Pour les visioconférences, Samir el-Zein préfère utiliser sa propre application plutôt que WhatsApp. Le téléchargement dure quelques minutes, il décroche et fait visiter ses bureaux, en plein cœur de Tripoli. Les employés, habitués, saluent via la caméra.

El-Zein est aujourd’hui à la tête de Neotic.ai, une fintech 100 % libanaise qui promet de changer notre rapport aux marchés financiers grâce à l’intelligence artificielle.

Après des études de chimie et de physique au Liban, ce natif de Tripoli, major de sa promo, obtient une bourse pour poursuivre son parcours en doctorat à l’École normale supérieure (ENS) de Lyon où il se spécialise en simulations informatiques. Après son diplôme, il continue dans le monde de la recherche en Allemagne, puis aux États-Unis.

En parallèle il se passionne pour la bourse et les marchés financiers. Il suit des formations en ligne, place un peu d’argent pour lui et ses proches. Un jour, l’un de ses amis de l’ENS lui fait remarquer qu’il pourrait gagner beaucoup d’argent s’il arrivait à appliquer les résultats de ses travaux en simulations au secteur de la finance.

L’idée fait son chemin et se concrétise presque en 2010 avec un fonds de couverture basé à Paris, mais son ami décède précipitamment et le projet est avorté. En 2012, Samir el-Zein qui est alors aux États-Unis fait le choix de rentrer au Liban.

« C’était en partie pour des raisons familiales mais aussi parce que lancer une entreprise aux États-Unis aurait été compliqué en termes de visas et trop coûteux », dit-il.

De retour à Tripoli, il commence à travailler sur sa start-up, comme il misait en bourse, depuis sa chambre. « J’ai fait beaucoup d’erreurs. Je ne savais pas comment monter une entreprise, et je me suis aussi beaucoup trompé dans les algorithmes », se souvient-il. Ses efforts lui permettent de mettre en ligne une première version de Neotic.ai. La plate-forme utilise des techniques d’intelligence artificielle pour tester des stratégies d’investissement en bourse.

Malgré un caractère assez timide, il comprend tout de suite l’importance du réseau. Il tisse des liens avec un agent de change qui lui présente un premier investisseur potentiel issu du milieu de la banque. La mayonnaise prend tout de suite. L’investisseur emballé lui en présente un autre, qui lui en présente un troisième. À eux trois, ils acceptent de prendre le risque de soutenir Neotic.ai, pour un montant non communiqué.

Au même moment Samir el-Zein est accepté pour le programme d’incubation Speed@BDD. La structure se développe, le chercheur revêt le costume d’entrepreneur. Un an après sa sortie de l’incubateur, Neotic.ai a garanti 100 000 dollars d’investissement auprès d’un fonds d’investissement libanais et est en pourparlers avec trois autres pour 200 000 dollars supplémentaires. Cet argent devrait permettre à l’équipe de s’agrandir et de dégager un budget marketing.

Neotic.ai mise aujourd’hui sur deux marchés cibles : les particuliers et les institutions. Aux particuliers, l’intelligence artificielle permet de tester leurs intuitions d’investissement sur une base de données historiques. Ils peuvent tester en temps réel en bourse et s’ils sont convaincus miser de l’argent. Ce service est facturé environ 400 dollars par personne et par an. Pour les institutionnels, il s’agit d’ajouter de l’intelligence artificielle à leurs dispositifs de prise de décision stratégique et les contrats se négocient au cas par cas.

Le plate-forme a plus de 350 utilisateurs et des clients aussi bien au Liban que dans le Golfe où plusieurs contrats business to business sont en cours de finalisation.

Malgré un succès très rapide, Samir el-Zein ne souhaite pas quitter Tripoli. « Les coûts sont moins élevés, je peux tout faire à distance ou en me déplaçant à Beyrouth une fois par semaine », dit-il. Ce dont il est fier c’est aussi de créer de l’emploi localement. « Il y a du talent dans notre région, beaucoup de gens qui reviennent des pays du Golfe mais pas seulement. Pour travailler à Neotic.ai, il suffit d’avoir un bon niveau de maths, ensuite, on apprend », sourit-il.