Malgré une légère amélioration au niveau du secteur touristique, le bilan de l’année 2017 pour l’économie réelle reste globalement morose, pour la huitième année consécutive. Aux niveaux monétaire et financier, le Liban a une nouvelle fois évité le pire.

Depuis le début de la guerre en Syrie, l’économie libanaise est en panne. La croissance réelle du PIB vacille depuis 2011 entre 0,8 et 2,8 %, contre un taux de 8 à 10 % entre 2007 et 2010. La tendance ne s’est pas démentie en 2017, avec une croissance estimée par le Fonds monétaire international (FMI) à 1,5 %. Pour sa part, la Banque mondiale place le curseur à 2 % en 2017, un taux identique à celui de 2016. Ces deux institutions lient étroitement la conjoncture libanaise à celle de la Syrie, considérant qu’une éventuelle reprise est tributaire de l’amélioration – ou pas – de la situation en Syrie.
Au niveau local, l’année 2017 a été « politiquement capricieuse », rappelle la Banque mondiale dans son dernier rapport sur le Liban. Elle a commencé avec « beaucoup d’optimisme découlant de l’élection du président Michel Aoun et de l’adoption d’une série de réformes longtemps bloquées », pour se terminer dans l’affolement, avec la démission du Premier ministre Saad Hariri en novembre à partir de Riyad, en Arabie saoudite.

Moteurs de croissance

L’accalmie politique durant les premiers mois de l’année a principalement bénéficié au secteur du tourisme, qui a enregistré sa meilleure performance depuis 2010 (voir par ailleurs). L’autre moteur traditionnel de la croissance libanaise, le secteur immobilier, en revanche, est loin d’avoir retrouvé des couleurs (voir par ailleurs), malgré l’appui de la Banque du Liban. Celle-ci a en effet continué à soutenir la demande en subventionnant les prêts immobiliers. Selon le président de l’Association des banques, Joseph Torbey, les banques ont octroyé 6 000 prêts logement en 2017, portant le portefeuille total à environ 13 milliards de dollars, dont “la plupart” sont subventionnés.
Quant aux autres crédits subventionnés, destinés au secteur productif (industrie, tourisme et agriculture), ils ont totalisé 7,13 milliards de dollars de 1997 à fin septembre 2017. Malgré ces subventions, les secteurs productifs ont continué à souffrir du manque structurel de compétitivité et d’une mauvaise conjoncture régionale. Signe du malaise croissant, les garanties de prêts octroyés par Kafalat à ces deux secteurs ont baissé respectivement de 17,3 % et de 36 % par rapport à 2016. Autre indicateur des difficultés des secteurs primaire et secondaire : la chute des exportations. Après avoir baissé de 6 % en 2015 et de 3,2 % en 2016, les exportations agricoles ont reculé de 3,3 % en 2017, tandis que les exportations industrielles ont baissé de 4,5 % par rapport à 2016 (contre une augmentation de 1,1 % l’année précédente).
Les importations agricoles et industrielles en revanche ont augmenté respectivement de 35,1 et 9,3 %, reflétant en partie la hausse des prix à l’international, notamment des matières premières. Cette inflation importée, combinée à la hausse des salaires dans la fonction publique en septembre, a d’ailleurs permis au Liban de sortir de deux années de déflation. Avec une hausse de l’indice des prix de l'Administration centrale de la statistique (ACS) de 4,5 % en 2017, le Liban a renoué avec l’inflation, après une baisse des prix de 3,8 % et de 0,8 % les années précédentes. Une performance saluée par certains économistes qui craignaient une spirale déflationniste. « Le Liban n'en était pas encore à ce stade, mais il est quand même rassurant que l’inflation soit à nouveau positive, sans être excessivement élevée », a notamment commenté l’économiste Marwan Iskandar.


