La couverture par les médias de la fuite des réfugiés syriens vers l’Europe ne donne qu’une idée partielle de la réalité du drame de ces populations. Où vont-ils ? D’où partent-ils ? Et pourquoi maintenant ?

Depuis plusieurs semaines les médias internationaux couvrent de manière extensive l’afflux de réfugiés, syriens et autres, vers les pays de l’Union européenne. L’image de l’enfant syrien, Aylan Kurdi, trouvé mort, face contre terre sur une plage turque, a particulièrement ému l’opinion publique internationale et forcé plusieurs pays européens à annoncer une politique moins stricte d’accueil des demandeurs d’asile.
Pourquoi les Syriens semblent-ils fuir leur pays en nombre plus important depuis plusieurs semaines ? Et quelle est la situation de ces réfugiés ? Quelques clarifications :

Qui a le statut de réfugié ?
Depuis le début du soulèvement populaire contre le régime en mars 2011 des millions de Syriens ont fui leur pays. Si l’écrasante majorité est partie à cause des conséquences directes ou indirectes du conflit, tous ne sont pas formellement catégorisés comme réfugiés.
Des centaines de milliers de personnes, des classes supérieures et moyennes supérieures, se sont réinstallées dans des pays de la région, en Europe ou en Amérique du Nord. Certains avaient une nationalité ou un droit de séjour étranger avant le début du conflit, d’autres l’ont acquis grâce à leur capital, leurs diplômes ou leur savoir-faire professionnel. Ces Syriens ne sont catégorisés nulle part, leur nombre réel n’est pas connu et ils ne sont donc pas considérés comme réfugiés.
D’autres Syriens, en général de condition sociale moins élevée, ont fui vers les pays frontaliers et se sont enregistrés auprès du HCR, l’agence de l’Onu en charge des réfugiés, pour pouvoir bénéficier de l’aide que cette organisation fournit. Ils sont considérés comme réfugiés.
Une partie de ces derniers ainsi que d’autres Syriens des classes moyennes qui n’étaient pas au départ enregistrés comme réfugiés auprès du HCR ont fait des demandes d’asile auprès de pays plus lointains, tels l’Australie, les États-Unis ou les pays de l’Union européenne. Ces demandes ont en général été faites à partir des pays de premier accueil, c’est-à-dire les pays frontaliers, tels le Liban, la Jordanie et la Turquie. Ceux dont la demande d’asile a été acceptée ont pu se rendre dans leur nouveau pays d’accueil où ils ont été reçus comme réfugiés. C’est le cas de la plus grande partie des Syriens qui vivent maintenant en Europe.
Enfin, plus récemment, beaucoup de Syriens tentent d’entrer illégalement dans l’espace Shengen où ils déposent une demande d’asile dès leur arrivée dans le pays d’accueil. Étant donné la situation de guerre dans leur pays d’origine, ces demandes ne sont presque jamais refusées et ces personnes obtiennent généralement le statut de réfugiés.

Combien de réfugiés syriens y a-t-il en Europe ?
Selon les données d’Eurostat, l’office des statistiques de l’Union européenne, 192 702 Syriens ont fait une demande d’asile entre 2011, l’année du début du soulèvement populaire, et 2014.
Leur nombre a graduellement augmenté, à mesure de l’escalade du conflit. De 6 455 demandes en 2011, leur nombre s’est porté à 20 805 en 2012, 46 450 en 2013 et 119 000 en 2014. Par comparaison, en 2010, l’année qui a précédé le conflit, seuls 4 275 Syriens avaient fait une demande d’asile dans l’Union européenne.
À elles seules, l’Allemagne et la Suède ont accueilli plus de la moitié des réfugiés, exactement 115 425, soit 59 % du total. Elles sont suivies de trois pays qui ont accueilli autour de 10 000 réfugiés chacun, les Pays-Bas, le Danemark et la Bulgarie. Cette dernière doit sa position dans le classement à sa proximité géographique relative, à la frontière de la Turquie qui est le pays de départ de la plupart des réfugiés.
Le Royaume-Uni et la France viennent loin derrière avec respectivement 6 175 et 4 880 réfugiés accueillis.
La tendance à l’accélération du mouvement s’est confirmée durant les deux premiers trimestres de l’année. Au premier trimestre, 30 210 Syriens ont fait une demande d’asile dans un des 28 pays de l’UE, et au deuxième trimestre 45 075, soit un total de 75 285 sur les six premiers mois de l’année. En comparaison avec la même période de l’année dernière (38 125), cela représente quasiment un doublement des effectifs.
Si la tendance du premier semestre devait se confirmer durant la seconde moitié de l’année, l’UE pourrait donc accueillir cette année près de 240 000 Syriens.
Bien que ces chiffres soient significatifs, un bémol doit être apporté à la couverture des médias qui donnent parfois l’impression d’une “invasion” de l’UE par les Syriens.
Ainsi, sur la période 2011-2014, les Syriens ne représentaient “que” 13 % du total des réfugiés accueillis par l’Europe, même si sur l’année 2014 seule, ce pourcentage s’élevait à 21 %.
Par ailleurs, le flot de Syriens vers l’UE est aussi aligné sur une augmentation plus générale des flux vers l’UE. De 2011 à 2014, en excluant les Syriens, le nombre de demandes d’asile dans les pays de l’UE a augmenté de 72 %, passant de 257 185 à 444 345, toujours selon les données d’Eurostat.

