C’est la fin d’une aventure pour les fondateurs de la Société Amer et Frères (SAF), les Ivoiro-Libanais Ali Lakiss, Adnan et Ahmad Amer.

Simple intermédiaire de brousse à ses débuts, il y a près de 30 ans, SAF Cacao était devenu le roi du cacao ivoirien après l’américain Cargill, le n° 1 local, et a contribué à plus de 3,5 milliards de dollars (2 000 milliards de francs CFA) de recettes fiscales et douanières. À son heure de gloire, SAF Cacao commercialisait 10 % du total de la production ivoirienne estimée alors à deux millions de tonnes.

Mais l’histoire de ces Libanais, originaires du village de Cana, installés en Côte d’Ivoire dans le sillage de leur père, alors qu’ils n’étaient que des enfants, a tourné court à partir de 2016. Cette année-là, le cours du cacao ivoirien dévisse du fait d’une récolte surabondante. En l’espace de quelques mois, la matière perd 40 % de sa valeur.

Ce retournement de marché, SAF Cacao ne l’avait pas vu venir : l’entreprise avait même parié sur le phénomène contraire, une ascension continue des cours. Le courtier n'avait pas, du coup, fixé ses prix pour se prémunir. Cette spéculation que les autorités du Conseil café cacao (CCC) ivoirien, gendarme du secteur, ont ensuite dénoncée n’a rien d’exceptionnel parmi les petits intermédiaires ivoiriens. Le problème ? Quand on commercialise plus de 180 000 tonnes de fèves à l’année, comme c’était le cas de SAF Cacao, les pertes se chiffrent en millions de dollars. En l’occurrence, quelque 266 millions de dollars (154,5 milliards de francs CFA) que l’entreprise, incapable de rembourser, doit aux banques du pays et auxquels s’ajoutent une dette de 124 millions de dollars (72 milliards de francs CFA) contractée auprès du CCC.

Mais SAF Cacao a aussi joué de malchances : cotés en livres sterling à la Bourse de Londres, les cours du cacao ont subi de plein fouet l’effet combiné de la crise du Brexit et de la surproduction, qui a fait chuter la livre sterling, réduisant du même coup la valeur des opérations en francs CFA. Enfin, l'un des principaux clients de SAF, le broyeur américain Transmar, a fait faillite...

En liquidation judiciaire depuis cet été, SAF Cacao a reçu fin novembre une offre d’achat de la Société africaine café cacao (SACC), une modeste coopérative présidée par Nicolas Djibo, le maire de la commune de Bouaké, la deuxième grande ville de Côte d’Ivoire.

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Les intentions de SACC ont été présentées aux créanciers bancaires les 4 et 5 décembre à Abidjan. « Dans notre grande majorité, nous avons accepté cette offre. SACC a promis s’appuyer sur l’expertise des anciens actionnaires pour relancer les activités. Nous n’avions pas de choix, car tant que la procédure judiciaire est en cours, il est difficile d’avoir des majors comme repreneurs », explique une source bancaire d’Abidjan, proche du dossier.

L’offre de SACC porte sur une mise de 252,3 millions de dollars (145 milliards de francs CFA) pour la reprise de l’ensemble des activités du courtier ivoirien, dont Choco-Ivoire, l’unité de broyage et de transformation du groupe, qui n’est jamais parvenue à décoller.

Les nouveaux repreneurs promettent d’injecter immédiatement 26 millions de dollars (15 milliards de francs CFA) au titre du fonds de roulement pour permettre à l’entreprise de poursuivre les activités et propose une échéance sur dix ans pour le règlement de la dette bancaire.

L’offre de SACC met fin à plusieurs mois de tergiversation : le groupe Prime, emmené par le Marocain Karim Bouhout, avait promis un temps de racheter SAF Cacao pour presque 340 millions de dollars (environ 195 milliards de francs CFA) dont 70 millions de dollars (40 milliards de francs CFA) de fonds de roulement. Mais l’offre n’avait ensuite pas été suivie d’effets.

Pour la Côte d’Ivoire, la chute de ce géant local de la filière du café cacao est un vrai coup dur : elle renforce la mise à l’écart progressif des Ivoiriens du secteur au profit des multinationales, maîtres désormais incontestés de cette importante filière.