Le retour de l’inflation

Mais la hausse des prix des matières premières a aussi augmenté la valeur des importations. Les importations ont coûté 23,1 milliards de dollars en 2017, contre 18,7 milliards de dollars un an plus tôt. Une partie de cette hausse s’explique toutefois par un retard dans l’enregistrement des déclarations douanières de cargaisons de carburant qui ont gonflé le montant de 2017.
Le Liban n’ayant exporté que l’équivalent de 2,8 milliards de dollars en 2017 (-4,4 % par rapport à 2016) – son plus faible montant depuis 2007 –, le déficit commercial s’est creusé de 29 % par rapport à l’année précédente. Le trou de la balance commerciale est passé de 15,7 milliards de dollars en 2016 à 20,3 milliards de dollars en 2017 et le taux de couverture (ratio exportations/importations) est tombé à 12,3 %, contre 15,9 % en 2016. « Le Liban a toujours été un pays structurellement déficitaire au niveau du solde commercial, mais vers la moitié des années 70, à la veille de la guerre civile, on couvrait 40 à 45 % de nos importations grâce aux exportations. Les politiques menées après la guerre, qui ont renforcé les activités de rentes au détriment des secteurs productifs, ont renforcé le déséquilibre », rappelle l’économiste Kamal Hamdan.
Dans son rapport annuel, la Bank Audi explique que la hausse importante du déficit commercial est à l’origine du déficit de la balance des paiements, qui s’est élevé à 156 millions de dollars en 2017, contre un excédent de 1,2 milliard de dollars en 2016. Selon le FMI, le déficit du compte courant, qui inclut l’ensemble des transactions menées entre le Liban et l’extérieur, a représenté 20 % du PIB en 2017. Ce déficit est d’autant plus inquiétant qu’il est combiné à un déficit public important.

Les transferts à l’EDL en hausse de 43,2 %

Les transferts à Électricité du Liban ont augmenté de 43,2 % pour atteindre 1,33 milliard de dollars en 2017 à cause de la hausse du prix du pétrole. Ce poste représente à lui seul 8,6 % des dépenses publiques en 2017. Selon un rapport élaboré par le bureau du président de la République et distribué en Conseil des ministres, le déficit cumulé du secteur de l’électricité entre 1992 et 2017 a atteint « 32 milliards de dollars » (entre montant des subventions au secteur et intérêt calculé sur une base moyenne de 6,8 %). Selon ce document, EDL produit 1 800 mégawatts (MW), importe 115 MW de Syrie et loue deux navires-centrales qui produisent 385 MW de plus – le Orhan Bey et le Fatmagül Sultan – à l’opérateur turc Karadeniz depuis 2012, alors que la demande a atteint un pic de 3 450 MW en août 2017. La présidence affirme que la production d’électricité coûte au pays 3,35 milliards de dollars par an, dont « 39 % » de transferts, « 26 % » de factures des usagers à EDL et « 35 % » payés aux propriétaires de générateurs. Elle rappelle que le prix de l’électricité est indexé depuis les années 1990 sur un baril de pétrole à 24 dollars, alors que ce dernier se négocie actuellement à 65 dollars. Ainsi, le kilowattheure est-il facturé à 9 cents de dollars aux abonnés d’EDL pour un coût réel moyen de 16,5 cents au kilowattheure, selon le rapport.

