On entend de plus en plus parler de blockchain, ce système informatique qui permet de stocker et transmettre des données numériques de manière sécurisée et transparente, sans passer par un tiers de confiance. Les applications de cette technologie sont potentiellement infinies, mais au Liban elles sont encore très limitées. Explications.

Qu’est-ce que la blockchain ?

La blockchain (ou “chaîne de blocs” en français) fonctionne comme un registre inaltérable de blocs de données, mis à jour en temps réel par un réseau décentralisé d’utilisateurs qui mettent à disposition la puissance de calcul de leur ordinateur pour résoudre des équations. Ces équations permettant l’inscription d’un nouveau bloc. Tout bloc inscrit à la suite d’un autre rend le bloc précédent non modifiable, assurant l’immuabilité de la chaîne de blocs. Chacun peut, en outre, consulter à tout moment cette chaîne et les transactions qui y sont inscrites. On peut ainsi s’assurer qu’un individu A a bien transféré une donnée ou une valeur précise à un individu B, sans que l’identité de ces individus ne soit révélée. Enfin, chaque membre du réseau constituant la blockchain possède sur son propre serveur une copie constamment mise à jour de l’ensemble des transactions de la chaîne de blocs. Tout doute sur la réalité d’une transaction peut donc être levé en vérifiant que tous les membres du réseau ont bien la même information.

À quand remonte son invention ?

En 2008, un individu ou groupe d’individus inconnu a lancé sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto la première blockchain dédiée au bitcoin. Cette innovation s’appuyait sur les travaux de Stuart Haber et Scott Stometta qui décrivaient en 1991 une chaîne de blocs sécurisés par la cryptographie.

Est-ce une procédure fiable ?

La seule manière de pirater la blockchain serait de corrompre plus de 50 % de l’ensemble des machines du réseau, qui se comptent, dans le cas du bitcoin par exemple, en centaines de milliers dans le monde. Nous parlons donc d’un système ultrasécurisé et immuable permettant de tracer facilement et en temps réel des transferts de données sans tiers centralisé.

Lire aussi : Une cryptomonnaie pour contrer les sanctions ?

Combien existe-t-il de blockchains ?

Il en existe trois types : en premier lieu, les blockchains publiques telles que bitcoin ou ethereum. Elles sont accessibles à tout le monde via internet. Viennent ensuite les blockchains privées : on y accède sur invitation des administrateurs du réseau. Pour l’entreprise ou pour le gouvernement, il s’agit alors de bénéficier des avantages de la technologie sans sacrifier la confidentialité. Enfin, les blockchains de consortium sont des blockchains semi-décentralisées, gérées par un réseau d’entreprises ou d’entités opérant chacun un nœud du réseau.

Quelles sont les applications possibles ?

Elles sont potentiellement infinies, dans des domaines allant de la logistique à l’humanitaire, en passant par la finance, la santé ou le service public. À ce jour, même si beaucoup d'expérimentations sont en cours, seuls quelques cas précis ont réussi. En dehors des cryptomonnaies et de nouveaux projets de monnaies virtuelles lancées par Facebook, WhatsApp ou IBM, c’est dans le domaine de la finance qu'elle fait le plus parler d’elle. Les banques y trouvent en effet leur intérêt, car elles accélèrent les processus de règlement des transactions qui passent de plusieurs jours à quelques minutes ou heures, et ce à un moindre coût. Les procédures d’audit en sont également simplifiées grâce à la transparence et l’immutabilité de cette infrastructure. Le cabinet Accenture estime que son taux d’adoption dans le monde de la finance était déjà de l’ordre de 13,5 % en 2016.

Autre secteur dans lequel la blockchain montre son potentiel : la logistique. Des champions de la logistique maritime tels que Maersk, en partenariat avec IBM et des dizaines de terminaux portuaires, ont de façon similaire mis au point une solution permettant de tracer le trajet d’un container à chaque étape de son voyage. L’ensemble des acteurs de la chaîne logistique peuvent alors suivre le trajet des marchandises et partager les documents administratifs relatifs à la cargaison. Ce type de sillage logistique est aussi expérimenté pour la certification bio et dans la grande distribution : les français Auchan et Carrefour par exemple tracent certains des aliments vendus (les œufs, le lait, la viande) afin de certifier l’origine du produit et, éventuellement, identifier la localisation de tout produit issu d’un ensemble impropre à la consommation.

L’utilise-t-on au Liban ?

La Banque centrale travaillerait à un projet de monnaie digitale, mais la blockchain reste globalement quasi absente du paysage bancaire libanais. Pourtant, blockchain et monnaie digitale pourraient favoriser l’inclusion financière en permettant, par exemple, aux populations non bancarisées (52 % de la population au Liban) ou vivant en milieu rural d’accéder malgré tout à un assez large panel possible d’opérations financières. Elles pourraient aussi permettre à la diaspora d’envoyer de l’argent au Liban à moindre coût.

Lire aussi: La discrète communauté des “bitcoiners” libanais

Parmi les réalisations les plus intéressantes, celle de BlocRecs, une société fondée par Amir Abdel Baki et Hanady Alahmadié qui propose d’inscrire sur la blockchain les certificats universitaires et professionnels afin de lutter contre la fraude aux diplômes. Dans le domaine du commerce en ligne, Vistory, une autre société basée à Paris et à Beyrouth, développe des procédures de KYC (Know Your Customer) autour de la blockchain, ainsi que des applications diverses, comme Gleeter, par exemple, qui permet de calculer ses mensurations en prenant trois selfies avec une précision de l’ordre de 95 %, réduisant drastiquement les retours et destructions de produits mal ajustés. Acheteurs et vendeurs sont ensuite mis en relation dans un cadre sécurisé par la blockchain. Vistory permet aussi à des entreprises de suivre le trajet des produits afin d’améliorer leur logistique.

Les acteurs publics sont-ils intéressés par la technologie?

Cela reste à confirmer. Un projet est en cours d'étude au Liban, mais à un niveau plus institutionnel : le Programme des Nations unies pour le développement Liban s’intéresse notamment à l’impact que pourrait avoir l’utilisation de la blockchain dans la gestion des énergies renouvelables. Les contrats intelligents, qui permettent de prévoir la réalisation automatique d’une transaction dès lors qu’une ou plusieurs conditions inscrites au préalable dans la blockchain sont réunies, donnent en effet un souffle nouveau au concept d’échange d’énergie en pair à pair. Plus simplement, dans un tel système, tout individu ou communauté propriétaire de panneaux photovoltaïques pourrait revendre automatiquement le surplus d’énergie produite non consommée à d’autres membres du réseau en déficit énergétique. L’ensemble des transferts énergétiques et transactions serait donc inscrit en temps réel et consultable en ligne par tous, et ce sans autorité centrale : on imagine sans peine les économies de temps, d’énergie et d’argent réalisables ainsi. Encore faudrait-il pouvoir intégrer ce système avec le réseau d’Électricité du Liban.


Alexis Maloux, responsable intelligence économique à Corporate Systemic Intelligence