Inauguré fin juin, l’établissement cinq étoiles bénéficie d’un accès direct à la plage de Ramlet el-Baïda, une localisation, sur l’une des dernières étendues publiques de Beyrouth, qui lui vaut d’être au cœur d’une vaste polémique.

L'hôtel Lancaster Eden Bay, à Ramlet el Baïda
L'hôtel Lancaster Eden Bay, à Ramlet el Baïda Crédits: D.R.

En construction depuis bientôt deux ans, le Lancaster Eden Bay a ouvert ses portes fin juin à Ramlet el-Baïda, à Beyrouth. Depuis l’épuré mais luxueux hall d’entrée de l’hôtel, le regard du visiteur est immédiatement happé par l’étendue de la mer à perte de vue et, à quelques mètres à peine, sa plage de sable fin occupée par plusieurs rangées bien ordonnées de chaises longues.


De ce décor idyllique, les propriétaires entendent faire un atout de charme pour séduire les clients. «À la différence de nos concurrents directs sur la côte, le Mövenpick et le Kempisky, toutes nos chambres ont vue sur mer», se félicite Bilal Arnaout, directeur général de la chaîne d’hôtels Lancaster, détenue par le groupe libanais Achour Holding de l’entrepreneur Wissam Achour.


Mais cette localisation privilégiée, sur la dernière plage encore ouverte au public dans la capitale, lui vaut d’être au cœur d’une vaste polémique. Dès le début du chantier, de nombreux activistes et ONG ont dénoncé les passe-droits obtenus par Achour Holding afin de maximiser la taille de ce complexe privé et de l’édifier au plus près du bord de mer, privant les Beyrouthins d’une partie de leur plage. Une plainte a même été déposée par l’ONG Greenline, soutenue par l’ONG Legal Agenda, devant le Conseil d’État.


Mais le verdict n’a toujours pas été rendu et la construction s’est poursuivie jusqu’à l’inauguration en grande pompe le 25 juin dernier, malgré la mobilisation, ce soir-là, de quelques activistes. Ces derniers poursuivent désormais leur croisade contre le projet sur les réseaux sociaux et plates-formes de réservation en ligne. «Nous ne lâcherons rien», fulmine Mona Fawaz, professeure d’urbanisme à l’Université américaine de Beyrouth, qui a suivi de près la construction du bâtiment.


Face à cette mauvaise publicité, la direction de l’hôtel – un projet qui a nécessité un investissement de plus de 100 millions de dollars selon le site businessnews.com – affiche sa sérénité. « Les premiers jours, notre taux de remplissage était d’un peu plus de 25 %, mais nous prévoyons au mois d’août un taux d’occupation entre 55 et 70 % », projette Bilal Arnaout, sachant que le taux d’occupation moyen des hôtels quatre et cinq étoiles de Beyrouth s’est élevé à 64 % en 2017, selon le cabinet de conseil Ernst & Young. Avec 144 chambres et 22 suites, et un prix autour de 300 dollars la chambre double, «nous espérons attirer une clientèle étrangère mais aussi locale ; le tourisme interne est assez développé durant l’été», ajoute le directeur général.


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Les détracteurs du projet promettent toutefois de poursuivre leur combat jusqu’à obtenir sa démolition aux frais du propriétaire, en invoquant les irrégularités dans la demande de permis de construire présentée par le groupe et validée par les autorités.


Surface constructible multipliée par cinq


Sur les quatre parcelles d’un total de 5 100 m² que Wissam Achour rachète en 2014 à la famille Agha pour construire le Lancaster Eden Bay, « deux seulement étaient constructibles », explique notamment Cynthia Bouaoun, architecte et membre de l’ONG Nahnoo. L’inconstructibilité des deux autres parcelles reposait sur un ancien contrat entre copropriétaires qui souhaitaient se préserver mutuellement la vue sur la mer. « Sans la tenue d’aucun procès, le nouveau propriétaire est parvenu à lever cette contrainte et à obtenir l’union cadastrale de ces quatre parcelles pour des terrains soumis à des servitudes différentes, ce qui est contraire à la loi sur l’urbanisme », ajoute Cynthia Bouaoun.