Premier budget depuis 2005

Le Liban a voté en 2017 son premier budget depuis 2005. Adopté en octobre alors qu’une grande partie des dépenses avaient déjà été réalisées, et sans clôture des comptes budgétaires des années précédentes, ce budget tablait sur un déficit de 4,97 milliards de dollars en 2017. Selon les chiffres publiés récemment par le ministre des Finances, le déficit de l’État s’est finalement établi à 3,76 milliards de dollars, en baisse de 24 % par rapport à 2016. Cette amélioration ne s’inscrit toutefois pas dans une tendance de fonds, s’expliquant surtout par les impôts sur les bénéfices exceptionnels réalisés par les banques en 2017 grâce à l’ingénierie financière de la Banque du Liban, débutée mi-2016.
Quant aux mesures fiscales adoptées en 2017, elles visent à couvrir le coût annuel de la révision des grilles des salaires. Pour l’économiste Kamal Hamdan, deux mesures devraient toutefois permettre d’augmenter les recettes à terme et d’élargir l’assiette fiscale : l’introduction d’un impôt sur la plus-value immobilière réalisée par les particuliers et l’augmentation des taxes sur les taux d’intérêt de 5 à 7 %.
Mais ces mesures sont jugées insuffisantes pour résorber le déficit public et placer la dette publique sur une trajectoire viable.
À l’issue de ses consultations annuelles avec les autorités libanaises début 2018, le FMI a d’ailleurs lancé la sonnette d’alarme. « Les autorités ont obtenu des résultats significatifs ces derniers mois, notamment en s’accordant sur le premier budget en octobre 2017, le premier en douze ans. Cependant, la situation économique reste fragile à cause d’une croissance lente et prolongée, d’une dette publique qui dépasse 150 % du PIB et d’un déficit du compte courant à plus de 20 % du PIB. » Dans cette même note, le FMI met en garde contre un scénario où la dette publique atteindrait 180 % du PIB à l’horizon 2023, une situation grave et insoutenable à laquelle aboutira le Liban si aucun ajustement n’avait lieu.
Les inquiétudes du FMI sont notamment alimentées par le ralentissement de la croissance des dépôts bancaires (voir par ailleurs) qui pourrait menacer la capacité du pays à financer ses déficits et à maintenir son taux de change. Dans ce contexte, la Banque centrale a mené plusieurs opérations financières en 2017 pour doper ses réserves en devises. « Si le Liban réussissait à amorcer une baisse de son déficit public, la Banque centrale n'aurait pas besoin de ce type d'opérations non conventionnelles », avait expliqué à l’époque le gouverneur de la BDL, Riad Salamé.
En novembre, la Banque centrale a été confrontée à une situation encore plus difficile. La démission du Premier ministre – sur laquelle il est ensuite revenu – a fait souffler un vent de panique et entraîné des retraits de dépôts auprès des banques. Selon Bank Audi, l’équivalent de 2,9 milliards de dollars ont été convertis de la livre libanaise en dollars durant le mois de novembre, contraignant la Banque centrale à puiser dans ses réserves en devises pour répondre à la demande. Ces dernières ont baissé de 43 milliards de dollars avant la crise à 41,9 milliards de dollars fin novembre, avant de remonter à 42 milliards de dollars à la fin de l’année, affichant une hausse de 3,2 % par rapport à 2016.
Pour attirer des dollars dans les banques libanaises, la BDL les a encouragées à augmenter les taux d’intérêt. En fin d’année, les nouveaux dépôts en livres libanaises étaient rémunérés à 6,41 % en moyenne (taux le plus élevé depuis 2010), tandis que ceux en dollars recevaient 3,89 % en moyenne (taux le plus élevé depuis 2008). Ces mesures ont « contribué à absorber le choc » induit par la démission du Premier ministre, se félicite la Bank Audi. Le FMI souligne toutefois que « les opérations financières de la BDL ont augmenté les risques dans le système (exposition souveraine, taux d'intérêt et risques de liquidité, dollarisation) ».

Le dossier des hydrocarbures suscite les espoirs

L’année 2017 a été l’année de la relance du dossier des hydrocarbures offshore. Le processus d’attribution des contrats d’exploration et d’exploitation, qui butait sur l’adoption de deux décrets indispensables pour la présentation des offres depuis 2013, a été dernièrement réactivé, et un appel d’offres a été lancé pour les blocs 4 et 9. Les deux contrats ont été attribués fin décembre à un même consortium formé par les compagnies française Total, italienne Eni et russe Novatek. Les premiers forages sont prévus en 2019. Dans son rapport annuel, Bank Audi estime que ce secteur pourrait rapporter au Liban plus de 200 milliards de dollars au total, soit près de deux fois et demi le montant actuel de la dette publique. La banque se base sur une estimation de réserves de 96 TCF (mille milliards de pieds cubes) et une production totale de 865 millions de barils de pétrole. « Le déficit public devrait se transformer en un surplus cinq ans après le début de la phase d’extraction », réduisant par la même occasion le ratio dette publique/PIB à moins de 100 %, poursuit la banque, en ajoutant que ces ressources, une fois exploitées, vont booster de 30 % la croissance du PIB.
Ces projections sont toutefois contestées par les experts, qui rappellent qu’à ce stade le Liban n’a aucune garantie que des gisements commercialement exploitables seront découverts, encore moins dans les proportions indiquées, et que même si tel est le cas, le secteur ne commencera pas à générer des revenus à l’État avant au moins sept ans.
De son côté, l’économiste Kamal Hamdan souligne que la découverte de gisements commercialement exploitables serait bénéfique pour le Liban, avant même le début de la production. « Avant son extraction, le gaz serait déjà considéré comme un actif potentiel. Cela aiderait l’État dans ses négociations avec les créanciers étrangers et nationaux (une sorte de garantie) pour l’obtention de crédits, et devrait permettre d’attirer davantage d’investissements étrangers. » Kamal Hamdan, tout comme la directrice exécutive de l’Initiative libanaise pour le pétrole et le gaz (Logi), Diana Kaissy, insistent toutefois sur la nécessité d’adopter un cadre juridique adéquat pour la bonne gestion des éventuels revenus futurs. Et ce afin « d’éviter la “malédiction des ressources” qui frappe un grand nombre de pays ayant découvert des ressources pétrolières ou minières », souligne Kaissy.