Où se trouvent la plupart des réfugiés syriens ?
Un nombre bien plus significatif de Syriens ont trouvé refuge au Moyen-Orient.
Selon les données du HCR, plus de 4 millions de Syriens étaient enregistrés comme réfugiés en septembre 2015 en Turquie, au Liban, en Jordanie, en Irak, en Égypte et au Maghreb. En nombre brut, c’est la Turquie qui en a accueilli le plus grand nombre (1,9 million) suivie du Liban (1,1 million) et de la Jordanie (629 000).

Pourquoi maintenant et d’où partent les réfugiés ?
Bien que la fuite des Syriens vers l’Union européenne ne date pas de ces dernières semaines, une accélération claire s’est produite depuis le début de l’été.
Par ailleurs, alors que la grande majorité des réfugiés qui ont quitté leur pays depuis quatre ans a cherché à fuir les bombardements du régime, depuis plusieurs mois, la vague de départs touche aussi les régions contrôlées par le régime.
Dans celles-ci, les deux principaux facteurs de départ sont la fuite de la conscription ainsi que la situation socio-économique qui ne cesse de se détériorer. À cela s’ajoute une perte d’espoir d’une fin rapide du conflit chez la population ainsi que l’effet d’opportunité créé par l’impression d’un relâchement relatif des règles strictes d’accueil habituellement imposées par les pays riches, l’UE en tête.
Avec sa stabilité politique mais surtout la gratuité d’une grande partie des services publics, y compris la santé et l’éducation, l’UE donne l’espoir à ces réfugiés de bénéficier d’un répit relatif avant l’entrée des enfants dans la vie active qui peut prendre plusieurs années.
Cette ouverture relative de l’Union européenne se combine à un durcissement des conditions de résidence et de travail dans les pays d’accueil frontaliers – le Liban a ainsi imposé des conditions plus strictes d’entrée sur son territoire ainsi que de séjour depuis janvier 2015.

Fuite de la conscription et dégradation de la situation socio-économique
Alors qu’en apparence l’État syrien continue de fonctionner, que les salaires sont payés, que les enfants se rendent à l’école et qu’on trouve toujours des fruits et des légumes dans les marchés, en pratique, la situation socio-économique se détériore très rapidement.
Après un certain répit en 2014, le taux officiel de l’inflation a recommencé à augmenter assez rapidement depuis le début de l’année, passant de 17 % en taux annuel en décembre 2014 à 40 % en mai dernier – la hausse réelle des prix est probablement plus élevée encore. En même temps, la monnaie syrienne continue de perdre de sa valeur sur le marché des changes renchérissant le prix des importations. Le dollar, qui s’achetait à 210 livres syriennes sur le marché noir au début de cette année, s’échangeait à 340 livres à la mi-septembre.
Le pouvoir d’achat s’est donc effondré, les coupures d’électricité et d’eau sont de plus en plus longues, l’épargne est épuisée alors que l’aide humanitaire fournie par les organisations internationales ne cesse de baisser.
La conscription est l’autre facteur important de départ dans les régions tenues par le régime. Les familles syriennes ne veulent plus envoyer leurs fils se battre dans une guerre sans issue et depuis le début de l’année plusieurs mouvements de protestation contre l’enrôlement des jeunes hommes ont eu lieu dans les provinces côtières de Lattaquié et Tartous ainsi qu’à Soueida.

Des bus quotidiens vers l’Europe
Selon plusieurs sources à Damas contactées début septembre, de nombreux bus remplis de jeunes hommes quittent dorénavant tous les jours la capitale syrienne et ses banlieues en direction de Tripoli d’où ces hommes embarquent vers la Turquie avec le but de se rendre en Allemagne ou un autre pays de l’Union européenne. Au rythme actuel du conflit, le flux de Syriens vers l’UE ne semble pas près de tarir.