Vingt ans après son retour au Liban, Naji Boutros est plus que jamais convaincu que l’avenir des villages libanais passe par le développement de l’écotourisme. Ce credo, le fondateur de Château Belle-Vue, le défendra le 22 juin lors d’une conférence organisée par l’American University of Science and Technologie sur le campus de Bhamdoun. « Le Liban dispose de 24 zones climatiques distinctes qui créent autant de spécificités régionales, notamment dans les produits agricoles : les cerises de Hammana, les pommes de Hasroun, les bananes de la baie de Tyr… Nous pouvons valoriser ce patrimoine rural et créer des synergies économiques autour », explique-t-il.

Naji Boutros sait de quoi il parle : rat de champs, il a grandi à Bhamdoun, un village qui reste toujours son point d’ancrage. Son grand-père y avait fait construire un hôtel de 22 chambres en 1960, que les touristes du Golfe aimaient y réserver pour profiter de la fraîcheur de la région, l’été venu. Mais en 1983, alors que la guerre sévit, l’hôtel est bombardé et pillé.

Devant le danger, sa famille l’envoie en France puis aux États-Unis où il poursuit ses études avant d’être embauché par la banque Merrill Lynch. Le jeune financier travaille alors entre Wall Street et Londres.

Mais Naji Boutros a le mal du pays. Avec sa femme Jill, et leurs trois enfants, ils se réinstallent au Liban en 2000. Boutros est alors associé chez Colony Capital, le fonds d’investissement de Thomas Barack, un Américain d’origine libanaise, spécialisé sur le secteur de l’immobilier et de l’hôtellerie.

Le couple aimerait « faire quelque chose » pour le Liban, et spécialement pour Bhamdoun, dont l’économie n’a jamais réussi à se relever après la fin de la guerre. Il cherche un projet humain, qui doit permettre à cette région agricole de survivre. Son idée ? Planter des vignes sur les terres de son grand-père. Les Boutros convainquent même différents propriétaires terriens de leur louer leurs terrains pour replanter, évitant au passage le bétonnage de la vallée.

Château Belle-Vue dispose de 24 hectares de vignes et produit environ 24 000 bouteilles par an, de vin rouge principalement. Un petit volume qu’il écoule grâce à un club d’amateurs, qui préachètent sa production. Le reste est exportée vers la Suisse, le Royaume-Uni ou les États-Unis.

Mais pour Naji et Jill Boutros, le vignoble n’est que le point de départ d’un écosystème agrotouristique plus vaste. En 2012, ils rachètent la résidence d’été de l’ambassadeur de France en Irak et Jordanie, alors abandonnée, et ouvrent le Télégraphe, une cave de dégustation pour les vins de la propriété et un restaurant de terroir, qui accueille jusqu’à 80 personnes en salle et 400 en extérieur pour un ticket moyen autour de 55 dollars. La cuisine se veut franco-italienne avec des plats variés cuisinés avec les légumes du jardin.

Naji et Jill Boutros ajoutent ensuite un Bed & Breakfast (sept chambres), qui peut accueillir une vingtaine de voyageurs pour environ 150 dollars la nuit. Autour, l’équipe de Belle-Vue organise des randonnées pédestres ou de sessions découvertes de la vallée. Entre le vignoble, le restaurant, l’hôtel et le potager, le château compte plus d’une vingtaine d’employés.

L’année dernière, Naji Boutros s’est lancé dans une nouvelle aventure. Il a pris la tête d’un consortium d’hommes d’affaires entrés au capital de l’entreprise d’agroalimentaire Cortas, fondée en 1930. Le montant de l’investissement reste confidentiel. « Il s’agit de plusieurs dizaines de millions de dollars. » Cet afflux de capitaux doit notamment financer le déménagement des unités de production de ce fleuron de l’industrie libanaise dans une usine moderne de la région de Jbeil.