Après la rénovation du prestigieux Hôtel de Crillon à Paris en 2014, Aline Asmar d'Amman se lance un nouveau défi : réinventer l'intérieur du restaurant gastronomique de la tour Eiffel, le Jules Verne.

L'architecte libanaise Aline Asmar d'Amman réinvente l'intérieur du Jules Verne, le restaurant gastronomique de la tour Eiffel.
L'architecte libanaise Aline Asmar d'Amman réinvente l'intérieur du Jules Verne, le restaurant gastronomique de la tour Eiffel.

Pas un détail ne lui échappe. À peine entrée dans « les appartements Karl Lagerfeld » du mythique hôtel Crillon, à Paris, Aline Asmar d’Amman remarque que les cols de cygne sur lesquels s’enroulent les rideaux, qui donnent sur la place de la Concorde sont trop visibles.

«On doit ressentir le drapé d’une robe de haute couture qui tombe», observe-t-elle. Illico, un garçon d’hôtel monte pour rectifier le tir. Téléphone à la main, elle photographie ce détail pour qu’il soit reproduit dans toutes les pièces de la suite de 400 m² que le célèbre couturier français a conçue.

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Elle l’a épaulé, dans le cadre de la rénovation du palais historique dessiné en 1758 par l’architecte Ange-Jacques Gabriel à la demande du roi Louis XV.

En 2014, le prince saoudien Metib ben Abdallah ben Abdulaziz al-Saoud, propriétaire de l’hôtel depuis 2010, a en effet confié à Aline Asmar d’Amman – qui a déjà réalisé pour son compte des projets résidentiels à Beyrouth et à Riyad – la décoration des salons historiques et de certaines suites signature de l’hôtel.

Les travaux sont estimés à 200 millions de dollars.

Allier charme de l’ancien et de la modernité

Un projet dans lequel elle s’est lancée avec passion. «J’ai souhaité insuffler de la modernité tout en conservant l’identité patrimoniale du bâtiment. L’idée était de se faire rencontrer le XVIIIe et le XXIe siècle, en instillant à l’hôtel un esprit de résidence privée, typique du chic parisien.»

Avant d’imposer sa patte à l’hôtel de Crillon, Aline Asmar d’Amman a fait ses classes entre 1999 et 2004 en travaillant pour l’architecte et designer français Jean-Michel Wilmotte, à l’origine du concept de “greffe contemporaine” dont l’objectif est de créer une synergie entre le patrimoine et l’architecture moderne.

Suite à cette expérience, elle participe à de nombreuses conférences à travers le monde sur le thème de l’architecture française de luxe, réalise des projets privés à Courchevel, aux États-Unis, ou philanthropiques au Bahreïn, au cours desquels elle se rapproche de cheikha Mai al-Khalifa, ministre de la Culture et de l'Information de l’émirat.


L'architecte libanaise a également travaillé à repenser les appartements de Karl Lagerfeld de l'hôtel de Crillon à Paris


Finalement, en 2011, elle décide de lancer son propre studio d’architecte, baptisé Culture in architecture, avec des bureaux à Hazmié et à Paris.

Sa vie se partage principalement entre les deux capitales et la Suisse, où vivent son mari et ses deux enfants. Une partie de sa famille s’est exilée aux États-Unis, mais ses parents – son père est industriel dans le secteur de l’aluminium – sont restés au Liban.

Le nouveau défi du Jules Verne

Sa petite entreprise emploie une dizaine de salariés, en majorité des femmes. «Le milieu de l’architecture reste très masculin, et je veux donner la part belle aux femmes qui sont compétentes.»

C’est justement en défendant un projet “ultraféminin” qu’elle a remporté, au mois d’août, pour le compte du groupe Sodexo, le concours destiné à repenser le Jules Verne, le restaurant gastronomique situé au second étage de la “Dame de fer”.

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Le groupe français, leader mondial de la restauration collective, a décidé de l’associer au chef Frédéric Anton, triplement étoilé au guide Michelin pour décrocher l’appel d’offres passé par la SETE, la société d’exploitation de la tour Eiffel. La compagnie renouvelle tous les dix ans la concession de ses trois restaurants. Frédéric Anton a été également associé au médiatique chef Thierry Marx lors du concours. Au terme d’une véritable “guerre des étoiles”, le chef Alain Ducasse, qui concourait pour le compte de la société Elior, a été détrôné.


Bio express

. Née en 1975 au Liban, Aline Asmar d’Amman est diplômée de l’Académie libanaise des beaux-arts.

. Major de sa promotion, elle remporte en 1998 le prix du ministère de la Culture et celui de l’ordre des ingénieurs et des architectes à Beyrouth pour un projet sur un centre de méditation et de rencontres de toutes les religions à Aqfa. Ce prix lui permet d’entrer au cabinet d’architectes de Jean-Michel Wilmotte, avec lequel elle travaille sur différents projets à New York ou au Liban, comme la rénovation du musée Sursock.

. En 2011, elle fonde son propre studio, “Culture et architecture”.

. Deux ans plus tard prend la direction artistique de la rénovation de l’hôtel de Crillon. À la fin de ce projet, elle participe à un concours interne à Sodexo pour réimaginer le restaurant gastronomique Jules Verne, à la tour Eiffel. Elle le remporte, et Sodexo, un an plus tard, gagne l’appel d’offres.

. En parallèle, elle collabore à la première ligne de mobilier d’art de Karl Lagerfeld, “Architectures”, avec lequel elle a créé une relation complice. La collection est exposée jusqu’en décembre à Paris. 

L’enjeu est de taille : le chiffre d’affaires annuel du restaurant Jules Verne représentait 17,3 millions de dollars en 2016, dont une partie revient à la mairie de Paris sous la forme de redevance. Emmanuel Macron et Donald Trump y ont dîné le 14 juillet l’année dernière. «Dans cette rénovation, j’ai cherché à trouver un équilibre entre l’aspect brut de la tour Eiffel et le précieux, le raffiné, à l’instar des créations culinaires de Frédéric Anton. L’idée est de mettre l’accent sur tous les détails industriels de la tour Eiffel tout en les magnifiant. Je veux rendre hommage à l’esprit de son créateur et de l’époque : de l’audace conceptuelle mêlée à une certaine irrévérence.»

L’architecte libanaise planche sur le projet depuis plus d’un an avec un gros challenge : réaliser des travaux en quatre mois environ, puisque les réservations seront prises à partir du mois de mai 2019. 

Cela ne lui fait pas peur. «L’audace est dans l’ADN libanais. J’ai hérité de mon pays ce sentiment que tout est possible. Et que les plus belles choses sont celles que l’on n’a pas encore faites !»