteur public, est une tentative de réponse des autorités aux pénuries croissantes de produits pétroliers sur le marché local qui s’accentuent avec le début de l’hiver.
Avant le début du soulèvement populaire de mars 2011, l’État syrien contrôlait presque entièrement la filière pétrolière qu’il considérait comme stratégique, de l’achat, y compris l’importation, à la distribution, en passant par l’exploration-production et le raffinage. Le secteur privé, sous la forme d’entreprises étrangères, était présent dans l’exploration-production, mais uniquement en partenariat avec le secteur public alors qu’en aval on ne le retrouvait qu’au bout de la chaîne de distribution, dans la gestion de stations-service.
La libéralisation générale de l’économie qui avait débuté en 2000 avait aussi commencé à toucher ce secteur et des investisseurs privés avaient, par exemple, été approchés pour la construction de raffineries ; par ailleurs une baisse graduelle des subventions sur les prix pétroliers avait débuté.
Le soulèvement de 2011 a cependant entravé ces évolutions, la fuite des investisseurs ayant remis au tiroir les projets de raffinerie alors que les subventions étaient augmentées à nouveau dans l’espoir d’apaiser la population.
Trois ans et demi plus tard, le gouvernement fait face à de nombreux défis : la baisse des recettes budgétaires rend le financement des subventions de plus en plus difficile ; la dévaluation de la livre syrienne par rapport aux principales devises, et en particulier le dollar, renchérit le coût des importations et augmente le différentiel entre le prix d’achat et de vente du mazout ; les sanctions occidentales sur le transport de produits pétroliers à destination de Syrie ainsi que sur de nombreuses entreprises publiques syriennes empêchent la conclusion de contrats d’importations ; finalement, le gouvernement semble avoir échoué à obtenir le prolongement du financement de ses importations pétrolières par son allié iranien.

Une série de mesures qui ouvrent la porte au privé

En conséquence, en l’espace de quelques semaines, le gouvernement a annoncé plusieurs mesures qui favorisent une implication plus grande du secteur privé dans le secteur pétrolier avec l’espoir qu’il contribuera à l’alléger d’une partie de ses responsabilités et à réduire les pénuries.
Début octobre, le gouvernement a autorisé le secteur privé à importer et distribuer sur le marché local le mazout et le fioul, à la condition que ces produits soient exclusivement destinés aux industriels (voir Le Commerce du Levant de novembre 2014). Jusque-là, l'importation de ces deux produits était le monopole de Mahrukat, une entité publique affiliée au ministère du Pétrole et des Ressources minières. La décision était justifiée par la nécessité d’assurer un approvisionnement continu au secteur industriel dans le but de mettre fin aux arrêts de production. Puis, le 20 octobre, le gouvernement a décidé d’aligner le prix de ces deux produits sur ceux du marché mondial, mettant fin, en pratique, aux subventions dont bénéficiait le secteur industriel – les prix aux particuliers restant inchangés. Le ministre du Pétrole a annoncé que le prix de ces produits serait fixé toutes les semaines sur la base de ceux affichés par Platts, un fournisseur de données sur le secteur de l’énergie dont les prix servent de référence sur le marché.
Déjà, début octobre, le gouvernement avait annoncé la hausse du prix de l’essence et du mazout distribués aux particuliers même si le prix de vente de ce dernier, qui représente le principal poids des subventions pour l’État, restait largement en dessous de son coût.
Avec la libéralisation des prix et l’autorisation accordée au secteur privé d’importer directement, le marché pétrolier destiné au secteur industriel est donc presque entièrement libéralisé. Presque, car certaines restrictions demeurent. Ainsi, avant de pouvoir importer, les traders doivent obtenir plusieurs autorisations : une de la Banque centrale, une autre de la société Mahrukat et une troisième du directorat de l’industrie du gouvernorat où sont basés les importateurs. Des “autorisations” qui sont autant de moyens de sélectionner les bénéficiaires de cette mesure et donc de favoriser les proches du pouvoir. Fin novembre, le gouvernement planchait sur un nouveau projet qui consisterait à encourager le secteur privé à tirer profit des capacités de production inutilisées des deux raffineries publiques de Homs et de Banias. Les traders seraient encouragés à importer du brut, à le raffiner, puis à le vendre sur le marché local ou à l’export. Il n’est pas encore clair comment les prix seraient fixés ni si la vente serait là encore restreinte au secteur industriel.
Selon le quotidien al-Watan, qui est très bien introduit auprès des autorités, en échange de son service, le gouvernement se ferait payer soit en liquide, soit en nature sous la forme de livraison d’une partie des produits raffinés. Il est encore tôt pour savoir si cet appel du pied aux investisseurs trouvera preneur, car le coût et la logistique requis pour de telles opérations risquent d’en effrayer plus d’un. Là encore, les proches du régime, qui sont les seuls à pouvoir obtenir du gouvernement les garanties nécessaires à la conduite sans entraves de telles opérations, pourraient être intéressés.

Un sentiment d’urgence grandissant

En tout cas, l’urgence se fait tous les jours plus pressante. Avec l’arrivée de l’hiver et la demande croissante de mazout, les signes de pénuries augmentent à Damas et des rumeurs se multiplient sur la fin des subventions du prix du mazout, qui aurait des conséquences dramatiques sur le pouvoir d’achat des Syriens.
Cette politique de libéralisation ne va pas aller sans de nombreux problèmes. Il y a un risque de création d’un marché noir entre produits destinés aux industriels et ceux destinés au reste de la population. L’augmentation générale des prix que va entraîner l’inflation des prix des produits pétroliers est un autre problème. Trois ans et demi de troubles et de guerre ont déjà porté un coût fatal au pouvoir d’achat de la population, dont 90 % risquent de se retrouver sous le seuil de pauvreté fin 2015, selon l’Escwa.
« Pour le moment, le gouvernement continue à jouer un rôle important dans le secteur, à la fois en tant que fournisseur de produits raffinés et en tant que régulateur du secteur. » Début décembre, en réponse au mécontentement grandissant face aux pénuries, le Premier ministre annonçait ainsi que de nouvelles livraisons de produits pétroliers étaient en route à destination des ports syriens. Les évolutions de ces dernières semaines confirment cependant l’affaiblissement de l’État central syrien, son incapacité grandissante à fournir à la population des services qu’elle considérait comme acquis, et le renforcement probable du rôle, et de l’enrichissement, des pontes du régime.

Des importations en hausse

Avant le début du soulèvement en mars 2011, le secteur pétrolier se caractérisait par une production relativement modeste de 380 000 barils par jour, mais suffisante pour couvrir la majorité des besoins du pays. La balance commerciale pétrolière était légèrement défavorable, les importations de produits raffinés étant légèrement supérieures aux exportations. Les sanctions pétrolières occidentales à l’automne 2011 ont mis fin aux exportations qui se portaient à environ 150 000 barils par jour. Au printemps 2013, la prise de contrôle par le Front al-Nosra, puis par l’État islamique, des principaux champs pétrolifères situés autour de la ville de Deir ez-Zor, a forcé le gouvernement à recourir aux importations. En août 2013, Téhéran avait accordé à son allié syrien une ligne de crédit de 3,6 milliards de dollars destinée uniquement à leur financement. Selon les officiels syriens, le coût des importations se montait à environ 400 millions de dollars par mois et à ce rythme la ligne de crédit aurait donc été épuisée. Durant les neuf premiers mois de cette année, les importations de brut se situaient à environ 124 000 barils par jour.