Par ailleurs, «la superficie sur la base de laquelle a été calculé le coefficient d’exploitation du Lancaster Eden Bay était en fait celle du projet bien plus grand envisagé initialement par le groupe», remarque Mona Fawaz. Au départ, Achour Holding avait en effet prévu un projet beaucoup plus vaste, l’Eden Rock Resort, avec des appartements privés en plus et une marina temporaire sur une superficie totale de 23 000 m².


Selon Cynthia Bouaoun, les plans topographiques présentés au moment de la demande de permis sont également incorrects. «Ils ont prétendu que l’hôtel se trouvait à huit mètres au-dessus du niveau de la mer, alors que les plans de l’armée montrent qu’il n’y a qu’un mètre et demi», commente-t-elle. Cette différence a permis de qualifier deux étages en sous-sols, les retirant du calcul du coefficient d’exploitation total.


En comptant toutes les infractions, Nahnoo estime que l’hôtel a multiplié par cinq sa surface constructible. Un rapport présenté en juillet 2017 par le président de l’ordre des ingénieurs et des architectes, Jad Tabet, fait également état de ces anomalies.


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De son côté, le groupe Achour Holding se défend de ces accusations. «La construction du Lancaster Eden Bay a été autorisée par les autorités administratives de l’État, la municipalité de Beyrouth ainsi que le département d’ingénierie de la municipalité», insiste Manal el-Dana, directrice de la communication de Achour Holding.


De surcroît, le directeur de l’hôtel, Bilal Arnaout, souligne que le «bâtiment ne fait que sept étages, ce qui n’est pas particulièrement élevé», assurant par ailleurs «qu’aucune nouvelle construction n’est à prévoir sur ces terrains».


Les pieds dans l’eau





Outre la taille de l’édifice, les associations lui reprochent sa proximité au rivage. «Les régulations urbaines adoptées dans les années 60 imposent une distance de 16 à 20 mètres par rapport au domaine maritime public, qui s’arrête à l’endroit où monte la plus haute vague en hiver», ajoute Mona Fawaz. Or, la Direction générale de l’urbanisme a accepté une réduction exceptionnelle de cette distance à deux mètres. Durant la construction de l’hôtel, des photos montrent effectivement des vagues déferlant jusque sur le chantier.


En ce qui concerne ce qu’il reste de la portion de plage de Ramlet el-Baïda devant l’hôtel, elle est aujourd’hui occupée par des transats et du matériel de plage, «ce qui est aussi illégal, puisque le groupe n’a pas obtenu l’autorisation par décret du Conseil des ministres», dénonce Mona Fawaz.

À cet égard, Bilal Arnaout assure ne pas monopoliser la plage – « nous avons donné pour consigne à nos agents de sécurité de laisser passer les promeneurs » – et se réjouit même d’avoir contribué à l’assainir. «D’après nos derniers tests, la qualité de l’eau s’est considérablement améliorée», affirme-t-il. Et pour cause, l’hôtel est parvenu, quelques jours avant son inauguration, à obtenir de la municipalité de Beyrouth la déviation du conduit d’évacuation qui déversait jusqu’alors ses eaux usées dans la mer à l’endroit exact du complexe touristique. Un privilège qui n’avait pas été accordé aux nombreuses familles beyrouthines qui s’y sont baignées pendant des années.


Les hôtels Lancaster en chiffres :


- Cinq hôtels : le Lancaster Plaza Beirut, le Lancaster Hotel Raouché, le Lancaster Suites Raouché, le Lancaster Tamar Hotel et le Lancaster Eden Bay.
- 35 % des revenus du groupe Achour Holding, dont les activités s’étendent également dans le BTP, la location de voitures ou encore la restauration.
- Près de 1 000 employés, sur les 1 500 du groupe, dont 200 sur le site du nouveau Lancaster Eden Bay.